Mauricia BUSCA | Le mannequinat. Voilà bien un domaine qui fait secrètement rêver un grand nombre de jeunes. S’il est souvent jugé comme étant un monde superficiel où se pavane sur scène des poupées Barbie, il n’en reste pas moins que la réalité reste loin du cliché. Le journal Nouvelles Vagues de La Sorbonne Nouvelle vous invite à découvrir ce milieu à travers le prisme d’Exaucée Makuiza. La mannequin étudiante nous partage comment elle navigue entre ses études et une industrie en pleine mutation.

Peux-tu nous raconter ton parcours ?
Je m’appelle Exaucée, je suis étudiante en droit et je suis aussi mannequin et scout. J’aime bien les définir comme étant mes jobs étudiants. J’ai commencé le mannequinat par le biais d’un concours qui s’appelle Elite Model Look. Cela m’a permis de rentrer dans Elite Model Management, l’agence, et d’intégrer plusieurs agences reconnues dans le monde entier. Il faut savoir que je n’ai jamais été intéressée par le milieu du mannequinat, j’ai juste eu le corps pour faire du mannequinat fashion. On me répétait vraiment tout le temps « tu devrais être mannequin ! » donc quand je suis tombée sur la pub du concours, je me suis dit au moins essayer une fois.
Tu dis que le mannequinat pour toi est un job étudiant. Est-ce lié au fait que ce genre de domaine n’est pas vu comme quelque chose de sérieux ?
Je ne vois pas le mannequinat comme une chose qui n’est pas sérieuse. Je trouve que c’est un métier sérieux car il faut s’investir dedans pour avoir une carrière. Au départ je n’ai pas vraiment voulu faire du mannequinat donc là je m’interroge si j’ai envie de continuer toute ma vie, car il s’agit d’un milieu très dur. Il y a un dicton qui dit qu’on naît mannequin fashion, c’est-à-dire que dans le mannequinat fashion la grande majorité du temps il s’agit de personnes qui tombent dedans. C’est un milieu très rigoureux, avec des critères physiques — tout le monde ne fait pas 1m78, ni du 34-36. Après il y a des passionnés, ce sont des gens qui connaissent tout sur le milieu de la mode, ils regardent des défilés et ont des mannequins préférés, etc.
Mis à part les qualifications physiques, existe-il d’autres compétences qu’un mannequin doit développer pour pouvoir réussir ?
Oui parce que c’est un métier avec du contact et du relationnel. Donc il faut être sociable, je trouve ça important de savoir parler et être à l’aise. C’est aussi important d’être ferme, bien souvent dans ce milieu on commence très jeune, donc c’est important de savoir dire non, de savoir dire oui et de maintenir sa décision. On est jeune et on a en face des adultes qui connaissent le milieu et qui savent ce qu’ils veulent et ça peut être très difficile et très dangereux de ne pas être ferme.
C’est un milieu où il y a une instabilité constante. Comment arrives-tu à faire l’équilibre entre ta vie et tes activités en tant que mannequin ?
C’est la discipline. La plupart des mannequins sont diplômés ou cherchent à l’être. Il y a un vieux cliché qui dit que les mannequins ne sont pas intelligentes, ce n’est pas vrai. Plein de mannequins de haut niveau sont diplômés de La Sorbonne, d’Assas, d’Harvard, etc. Il faut avoir une rythmique de travail. Une des choses que je fais souvent quand j’ai des cours obligatoires, je dis à mon agence que sur ces jours ils ne peuvent pas me proposer de jobs ni me faire aller quelque part car je dois être à l’école. Donc c’est vraiment de la communication et savoir où est ta priorité. Si ta priorité est sur les études, tu vas t’imposer une discipline. Si elle est sur le mannequinat, tu vas chercher un équilibre.
As-tu eu des expériences marquantes ou as-tu remarqué des choses choquantes lors des castings ou des shootings ?
Moi, personnellement je n’ai pas vécu grand chose. Mais la santé mentale des mannequins est mise à rude épreuve et comme ils sont très jeunes souvent ils sont faibles. Par exemple si t’es Chinoise et t’habites à Shangaï et soudainement on te dit de venir 6 mois à Paris et que tu connais pas la langue, que tu parles pas anglais tu peux te sentir très vite seule et abandonnée. Une des histoires qui m’avait le plus marquée c’était lors d’un casting, une fille m’avait raconté qu’elle devait défiler devant des directeurs de castings, ça c’est pas nouveau. Mais il y avait une autre fille qui, lorsqu’elle avait enlevé son pull et son pantalon, avait énormément de scarifications. Il y en avait vraiment sur tout son corps et ça avait lancé une sorte de silence dans toute la salle. Je pense que cela peut être dû à la pression dans la vie personnelle et à celle par rapport au mannequinat.
En tant que mannequin noire, as-tu déjà vécu des discriminations ou entendu des commentaires hostiles à ton égard ?
Non. Je dirais que le mannequinat aujourd’hui c’est un peu particulier car c’est un monde qui recherche la beauté partout. La plupart du temps les gens vraiment passionnés dans la mode n’ont pas le ‘‘temps’’ d’être raciste, ils vont te voir comme une beauté noire, une beauté asiatique, une beauté de ton ethnie. Donc les stéréotypes moi j’en ai pas vu. Après bien évidemment il y a des gens qui en auront toujours. Moi j’ai toujours vu une espèce d’essor et de recherche de la beauté. Ces derniers temps, et ça a été souligné par le BlackLivesMatter, il y a une recherche de la ‘‘darkskin’’ c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de gens comme Anok Yai. La beauté n’est pas seulement caucasienne. Après la diversité se fait dans la couleur de peau car tu vois que les profils restent souvent les mêmes, des traits fins, des personnes minces, tu ne vois pas encore des profils curvy défiler pour Chanel.

Penses-tu que ce sont les mouvements sociaux, comme celui que tu as cité par exemple, qui influencent le milieu de la mode ou alors c’est plutôt la mode qui va influencer notre perception de la beauté ?
La plupart du temps, c’est la société qui influence la mode. La mode n’influence pas trop la société. Dans les années 70 et celles qui s’en suivent avec le mouvement de libération des femmes, on a vu que ça a influencé la mode. Ensuite la mode influence le mannequinat. Je pense que c’est d’abord la société, ensuite la mode et après le mannequinat parce que c’est un circuit. Il y a le fashion et le commercial. Le fashion, les gens disent qu’il est fait pour faire rêver, à cause des minces et des mannequins Victoria Secret. Le commercial, lui, est vraiment fait pour faire vendre et faire en sorte que la population puisse se reconnaître. Pourquoi Asos a connu un grand essor depuis 7 / 8 ans ? C’est parce que les gens pouvaient se reconnaître, ils ont sorti des catégories et ont pris des mannequins qui correspondaient à ces catégories et les gens se sont reconnus. Le fait d’avoir cette démographie exponentielle du mannequin commercial c’est une bonne chose, là on voit beaucoup plus de mannequins curvy et petite. Je trouve que c’est bien. C’est mieux.
Comment envisages-tu le futur de l’industrie de la mode et du mannequinat ?
Je trouve qu’il est en train de changer, et ce changement se sent partout. Après je pense que le mannequinat fashion restera fashion toute la vie, c’est-à-dire que ce sera toujours des mannequins grands, minces. Je pense que ce mannequinat là n’est pas du tout près à changer et les gens ne veulent pas qu’il change. Mais je pense qu’il y aura une nouvelle ère, avec l’intelligence artificielle comme par exemple le défilé 100% IA d’Hanifa. Je pense qu’on est vraiment dans un tournant dans le milieu de la mode. Je pense que les codes vont rester les mêmes mais dans son exploitation et sa commercialisation, je pense qu’on va passer à plus de digitales et moins de structures avec les agences etc.

Les photos sont tirées de son porte-folio
