
Philomène BOIVIN | Disclaimer : Ce récit est fictif et contient des allusions au chantage avec des nudes
De long en large, il balayait du regard les courbes de son corps. Sous l’œil autant doux qu’obscène de cet homme, sa peau brûlait de désir. Lui qui semblait enfin la voir vraiment. La muse dont il admirait la beauté si singulière. Enfin leur corps s’entrechoquaient dans la manière la plus délicate qui soit sur terre, et l’aura qui émanait de leur union n’était que pureté et dévotion. A travers ses vergetures et ses cicatrices on pouvait lire les épreuves que la vie lui avait fait traverser. Dans le regard de son amant on devinait que chaque anomalie de sa peau sublimait la femme qu’elle était intérieurement comme extérieurement. Quand il détournait le regard, même le temps d’un battement de cil, il laissait s’échapper un long soupir. Aussi bien en gage de son agacement profond à l’idée de devoir détourner ses yeux d’elle, qu’en témoignage de sa faiblesse face à un moment d’une telle intensité. Rien qu’une pensée à la beauté féerique de cette femme suiffisait à lui faire perdre toute emprise sur ses émotions. Face à elle, il était désemparé. Répétitivement, il la marquait d’affectueux baisers, laissant paraître sur la peau de sa bien aimée l’électricité qui ondulait les surfaces de son corps. A travers leurs yeux on lisait l’amour. Lui, Adam, elle, Ève, c’était écrit. Bien qu’aucun des deux ne fut religieux, la coïncidence était trop grande pour qu’on croient réellement à une coïncidence. Depuis le départ, ils savaient pertinemment à quoi ressemblerait l’arrivée. Au final seul Adam se doutait réellement des événements futurs, une tournure dont Ève, elle, n’aurait jamais pu se douter.
Dans la tête de notre protagoniste, ce récit n’est à présent plus qu’un souvenir. Un passé lointain, non, mais un passé révolu, oui. Comme tous les matins depuis 3 semaines, Ève se lève à 6h40, incapable de dormir plus longtemps que passé cette heure. Pourtant, les bras de morphée ne l’ont trouvé que quelques heures auparavant cette nuit. Le croissant rabougri sur la table, délaissé de la veille, n’est même plus assez appétissant pour lui servir de petit déjeuner de la flemme. Le reste de café fera l’affaire. Une fois installée sur son canapé, elle ouvre ses mails du boulot, elle commence à lire, à répondre et à trier. Lorsqu’au bout de longues minutes à répéter ce même processus robotique, son regard dévie sur la police grasse du titre accrocheur d’un de ces mails : “Lil Wayne en concert à Lyon !!”. Nul besoin de plus d’artifices pour attirer son attention, elle clique pour en découvrir le contenu. Simple et efficace, à l’intérieur il est écrit : « Je sais que tu es fan, alors naturellement j’ai pensé à toi. Je sais aussi qu’avec tout ce qu’il c’est passé dernièrement, tu fuis les réseaux comme la peste, d’où le mail pour m’assurer que l’info te parvienne. La billetterie n’a pas encore ouvert, je t’ai joint le lien vers la page instagram où se trouvent toutes les infos ».
À juste titre, ces derniers jours, Ève avait tout sauf envie de retourner sur les réseaux. Traîner pendant des heures à voir la vie superficiellement parfaite des autres, voir à quel point tout le monde est beau, heureux et amoureux. Car même si elle est consciente de cette façade mensongère, en attendant, eux, arrivent à trouver de quoi faire semblant. Tandis qu’actuellement, rien qui entoure notre protagoniste ne lui donne matière à tourner le court des choses en positif. Rien. Sa mère est en vacances en Ardèche, loin du moindre signe d’humanité et ainsi complètement injoignable. Son père cherche encore le rayon produits laitiers. Ses amis ne sont ses amis que lorsqu’il s’agit de liker ou commenter la story de l’autre, il faudra en trouver d’autres l’année prochaine. Pour couronner le tout, celui qu’elle pensait mériter son amour le plus passionnel n’était désormais plus sien, plus son homme, plus sa moitié, plus son tout. Il n’est plus qu’un souvenir, une succession d’images dans sa mémoire et l’intériorisation de ce constat cause au plus profond de son âme une douleur jamais ressentie auparavant. Depuis maintenant trois semaines, c’est cette même douleur qui se transforme et qui mute progressivement en une boule de nostalgie et de regret.
En retournant sur le réseau de ses angoisses, involontairement, Ève s’apprête à nourrir plus que jamais des tourments qu’elle n’aurait jamais imaginé réveiller.
