Juliette BARIS | Madame X, le portrait mystérieux qui a fait scandale au Salon de Paris en 1884, est de nouveau exposé à Paris grâce au fruit d’une collaboration étroite entre le Musée d’Orsay et le Metropolitan Museum de New York. Cette exposition est ouverte au public à partir du 23 septembre 2025, et ce, jusqu’au 11 janvier 2026.

John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.
Retour sur l’exposition “Eblouir Paris”, Musée d’Orsay.
Musée d’Orsay / Metropolitan Museum
L’exposition se concentre sur les années de John Singer Sargent à Paris, où il se forme à la peinture et développe ses connaissances de l’art. Elle retrace également ses voyages à travers le l’Europe qui lui sont d’une grande inspiration pour la plupart de ses tableaux. Et met également en scène le fameux portrait de Madame X, étant le point culminant de l’exposition. Au cours de l’exposition, nous retrouvons une centaine d’œuvres, dont une soixantaine de peintures, organisées de manière chronologique et thématique. Afin de retracer les différentes époques qui constituent son travail en tant qu’artiste, amoureux de la vie parisienne et de ses arts.
Le portraitiste John Singer Sargent.
John Singer Sargent, né le 12 janvier 1856 à Florence, est un peintre américain de renommée dans l’art du portrait. Provenant d’une famille d’intellectuels, Sargent voyage à travers l’Europe durant toute sa jeunesse accompagné de ses parents. Son ambition artistique et son goût prononcé pour la peinture lui ont été en partie transmis par sa mère, Mary Newbold Sargent. Une artiste amateure, qui lui permet de s’épanouir au sein d’une éducation à visée culturelle, mais aussi linguistique, car Sargent maîtrise 4 langues dont: l’anglais, l’allemand, le français, l’italien et quelques notions d’espagnol. Cet apprentissage multilingue lui permet de commencer sa première instruction artistique en Italie, avant de se tourner vers les différentes spécialités et spécificités de la peinture dans la ville des arts, Paris. En effet, il bénéficie de l’enseignement de l’École des Beaux-Arts, lors de son arrivée en France avec ses parents à l’âge de 18 ans. Il y sera l’élève de Carolus-Duran, professeur très prisé par les étudiants d’art, notamment britanniques et américains. C’est à partir de ses enseignements que John Sargent va développer une multitude de compétences, tout en jouant d’un art singulier et du mélange de techniques, tels que le réalisme, la virtuosité et les jeux de lumière. Il acquiert suffisamment de savoir-faire et de confiance de la part de ses pairs que lors de son départ de l’atelier, il demande à son maître Carolus-Duran, de poser en 1879 pour l’un de ses portraits. C’est à Paris même que Sargent crée ses œuvres les plus audacieuses.
L’art du portrait.
John Singer Sargent est considéré comme un peintre de renommée, mais aussi comme l’un des portraitistes les plus recherchés de la Belle Époque. La fin du XIXe siècle est marquée par cet art du portrait, alors en plein essor, face à une nouvelle bourgeoisie en quête de représentation. L’art du portrait décèle un côté sous-jacent de séduction, il faut convaincre le modèle de passer commande et de poser pour l’artiste. La question est alors la suivante: Quels sont les éléments qui permettent aux clients de faire le choix de Sargent en tant que portraitiste ? L’artiste avait le sens de la mise en scène dans ses portraits, mais aussi la capacité de moduler ses techniques, selon ce qui lui était nécessaire. Les innovations artistiques faisaient partie de sa “palette” et ont permis que ses portraits soient à la fois flatteurs et audacieux, l’objectif même de ce que souhaitait représenter la nouvelle bourgeoisie de l’époque. Se montrer sous le meilleur angle, celui de John Singer Sargent. Il a su se démarquer du cadre académique en jouant avec les techniques classiques et en ajoutant ses touches personnelles, empreintes de douce originalité. Malgré sa disposition en la matière, ce ne fut pas une tâche aisée pour l’artiste, au point que lors de l’année 1907, Sargent annonce à l’un des confrères, Ralph Wormeley Curtis “plus de portraits”, car il est épuisé par la répétition de ce même exercice. Il déclare que : “Peindre un portrait pourrait être amusant, si l’on n’était pas contraint de faire la conversation en travaillant […] Quel ennui de devoir divertir la personne qui pose et de devoir paraître heureux alors qu’on ne l’est pas.” Cette difficulté de satisfaire les exigences des commanditaires le rend malheureux et l’épuise dans son travail. Malgré cette pause, il reçut tout au long de sa carrière une grande quantité de demandes de portraits provenant de toute l’Europe.
Le coup de pinceau et sa “touche enlevée”.
En effet, Sargent sait explorer les techniques, tout en connaissant ses propres limites. Certains éléments dans la composition de ses tableaux sont essentiels à l’expression de son style. On retrouve l’importance des valeurs tonales, ce qui signifie “la variation d’une couleur selon le degré de blanc ou de noir ajouté ce qui permet de donner une unité organique” (selon Maureen Marozeau, historienne de l’art et journaliste au Journal des arts). Il fait donc le choix, conscient, de s’orienter vers une certaine rangée de couleurs pour chaque tableau, en prenant en compte leur composition ainsi que la tenue du modèle. Il est également connu pour sa rapidité à réaliser une œuvre, mais aussi pour sa “touche enlevée”, ce geste léger du pinceau qui donne cette impression de flou, caractéristique de la peinture aquarelle. Mais pour l’artiste, ce geste est un geste précis et pensé en amont, il joue avec les effets de flou et de légèreté encore une fois en pleine conscience.
La lumière, également un élément principal, est mise en avant dans la majorité de ses tableaux. En tant qu’exemple, peut-être cité le tableau : Carnation, Lily, Lily, Rose entre l’automne 1885 et l’été 1886. La production de ce tableau s’étend sur deux années consécutives dû à son importance de la lumière. En effet, il souhaitait capturer une certaine lumière qu’il ne pouvait peindre seulement en fin de journée, au crépuscule. Afin de capter cette lumière, il peignait quelques instants chaque jour, en soirée. Cette notion de lueur, représentée par des couleurs considérées comme “pures”, sont fondamentales pour l’artiste. L’importance de la couleur joue un rôle très important au sein de ces œuvres notamment dans Carnation, Lily, Lily, Rose, où il met en scène les filles de l’illustrateur Frederick Barnard, Dorothy et Polly Barnard. A l’origine, Sargent avait choisi une jeune fille nommée Katharine Millet, fille de son hôte Francis Millet. Le souci de son premier modèle était la couleur de ses cheveux. La jeune fille avait des cheveux trop foncés, ce qui ne correspondait pas avec les couleurs que souhaitait l’artiste mais aussi la lumière du tableau. Tandis que celle des filles Barnard, était plus claire, et s’harmonisait mieux avec la composition du tableau. C’est d’ailleurs l’une des très rares peintures de Sargent qui trouve son inspiration dans le style impressionniste.

John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.
L’image de la parisienne.
“Les femmes de Paris de Sargent sont différentes : représentées comme des individus, elles sont aussi des femmes de substance”
Erica Hirshler, conservatrice au Museum of Fine Arts de Boston.
Bourgeoise, mais pas que, la parisienne incarne une renaissance. Ces femmes sont l’élégance, la beauté, la robe noire, la silhouette élancée. Mais pas seulement, ces femmes sont aussi des femmes pleines d’esprit. La parisienne n’est pas une simple femme, elle est un emblème de l’art de vivre. Durant des années, elles ont été considérées et vues comme des muses. Notamment la figure de Madame Derline, muse de tous les artistes des années 1860 et décrite comme étant la plus belle femme de Paris. Cette allure à la fois simple et chic est représentée à la perfection dans les portraits de Sargent. À cette époque, il fréquente beaucoup les salons de femmes, où elles partagent leurs pensées et idées. Ce qui lui permet de rentrer peu à peu dans leur cercle mais aussi de créer une complicité profonde avec celles-ci. Il choisit en tant qu’artiste et portraitiste, de mettre en avant la personnalité de ces femmes intelligentes, qui se cachent derrière cette image de la parisienne, vue uniquement à travers la notion de paraître.

John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.
Le clou de l’exposition, la majestueuse Madame X.
Le portrait de Madame X, est le tableau le plus connu du peintre John Singer Sargent, non pas parce qu’il est considéré comme un tableau exceptionnel, mais bien parce qu’il a fait scandale, lors du Salon de Paris de 1884. Alors que le peintre lui-même affirme que c’est bien celui-là, son plus grand chef-d’œuvre. Afin de comprendre l’impact qu’a pu avoir la réception de ce tableau sur le public présent au Salon, voici une critique provenant de “L’Art Amateur” (ancienne revue française mensuelle, spécialisée dans les Arts):
“ Ce portrait est tout simplement offensant dans son insolente laideur et son mépris de toutes les règles de l’art… Le dessin est mauvais, la couleur atroce, l’idéal artistique bas; tout le but du tableau n’est pas un ‘tour de force’ artistique et sensationnel restant dans les limites du véritable art, comme l’étaient jusqu’à présent les tableaux de Sargent au Salon, mais une exagération délibérée de chacune de ses vicieuses excentricités, simplement dans le but de faire parler de lui et de provoquer la controverse.”

John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.
Tout ce qui est mis en avant dans cette critique relève du négatif. En effet l’élaboration de ce portrait dépeint uniquement des éléments qui semblent être des éléments à scandale. On y retrouve: un décolleté plongeant, mettant en avant la poitrine de la modèle, Virginie Gautreau. Les bretelles de son élégante robe, sont également très fines, laissant apparaître des épaules dénudées. A l’origine, lors de la première exposition du tableau, la bretelle droite tombait de son épaule, le peintre à alors tout de suite repris le tableau et repeint celle-ci en espérant provoquer un peu moins d’esclandre de la part de son public. La pause, choisie par Sargent, a également son importance, en effet Madame X ne regarde pas l’artiste. Son visage est tourné vers la droite, laissant apparaître une posture considérée comme désinvolte, de supériorité. Sa blancheur de peau est aussi soulignée et ne passe pas inaperçue grâce à la robe noire portée par le modèle. Qui ressort d’autant plus, grâce au fond sombre de la peinture, un détail voulu par le peintre dont il s’est inspiré des œuvres de l’un des confrères, Velasquez. Ce tableau est reçu comme une volonté de la part de Sargent, de provoquer et de nuire à la bienséance parisienne et à ses codes sociaux. Néanmoins, il se dédouane de son association à une telle accusation en expliquant clairement, qu’il avait seulement voulu représenter l’élégance à la parisienne à travers le portrait de Virginie Gautreau.
Mais qui est Madame X ?
Virginie Gautreau, originaire de La Nouvelle-Orléans, arrive en France vers l’âge de 8 ans. Après avoir passé la majorité de sa scolarité au couvent, elle épouse l’homme d’affaires Pierre Gautreau, ce qui lui permet par la suite de rejoindre les cercles privés de la société parisienne. Elle y est connue pour soigner son apparence. En effet chaque sortie mondaine est un prétexte pour mettre en avant des tenues audacieuses et hors du commun. Elle soigne chacune de ses apparitions, met en avant sa silhouette élancée avec des tenues bien ajustées, et accorde ses toilettes. Chacune de ses sorties est donc scrutée et étudiée. Considérée comme l’une des plus belles beautés de Paris, Sargent la convainc de poser pour lui. En effet, il souhaite dépeindre cette vie et société parisienne et Gautreau veut y briller. C’est de cette volonté que leur collaboration artistique naît. Après de longues heures de poses et de travail, naît Madame X, en vue d’anonymiser son modèle, même si elle y est reconnaissable. Virginie Gautreau à beaucoup souffert des critiques à l’encontre de ce tableau, à tel point qu’elle demande à Sargent de le retirer du Salon. Ce que l’artiste ne fera pas.
Après le scandale au Salon de Paris de 1884, Sargent continue malgré tout d’exposer ses œuvres jusqu’au début du XXe siècle et met en avant l’art parisien. Il rentre à Londres et y restera pour le reste de sa carrière, parsemée de voyages à travers l’Europe où il développera son goût pour les paysages à travers de nombreux tableaux. Aujourd’hui, il est toujours considéré comme l’un des plus grands peintres américains du XIXe siècle. Artiste qui a su moderniser la peinture académique notamment grâce à ses fins talents de portraitiste appliqués à la Belle Epoque. Concernant le portrait de Madame X, Sargent gardera le tableau dans son atelier en Angleterre avant de le vendre au Metropolitan Museum of Art de New York en 1916, juste après le décès de Virginie Gautreau. John Singer Sargent décède le 14 avril 1925 à Londres, avec à la main un livre de Voltaire, témoignant de son profond attachement à la culture française et à son amour pour la vie parisienne.
Pour conclure, voici une sélection de quelques portraits que vous pouvez retrouver à l’exposition Eblouir Paris au Musée d’Orsay.

John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.

John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.

John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.

John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.
*La majorité des images sont des photographies que j’ai prises personnellement au Musée d’Orsay.
**Pour les autres voici les liens :
Madame X, 1884. John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.
Portrait de Dame Agnew de Lochnaw, 1892. John Singer Sargent, Musée d’Orsay, Paris.
