L’immigration, solution miracle à la pénurie de main-d’œuvre canadienne ? 

Mateo MILCENT | Partout dans les rues de Montréal ou de Québec nous pouvons lire “ICI RECRUTE” ou “CHERCHE URGEMMENT EMPLOYÉ”. Ces affiches, parfois disgracieuses, ne sont pas singulières aux deux grandes villes de la province du Québec. Que nous soyons dans des zones à fortes activités économiques ou bien dans des zones plus reculées comme à Gaspé, le constat est le même : beaucoup d’offres d’emploi mais peu de demandes. Ce phénomène n’est pas propre à la Belle Province mais s’entend à travers tout le Canada. Cependant, force est de constater que cette crise est bien plus importante dans les régions francophones comme le Québec ou le Nouveau-Brunswick.

Une crise difficile mais prévisible 

Ce qu’est en train de vivre le Québec est unique dans son genre et dans son histoire. Pour la première fois, ce ne sont pas les jeunes québécois qui regardent vers les autres provinces comme l’Alberta pour trouver du travail, mais bien tous les jeunes du Canada qui se tournent vers le Québec pour trouver la stabilité de l’emploi. Selon Statistique Canada, dont les chiffres les plus récents rapportent la situation du 3ème trimestre 2023, plus de 244 000 postes étaient vacants au Québec soit un taux légèrement supérieur à 6%. Pour faire simple, sur 100 bureaux de travail, six sont sans travailleurs. Ces chiffres qui feraient tourner la tête à bon nombre d’économistes ne sont pas prêts de s’améliorer. Le gouvernement via le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale prévoit qu’il y aura en 2030 plus de 1,4 millions de postes à pourvoir dans la région. 

Les conséquences du “creux historique” décrit par Jean Boulet, ministre du Travail, sont multiples et ne présagent rien de bon pour le futur. Il ne le voit pas tant comme un problème de premier ou de second plan, mais bien comme “un défi de société”. Dans un marché déjà bien instable en 2019, la crise du Covid-19 n’a pas aidé à changer la tendance et a même amplifié le phénomène. Emna Braham, directrice générale de l’Institut du Québec (IDQ) va jusqu’à mettre en avant que “Entre 2019 et 2022, nous avons enregistré un bond de 60 % du nombre de postes vacants”. Cette augmentation significative du nombre de postes vacants peut s’expliquer par le fait que ceux qui ont perdu leur emploi au début de la pandémie se sont redirigés vers de nouveaux domaines. La situation étant revenue à la normale, les postes sont de nouveau disponibles, mais les anciens employés ne le sont plus. De plus, beaucoup se sont interrogés (et avec les confinements, ils ont eu le temps) sur ce qu’ils voulaient faire réellement de leur vie et préfèrent trouver un emploi moins risqué face aux aléas économiques, comme le serait la restauration par exemple. 

La seconde raison de cette pénurie de main-d’œuvre est évidemment le vieillissement de la population québécoise et canadienne. Selon les chiffres fournis par Statistique Canada, durant la période allant de 2016 à 2021, la population canadienne a vu plus d’1,4 million de ses membres atteindre l’âge de 55 ans. En 2022, un cinquième de la main-d’œuvre canadienne était composé de personnes âgées de 55 à 64 ans, marquant ainsi le niveau le plus élevé jamais enregistré depuis le début des recensements. Et il ne faut pas espérer que cela change rapidement, le pic de ces nombreux départs à la retraite ne sera pas atteint avant 2030. Il est aussi très difficile, voire impossible, “de changer les tendances démographiques” à court terme.  

La situation ne se prête plus à anticiper la pénurie, mais déjà à trouver des solutions dans certaines régions du Québec. C’est le cas à Val-d’Or où par exemple le McDonald’s de la ville a dû fermer pour manque de main d’œuvre. Le KFC d’en face, lui, est toujours ouvert et se targue de payer ses employés plus que le smic. D’autres sont obligés de fermer le dimanche, soit parce qu’ils n’ont personne pour assurer la tenue de l’emploi, soit pour reposer leurs employés. C’est ce qu’a décidé de faire Geneviève Gagnon, propriétaire de quincailleries implantées dans les Laurentides. Ces décisions, toujours difficiles à prendre, le sont encore plus pour les restaurateurs. Marco Corriveau voit cette crise “comme une dure étape à passer”, mais est certain que le gouvernement va trouver des solutions pour aller de l’avant.    

Les travailleurs internationaux, une solution inespérée…

Et si la solution miracle était l’immigration ? C’est ce que propose le président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (CPQ), Karl Blackburn. Il pense que l’on doit “élargir le bassin de travailleurs”. Déjà aujourd’hui, les travailleurs immigrants permettent de combler de nombreux postes, jusqu’alors vides, dans de nombreux domaines, allant de l’industrie minière aux services hôteliers.  Les nouveaux travailleurs se trouvant sur le territoire québécois depuis moins de 10 ans occupent 1 emploi sur 5. Nous sommes encore loin du pic de la crise et le Québec ne peut déjà plus se passer d’eux. 

Dans un rapport regroupant plusieurs propositions, le CPQ proposait, entre autres, d’élever les seuils d’immigration à 80 000 voire 100 000 immigrants par an, ce qui reviendrait à les doubler. Il justifie cette demande qu’il juge “indispensable” pour des raisons évidemment économiques en évoquant la croissance économique de la province, mais aussi pour des raisons sociales. Il affirme que le Québec aura, année après année, une augmentation des besoins en matière d’habitat – déjà en crise –  de santé et d’éducation et que seule l’économie issue de l’immigration pourra pérenniser les nombreux systèmes qui nous sont accessibles aujourd’hui. 

Certaines entreprises ont déjà misé sur l’immigration et ont mis en place des mesures spécifiques afin d’attirer les immigrants dans leurs entreprises. C’est le cas de Raymond Daigle, propriétaire d’une petite entreprise spécialisée dans la marine en Gaspésie. Il y a quelques années, il a proposé à Ray, un travailleur philippin de venir travailler et s’installer au Québec. Pour convaincre les immigrants de venir chez lui, et non pas chez la concurrence, et surtout de rester, il a dû mettre en place des solutions. Il a notamment acheté une maison pour loger à moindre coût et “offrir une chance” à tous ces nouveaux travailleurs. Cette crise a totalement inversé le système de recrutement et cet exemple en est le parfait constat. Il y a de cela 15 ans, c’était à l’employé “de vendre sa salade”. Aujourd’hui c’est totalement l’inverse : “c’est à l’employeur de vendre sa salade pour devenir attrayant”.

La solution proposée ici a l’air de mener le Québec sur la bonne voie afin de combler son manque de main-d’œuvre. Toutefois, il faut rappeler que nous n’avons aucun recul sur ces mesures. Les bénéfices espérés de cette immigration s’apprêtent surtout à de la spéculation plutôt qu’à des preuves certaines et concrètes. Pour bien d’autres, cela s’apparente plus à de “l’enfumage”, cherchant à satisfaire à peu près tout le monde, tout en rassurant les groupes d’influence. Ainsi, l’immigration peut être perçuevue comme une solution viable et pérenne dans le temps, ou alors comme serait inefficace voire qui amplifierait le problème.   

… qui n’en est pas vraiment une ! 

Paul St Pierre Plamondon, député de la circonscription Camille Laurin et chef du Parti Québécois (PQ) juge cette solution dite miracle comme étant “factuellement fausse et erronée”. Il y voit même un facteur d’augmentation de cette crise et milite pour un seuil de  35 000 immigrants par an. Il ajoute qu’accueillir plus de migrants majoritairement anglophones au sein du Québec poserait un souci majeur sur leur intégration et leur francisation au sein de la nation québécoise, et qu’ils mettraient en danger l’avenir du français au Canada. Sa solution pour faire face à ce défi serait de faire revenir au travail les retraités de 60 ans et plus. Cette idée, qui ferait bondir plus d’un Ffrançais, est justifiée pour faire face à la précarité des aînés de la province. Il soutient que plus de 50% de ces travailleurs expérimentés sont prêts à “retourner sur le marché dcu travail d’ici 2030” et que cela offrira 150 000 travailleurs supplémentaires au Québec. En contrepartie, ils obtiendraient un rabais d’imposition de 15 % sur les derniers 35 000 $ déclarés en revenus.

Certaines études estiment qu’une importante immigration aura un effet quasi nul sur le long terme. Ces estimations, invérifiables comme toutes les autres mesures, sontest visiblement la théorie privilégiée par le gouvernement de François Legault qui n’est pas ouvert, lui non plus, à une augmentation du seuil d’immigration. Ces études mettent en avant le fait que ces immigrants vont faire grimper la demande de service, que ce soit en santé, ou en éducation, et qu’il faudra, de ce fait, plus de travailleurs pour répondre à leurs besoins. La solution la plus simple serait de tendre vers une robotisation, et l’utilisation de l’intelligence artificielle d’un maximum de postes qui serait possible. Il s’agirait ici de faire confiance à la science et à l’évolution technologique afin de sortir la province de la crise, et à défaut de remplacer l’Homme, combler son absence. Les personnes qui se feront remplacer par une machine auraient alors accès à une requalification et à des formations afin de combler plus de postes vacants importants.

Par ailleurs, l’immigration n’est pas non plus une solution viable pour les zones en dehors des secteurs économiques importants du Québec. Il faut faire face à un défi dans le défi. Comment attirer les nouveaux immigrants, non pas à Montréal ou à Québec, mais en Abitibi ou en Gaspésie. Déjà qu’une très grande majorité s’installe directement à Montréal et n’y bouge pas, sauf pour aller dans d’autres provinces, plus de 55% de ceux qui avaient pris la décision de s’établir autre part que dans la métropole l’avaient rejoint au final au bout de cinq ans. On voit donc bien que ces coins reculés, où il y a peu de services, n’attirent pas et que ce n’est pas l’immigration qui sera un moyen de sortir certaines régions du Québec de la crise.

Finalement, l’immigration ne doit alors pas être vue comme une solution miracle qui résoudrait tous les problèmes, mais plus comme faisant partie d’un plan global qui réussirait à inverser la tendance sur le long terme. 

Bibliographie/sitographie

  • La Vérif : l’immigration permet-elle de régler la pénurie de main-d’œuvre?, Nahila Bendali, RC
  • Pénurie de main-d’œuvre : l’immigration fait partie de la solution, Statistique Canada
  • L’immigration économique pour régler la pénurie de main-d’œuvre, Stéphane St-Amour, Courier Laval
  • L’immigration : la solution à court terme à la pénurie de main-d’œuvre ? Anne-Marie Deslauriers, LaPresse
  • Augmenter l’immigration ne réglera pas la pénurie de main-d’œuvre, maintient Jean Boulet, François Carabin, LeDevoir
  • L’immigration est la solution à la pénurie de main d’œuvre, Marie-Michelle Martel, TVA
  • La pénurie de main-d’oeuvre: le grand défi, Isabelle Delorme, LeDevoir
  • Le Québec a besoin de 90 000 immigrants de plus d’ici 2025, dit la FCEI, Karim Benessaieh, LaPresse
  • Gouvernement du Québec, Ministère du Travail, Emploi et de la Solidarité Sociale
  • Canada : le Québec vit une pénurie de main d’oeuvre sans précédent, France24
  • La pénurie de main-d’oeuvre dans le Canada rural | 7-25 | Élections Canada 2019, RAD
  • Pénurie de main-d’oeuvre en restauration : le cas de Val-d’Or, RAD
  • Pénurie de main-d’oeuvre au Canada, Canada et Quebec
  • Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec, Benoit Dubreuil/Guillaume Marois, 2011 édition Boréal
  • Pénurie de main-d’œuvre…, donnez les rênes aux Y, Dubuc Yvan Dubuc, 2014, édition Quebec-Livres

1 commentaire

  1. Merci pour cet article intéressant, même si, finalement, il nous apprend surtout que l’on ne connait pas la bonne solution, car on ne connait pas l’avenir …

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