Shao-Chi OU | Le collage est une technique tout d’abord employée dans le domaine des beaux-arts. Il se caractérise par une combinaison d’éléments différents. Ainsi, l’artiste se permet d’utiliser une diversité de matériaux et de styles afin de créer de nouveaux effets visuels. Le collage, par conséquent, fournit une lutte contre l’homogénéité et la cohérence exigées par la convention artistique.

L’appropriation de cette technique de collage dans le domaine de la littérature française au XXe siècle sert à atteindre un but similaire. Au XXe siècle, on voit un éclatement de genres littéraires et une mise en travail de la langue. Le renouvellement du roman est au centre de ces phénomènes. Notamment dans le mouvement surréaliste et de Nouveau Roman, des auteurs et des autrices tâchent de rejeter les traditions littéraires pour remettre en question la fonction de l’écrivain dans la société. Le collage leur permet de remettre en question la narration chronologique et cohérente, la stabilité de la mémoire et surtout le rapport entre le moi qui écrit et le moi qui est reconstruit dans la narration. . Il présente une rupture à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’œuvre: tandis qu’il existe une rupture de chronologie et de fils de pensée à l’intérieur ; à l’extérieur, il y a aussi une rupture avec l’idée de modernité proposée par les auteurs et autrices précédents.
Dans la littérature, la technique de collage peut être présentée comme la fragmentation de la langue. Par exemple, Pascal Quignard se sert de cette forme de collage dans son roman Les Ombres errantes (2002). Dans ce roman, Quignard expérimente un langage fragmenté pour faire une exploration philosophique dans la forme du roman. En effet, on peut voir une tension entre le genre de la poésie et celui de la prose dans ce langage. La tendance narrative est toujours visible dans l’œuvre, mais les paragraphes sont coupés comme des strophes, et les phrases sont coupées comme des vers. Les Ombres errantes fournit un exemple de la discontinuité formelle. La frontière entre le roman et la poésie est brouillée. La fragmentation de ce qui est censé s’écouler sans problème crée une nouvelle perspective sur l’activité de méditer. Réfléchit-on toujours d’une façon « logique » ? Ou en fait, notre fil de pensée commence souvent par une pelote de laine, un état de chaos ? Dans ce cas-ci, la technique de collage dénaturalise, dans une certaine mesure, la manière conventionnelle de raconter une histoire.
Une autre œuvre qui se caractérise par la technique de collage est La Route des Flandres de Claude Simon (1960). Cette œuvre relate l’histoire de la seconde guerre mondiale, mais d’une manière presque chaotique. Il y a une discontinuité temporelle dans tout le livre. Des événements qui se passent avant, pendant et après la guerre sont narrés sans organisation chronologique. La technique donne l’impression que l’écriture et la lecture sont perdues dans un labyrinthe de mémoires. La frontière entre le passé et le présent n’existe plus. Plus important encore, comme la leçon du traumatisme du plus grand scandale au XXe siècle, cette technique de collage-ci nous fait penser au paradoxe de la recherche de la modernité. La croyance qu’on puisse atteindre la modernité signifie une rupture définitive entre le passé et le présent. En revanche, les deux guerres nous révèlent l’absurdité de la condition humaine et cette recherche de la modernité. Le renouvellement du roman au XXe siècle dans la forme de collage fournit un rejet de la modernité en donnant un nouveau point de vue historique. L’histoire n’est pas une ligne sur laquelle on continue d’avancer dans un seul sens. Il existe des expériences dont la magnitude nous empêche de les raconter dans une langue qui vise à les remettre en ordre. Dans ce cadre, on voit une postmodernité plutôt qu’une modernité chez la technique de collage : elle valorise une diversité d’expressions et émancipe les auteurs et autrices de la condition paradoxale de la modernité.
C’est Le Monde Incréé d’Édouard Glissant, écrivain martiniquais, sorti en 2000. L’auteur désigne le genre littéraire de cette œuvre comme « poétrie », c’est-à-dire un mélange de la poésie et du théâtre. Malgré ça, il dit dans l’avant avant-propos du livre qu’on peut le considérer comme « un hypothétique roman ». On voit déjà une remise en question des frontières entre différents genres littéraires. Mais surtout, Glissant se sert d’une technique de collage assez unique, c’est l’utilisation de langue non-française. Il y a des passages dans le livre qui sont écrits en créole. Le collage de langues pose la question de l’homogénéité linguistique par défaut dans la littérature. Comment définit-on la littérature française ? Dans le monde postcolonial/néocolonial, des œuvres littéraires multilingues deviennent une forme de lutte contre l’hégémonie culturelle occidentale. Elles nous posent aussi la question de la classification de littératures. Existe-t-il peut-être un problème de hiérarchie entre la littérature française et la littérature francophone ? À travers Le Monde Incréé, Glissant refait la définition de la littérature française et nous présente une autre possibilité d’écriture : une écriture de métissage, une écriture de voix diverses.
Pour conclure, la technique de collage signifie une méditation essentielle sur la nature de la littérature. Le roman, genre littéraire qui vise à relater des histoires, est notamment intéressant par rapport à l’usage de cette technique. Les exemples nous montrent la façon dont le collage dans le roman problématise la représentation de la pensée, de l’histoire et de la langue elle-même. En revanche, comment cette technique et d’autres qui font partie de l’expérimentation littéraire au XXe siècle influence l’état de la littérature par rapport à la politique, l’économie et la société ? Dans quel sens amène-t-il le renouvellement de la langue de la littérature ? Dans les œuvres contemporaines, voit-on l’exploration à l’infini, et souvent sans but, de la postmodernité, ou un retournement de la recherche courageuse de la modernité ?
