La Cantine de Minuit : le manga qui met l’eau à la bouche

Juliette BARIS | La Cantine de Minuit est un petit restaurant caché dans une ruelle du quartier de Shinjuku, qui a la particularité d’ouvrir ses portes à partir de minuit jusqu’à 7h du matin. Sur le menu, on retrouve une liste de seulement quelques mets “du tonjiru, de la soupe miso au porc, et du saké”. Mais la grande subtilité de ce restaurant, c’est que chaque client peut commander ce qu’il souhaite. Si un habitué a une envie particulière, qui ne se trouve pas sur le menu, le patron à la balafre mystérieuse, peut procéder à l’élaboration de la recette s’il possède les ingrédients nécessaires. C’est dans ce restaurant aux allures familiales et conviviales que nous suivons la vie nocturne de Tokyo et de ses habitants, avec des personnages drôles et touchants qui apprécient les petits plats concoctés par le chef. La cantine de minuit, c’est le sanctuaire de la nourriture japonaise et de sa culture, permettant ainsi la passation de recettes, que l’on pourrait faire chez soi, mais qui sont encore meilleures préparées par quelqu’un d’autre. 

Du manga à l’écran la cantine devenue un phénomène.

La cantine de minuit, connue sous le titre Shinya Shokudo au Japon, est une série de mangas publiés en 2006 par l’éditeur Shōgakukan en 14 volumes reliés. L’intégralité de ces volumes a ensuite été traduite par la maison d’édition le Lézard noir, en français grâce au travail de la traductrice franco-japonaise Miyako Slocombe. La cantine de minuit rencontre un énorme succès au fil des ouvrages et remporte de nombreux prix. En 2009, le premier volume de la série arrive en 4e position du Grand Prix du manga. L’année suivante, il remporte le Grand Prix de l’Association des auteurs de la bande dessinée japonaise. Enfin, en 2017, il reçoit le Prix Asie de la Critique ACBD. Le succès de cette série a également mené à son adaptation cinématographique sous le nom de Midnight Diner, un drama japonais réalisé par Joji Matsuoka et diffusé au Japon entre 2009 et 2014. Adaptation qui sera ensuite reprise par la plateforme de streaming Netflix en 2016 et 2019 sous le nom de Midnight Diner: Tokyo Stories.

Yaro Abe: le chef d’orchestre de la nuit tokyoïte.

L’auteur de la série La cantine de minuit n’est autre que Yaro Abe, mangaka japonais, né le 2 février à Shimanto en 1963. Il fait ses études à l’université de Waseba et décide de se consacrer uniquement à l’écriture de séries de mangas connus sous le nom de ‘seinen’. Ce terme japonais signifie que la ligne éditoriale de ces mangas est tournée vers un public de jeunes hommes ou de jeunes adultes. Les ‘seinen’ reprennent dans l’ensemble, des thèmes qui peuvent être abordés dans des ‘shonen’ (autrement dit mangas jeunesse). Les intrigues et les personnages sont alors plus complexes, qui abordent des sujets plus matures ou plus durs. Yaro Abe remporte alors le prix ‘Shogakukan’ en 2009 dans la catégorie générale pour La cantine de minuit. Au sein de ce manga, il met en avant une poésie singulière se dégageant des plats, mais aussi de leur récit. Grâce à son trait simple, il fait vivre les histoires du quotidien des habitués de ce restaurant si atypique.

Différent entre les habitués entre le choix de la sauce soja sucrée ou salé.
Photo issue de l’article de Anaïs Wion, Historienne – Publié le 20/12/2019 – Libération

Un bol de réconfort au coeur de la culture japonaise 

Chaque volume est découpé en courts chapitres qui représentent le récit d’une nuit dans le restaurant, on compte environ 30 nuits par volume. Nous suivons durant ces ‘nuits’, les histoires personnelles des habitués, des personnages drôles et touchants voire un peu loufoques. Chaque chapitre de cette série commence par la présentation d’un plat d’origine japonaise, suivi de l’arrivée d’un client qui demandera au patron un plat en particulier. Après avoir déclaré son envie culinaire, le patron explique aux lecteurs la recette et laisse le client raconter son histoire. Grâce à la présentation systématique d’un nouveau plat, les volumes de La cantine de minuit permettent au public de découvrir de nombreuses recettes familiales, de traditions, mais aussi de fêtes nationales. Concernant les habitués, certains se retrouvent dans la majorité des histoires, d’autres sont des clients de passages, et d’autres encore des connaissances lointaines. Les dessins sont drôles notamment par la simplicité de leurs traits et les visages des personnages en sont encore plus expressifs. Grâce au partage des récits des habitués, le lecteur en découvre un peu plus à chaque chapitre lorsque l’un d’entre eux commande un plat. Malgré toutes les demandes que les clients pourraient formuler, les plats restent simples tout en mettant en avant la variété que proposent la cuisine japonaise ainsi que ses secrets. 

‘Takosan’ (Monsieur Poulpe) – petites saucisses en forme de poulpes
Photo issue de l’article “ Le coin Manga : La cantine de minuit, le manga qui donne faim” – Cecile.P – Liseur Blog

Visages de la nuit âme de la cantine racontent le japon d’aujourd’hui 

Dans les nombreux tomes de La cantine de minuit, le lecteur est attiré par une ambiance chaleureuse, mise en avant par les retrouvailles des habitués le temps d’un soir. De plus, le comptoir du restaurant est en forme de ‘U’, ce qui permet la création d’une atmosphère de partage et de convivialité. Cet aspect familial permet aux lecteurs de s’attacher aux personnages et de s’identifier à leurs histoires. En termes d’habitués, nous pouvons retrouver des personnes âgées, des hôtesses de bar, des strip-teaseuse, des policiers, des yakuzas… et bien plus encore. Le personnage que l’on retrouve dans chaque chapitre n’est autre que le patron de la cantine de minuit. Qui pourrait, à l’origine, être identifié comme le personnage principal de l’histoire, car c’est lui qui compose tous les plats et qui tient le restaurant. Au contraire, le lecteur et les habitués ne connaissent pas beaucoup de choses le concernant. Selon les clients, il serait un ancien Yakuza dû à sa cicatrice sur son visage. Il passe son temps à écouter les histoires qui lui sont racontées et d’une certaine manière devient lui aussi un lecteur. En effet, dans de nombreux tomes, il brise ce que l’on appelle dans le milieu culturel ‘le quatrième mur’. Le quatrième mur en littérature, au théâtre ou même dans le cinéma est un mur imaginaire qui sépare le public et le lecteur de la scène qui se déroule. Il contribue à l’illusion d’une réalité de la fiction. Il brise ce mur en donnant des conseils au lecteur, ou en plaignant le dessinateur obligé de dessiner des plats qui ont un aspect parfois peu évident à représenter.

La cantine de minuit est donc une série attachante qui plonge le lecteur au sein de la culture japonaise et de ses délicieux mets. Les histoires se suivent, au fil des chapitres et des volumes où les habitués se croisent le temps d’une nuit. Certains retrouvent leur famille, ou un enfant disparu, d’autres se mettent en couple… Le côté familial de la série est un des éléments principaux qui ajoute du charme aux histoires et renforce l’attachement du lecteur. Pour finir, les plats sont alléchants et font saliver n’importe qui osera tourner les pages, malgré le fait que ces mangas soient en noir et blanc pour la majorité des histoires, l’auteur met en avant la description et les ingrédients de ces plats de manière à réveiller les papilles.

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