
Sara Machtou | À la sortie de la messe du soir dans la région libanaise de Jounieh, un homme vêtu d’un large polo gris, aux épaules affaissées et le regard au loin, se tient sur le parvis de la Cathédrale Saint Georges Des Maronites, située dans la ville côtière de Kaslik. « Ici je ne suis rien » me confie t-il.
Des conditions de vie difficiles

« Je ne suis pas considéré comme un être humain […] je ne perçois aucune aide à l’exception de celle de l’église et de l’État. Chacune me remet un bon d’achat me permettant de faire mes courses dans un supermarché à proximité. Je ne peux pas travailler, avant je n’avais même pas où dormir. Là, je vis dans une petite chambre en compagnie de ma mère, mon père et mon frère. On est enfermés à l’intérieur. Mes seules sorties consistent à me rendre à l’église. ». Des millions de Syriens dépendent de différentes aides humanitaires telles que religieuses, nationales ou internationales, afin de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. La diminution de l’aide apportée aux réfugiés syriens au Liban a provoqué un appauvrissement en hausse depuis ces dernières années à leur égard. La nécessité pour la grande majorité des travailleurs indépendants d’avant-guerre de devoir loger leur famille dans les chambres qu’ils partageaient avec d’autres ouvriers était alors inenvisageable. Cette situation amena à une augmentation exorbitante des prix du loyer pour parfois une simple chambre exiguë. Les frais médicaux sont l’une des craintes majeures pour de nombreuses familles, une mère de famille raconte : « Un jour au Liban, ma fille a eu un accident de voiture, le mec lui a mis de l’eau sur le visage et l’a laissée sur le bord de la route. Il fallait qu’on avance les frais avant qu’elle puisse rentrer à l’hôpital. L’Unicef a payé la moitié et nous le restant d’un montant de 3500 dollars. » .
Halima*, une autre mère de famille relate avec désolation : « Les conditions du bâtiment étaient tellement insalubres que des fils pendaient de partout et ma fille s’est électrocutée. On a dû l’envoyer en Syrie pour se faire soigner, elle est complètement brûlée. »

Faute de moyens, beaucoup mettent en œuvre un éventuel retour, cela malgré les risques encourus dans un pays toujours en guerre. Bassel, un autre réfugié de la ville de Tripoli au nord du pays en fait l’amer constat : « Dans deux mois si je n’ai pas de réponse concernant ma demande d’asile pour la France, et bien même si c’est risqué je rentrerai. Au retour ils vont enquêter sur moi durant 6 mois sur ce que j’ai pu faire au Liban. Je n’ai pas peur car à un moment donné dans la vie quand il faut prendre une décision il faut la prendre .[…] J’y ai pensé à la mort, mais ça passe en second lieu comparé à la possibilité de revenir à sa vie d’avant. »
Un retour impossible pour certains
Mais, si certains peuvent envisager un possible retour, il n’en est pas du cas de tous. De nombreux bastions de rebelles où des habitants résidaient à proximité font encore l’objet de combats et de bombardements quotidiens. Beaucoup sont alors contraints de rester sur place faute de devoir, une fois de retour au pays, être enrôlés de force dans l’armée. Cette situation amène la famille à demeurer au Liban. Autrement une partie d’entre elle, généralement sans le père, rentre en attendant la fin de la guerre. Isam, réfugié syrien dans la ville de Saïda, le regrette : « Je ne peux pas rentrer car je suis toujours sur la liste de l’armée. Ou bien je tuais un frère, un voisin, un cousin ou bien je me serais tué. J’avais un couteau sous la gorge, j’ai préféré partir.[…] Les Palestiniens n’ont pas de droits, on est pire qu’eux. On est dans les oubliettes. Dans ce bled les animaux sont mieux considérés que nous ». Les autorités libanaises n’ayant ni ratifié la Convention de Genève de 1951, ni le Protocole de New York de 1967 ne reconnaissent pas, de fait, le statut de réfugié aux Syriens. Bon nombre ne déplorent pas seulement leurs conditions de vie, mais bien la conjoncture politique consistant à les traiter comme des individus à part entière vis-à-vis des libanais, ce qu’ils jugent comme profondément déshumanisant. Bassel poursuit : « Le Hezbollah est avec le régime syrien et contre les Syriens. C’est du business car ils ne peuvent se mettre contre l’État libanais. »
Nombreux y voient dans cette situation l’influence grandissante du Hezbollah, allié de Damas, désireux d’un retour rapide des réfugiés syriens chez eux, hors du sol libanais.

Isam rajoute : « Tous les quatre ou cinq mois, des soldats libanais viennent dans le camp et nous mettent tous contre le mur, ils fouillent les chambres, après ils partent. S’ils ont des soupçons, ils ramènent les personnes avec eux. Ils ne préviennent pas de leur venue, ils débarquent le matin au moment où il y en a qui dorment encore. »
Bassel m’explique : « S’ils voient un syrien dans le bus, ils le font descendre, l’emmène directement en prison et il séjourne un ou deux jours en taule. » Avec l’instauration de contrôles arbitraires et d’un couvre-feu, il leur est en plus interdit d’être propriétaire d’une voiture, d’un commerce ou de toute autre propriété, voire même de souscrire à une assurance. Les réfugiés syriens estiment que tout est fait pour qu’ils restent une main-d’œuvre bon marché et exploitable, car devant toujours être sous la coupe d’un libanais.
Une scolarisation à l’abandon
Ils perçoivent aussi ce contraste dans le domaine de l’enseignement qu’ils considèrent médiocre et ne permettant pas à leurs enfants d’obtenir une instruction au même titre que les libanais, voire d’acquérir les compétences nécessaires à une éventuelle entrée dans le monde du travail. À nouveau pour Bassel : « Il faut une éducation pour les enfants car ici ils n’ont pas d’avenir. Sinon, il se passera ce qu’il s’est passé pour les Palestiniens pendant plus de 40 ans. ». Des milliers d’enfants syriens ne sont pas scolarisés et pour ceux qui profitent de l’enseignement public, ils n’obtiennent en définitive aucun diplôme, car il ne serait pas reconnu par le pouvoir en place. Le transport constitue une première entrave à la scolarisation car elle est à la charge des parents. Les horaires de cours des enfants syriens de l’après-midi diffèrent des libanais au matin, horaire plus propice au travail. Mais, la crainte des parents se situe surtout dans le fait qu’il subsiste un risque réel de harcèlement et de racisme autant de la part des conducteurs de bus que des professeurs. Cette situation amène à inhiber toute possibilité d’inclusion des enfants de parents syriens dans la société libanaise.
Le constat est sans appel pour de nombreuses familles réfugiées au Liban ; ils ne sont pas les bienvenus et ne le seront jamais. Un choix se porte alors, celui de repartir chez soi ou de plier bagage ailleurs coûte que coûte, tant qu’est possible l’espoir d’un avenir un tant soit peu meilleur.
*Les prénoms de cet article ont été changé afin de conserver l’anonymat des témoignages.
Suite à une enquête de terrain réalisée par Sara Machtou en mai 2019 au Liban