L’or comme héritage: quand la transmission devient un acte de résilience en Asie du Sud

Moon KHAN | Un simple bracelet, une paire de boucles d’oreilles ou un collier en or: en Asie du Sud, ces objets scintillants portent une signification bien plus grande qu’il n’y paraît. Incarnant un acte de transmission féministe aussi discrèt que puissant, dans les coffres familiaux l’or ne brille pas seulement pour sa valeur matérielle. Transmis de mère en fille ou offert aux jeunes, il incarne un acte de résistance silencieux, un héritage subtil qui défie les normes patriarcales.

Eric Meola/Getty Images

Pendant de nombreuses années, les femmes en Asie du Sud ont été confrontées à des discriminations dans un système patriarcal où le contrôle des finances et des biens revenait majoritairement aux hommes. Les actifs, tels que les terres ou les propriétés, étaient souvent transférés au mari après le mariage, privant ainsi les femmes de leurs droits à l’héritage, à la propriété et à la gestion de leurs propres ressources financières. Avant la réforme de la loi sur les successions hindoues en 2005 (Hindu Succession Amendment Act), les femmes hindoues ne pouvaient hériter des biens ancestraux qu’à des conditions limitées– la priorité étant donnée aux héritiers masculins. Dans ce contexte restrictif, l’or a joué un rôle central, devenant pour les femmes ce que la terre représentepour les hommes: un symbole de richesse, de sécurité et d’autonomie. Face à ces barrières légales, les familles indiennes ont adapté leurs pratiques. Bien que problématique par ses implications patriarcales, le système de dot est devenu un moyen de transférer des richesses aux filles sous une forme qu’elles pouvaient contrôler. Contrairement à des actifs comme les terres, l’or sous forme de bijoux est portable, facile à dissimuler, et rapidement liquidable en cas de crise. Cette transportabilité et cette liquidité ont conféré aux femmes une certaine autonomie financière, faisant de l’or bien plus qu’une simple ornement. Ainsi, l’anthropologue Nilika Mehrotra qualifie l’or comme un métal sexué et genré. Les foyers indiens étant centrés sur les hommes, la seule monnaie véritablement considérée comme propre à une femme est l’or qu’elle possède, incluant ses bijoux de mariage, les cadeux de sa belle-famille, de son mari et ainsi de suite.

Representative image for Dowry (Source: OpIndia/Anurag)

Toutefois, le patriarcat en tant que système d’oppression trouve toujours un moyen de s’emparer de l’autonomie des femmes. Dans ce cas, même l’or, ce talisman censé protéger les femmes contre les violences genrées n’est pas à l’abri de son emprise. En effet, pendant la colonisation de l’Inde, lorsque les Britanniques ont introduit le concept du propriété privée des terres, les femmes ont été exclues de ce privilège ce qui a entraîné le transfert de leur propriété à leur mari. Parallèlement, les dots sont devenues obligatoires s’imposant comme l’un des moyens légaux de contracter un mariage dans l’Inde coloniale britannique.

Aujourd’hui, il s’esttransformé en un véritable cauchemar pour les femmes sud-asiatique, devenant une forme d’exploitation qui les a soumises à diverses violences. Bien que interdite en 1961, l’Inde a enregistré en 2022, 6 450 décès liés à la dot, selon les données du National Crime Records Bureau (NCRB). De son côté, un article publié en mars 2016, dans The News International, au Pakistan, indiquait que le pays enregistrait le taux par habitant le plus élevé de décès liés à la dot en Asie du Sud, avec environ 2 000 décès par an. Face à cette réalité, le concept de Streedhan a été soutenu par les tribunaux indiens comme une tentative de protéger les droits financiers des femmes. En vertu de la loi hindoue du code pénal indien, une femme a le contrôle absolu de son Streedhan, qui se traduit par “la propriété d’une femme”. Ce concept englobe tous les biens mobiliers et immobiliers, ainsi que les cadeaux reçus par les femmes avant le mariage, au moment du mariage, pendant l’accouchement ou en cas de veuvage. Ces biens sont considérés comme distincts de la dot, car la femme en est l’unique propriétaire. Par conséquent, toute forme de domination masculine sur le Streedhan est passible d’actions juridiques strictes, garantissant donc aux femmes la propriété exclusive de leurs bijoux en or et de leurs autres biens, même en cas de circonstances défavorables.

Lourde perle […] pendentif et boucle d’oreille, Ravi_Goel

L’acte de transmission de l’or, qu’il soit enraciné dans la tradition de la dot ou dans le concept de Streedhan, est une pratique intemporelle qui perdure encore aujourd’hui dans toutes les cultures d’Asie du Sud. Aujourd’hui, l’héritage de l’or est passé d’une nécessité due à la discrimination à un symbole d’émancipation féminine et de continuité culturelle. Selon, Dr. Amrita Sen, une économiste spécialisée dans les questions de genre et de développement à l’université de Delhi, explique: “La tradition de l’héritage de l’or représente une intersection fascinante entre la culture et l’économie. Il s’agit d’une forme locale de planification financière qui a permis à des générations de femmes indiennes de s’émanciper souvent en dehors des systèmes bancaires formels”.

Cependant, cette pratique de transmission ne fait pas l’unanimité. Certains la critiquent, affirmant qu’elle prolonge des visions archaïques du rôle des femmes et contribue à perpétuer le système de la dot. D’autres mettent en avant le fait que la transmission de l’or freine les femmes sud-asiatique dans leur quête de liberté économique. Elle maintient le statu quo en leur donnant un faux espoir de sécurité.

Malgré ces critiques, pour des millions de femmes en Asie du Sud, l’héritage en or reste un symbole concret dans leur lutte pour l’émancipation financière. Alors que le continent continue de se transformer, et que les femmes accèdent à des niveaux d’éducation et de carrière plus élevés, la signification de cette tradition pourrait changer. Cela dit, il est peu probable qu’elle disparaisse entièrement: elle restera ancrée dans la culture, témoignant de la force et de l’ingéniosité des femmes sud-asiatiques face aux épreuves du passé.

1 commentaire

  1. Merci pour cet article intéressant.

    J’aime bien la conclusion : « … de la force et de l’ingéniosité des femmes sud-asiatiques face aux épreuves du passé ».

    Elle s’applique aussi à d’autres parties du monde, et pas uniquement aux femmes d’ailleurs.

    La remarque « la transmission de l’or freine les femmes sud-asiatique dans leur quête de liberté économique » est aussi très pertinente.

    La liberté économique ne me semble pas être la richesse que l’on ne peut dépenser mais plutôt la possibilité de gagner et dépenser son argent.

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