Pauline PERRET | Les demoiselles de Rochefort au Théâtre du Lido, c’est la nouvelle comédie musicale qui fait battre la capitale depuis le 2 octobre. Sur le devant de la scène, les personnages mythiques du film de Jacques Demy nous invitent à ressentir la joie et l’espoir qui les caractérisent, le tout sur une magnifique adaptation de la musique de Michel Legrand.

Ce samedi 4 septembre à 15h00, sur la scène du Lido, ancien cabaret parisien transformé en une salle de théâtre depuis 2022, j’ai eu la chance d’assister à une magnifique adaptation d’un film que j’adore : Les demoiselles de Rochefort. Comme dans le film, le spectacle s’ouvre sur la chorégraphie des forains qui arrivent à Rochefort. Entraînés sur les airs mythiques de Michel Legrand, les corps souples des danseurs se tendent et se plient dans des mouvements de jazz qui ne sont pas sans rappeler ceux des danseurs du film de 1967 de Jacques Demy, transmettant au public leur énergie si gaie et inépuisable. Dans ce premier tourbillon, je remarque alors que l’ode à la jeunesse et à la joie du film est une mélodie qui sonne toujours aux oreilles des personnages de cette comédie musicale : les forains, les demoiselles, Andy (Paul Amrani) ou encore Maxence (David Marino) sont de ces personnages que le désespoir ne semble jamais toucher trop longtemps, puisqu’ils sont motivés par leurs rêves, par l’amour et par leurs idéaux. Cette joie se ressent également chez les spectateurs : transmis par les danseurs, par les tonalités vives de la musique, ce sentiment chaleureux se répand dans le public. Dès que la première note de musique retentit, je me mets à sourire comme le reste de la salle : à ce moment, la petite fille en moi est si heureuse de pouvoir être le témoin physique de l’aventure de ces demoiselles que j’admirais enfant et que j’admire toujours !
Apparaissent alors les jumelles tant attendues, Delphine et Solange Garnier, interprétées respectivement par les talentueuses chanteuses lyriques Juliette Tacchino et Marine Chagnon cet après-midi (Maïlys Arbaoui-Westphal et Sophia Stern incarnant alternativement les célèbres jumelles), la première répétant ses exercices de danse, la seconde assise au piano. Dans ce premier tableau presque identique à celui du film, elles entonnent leur chanson, la plus connue, celle commençant par ce fameux refrain que l’on a tous entendu au moins une fois : « Nous sommes deux sœurs jumelles, nées sous le signe des gémeaux ». Du début jusqu’à la fin, cette comédie musicale ne cesse d’émerveiller : la mise en scène colorée de Gilles Rico, la somptueuse chorégraphie de Joanna Goodwin, le scintillement vif des costumes conçus par Alexis Mabille, la magnifique scénographie de Bruno de Lavenère ou encore le talent musical de chaque artiste présent sur scène (et hors scène) rendent perceptible et presque tangible l’esprit du film.
C’est peut-être pour cette raison que je voulais parler de cette œuvre qui, bien qu’elle ait un peu moins de soixante ans, me semble toujours actuelle. A l’immobilité, le regret ou la violence, s’opposent le mouvement, l’espoir, et l’amour, que les personnages les plus jeunes partagent à tous ceux qui les entourent. Certains personnages, tel celui d’Yvonne Garnier (Valérie Gabail), la mère des jumelles, sont immobilisés au début de cette histoire par leurs regrets passés : pleine d’amertume de n’avoir pu épouser Simon Dame (Arnaud Leonard), celle-ci ne sort jamais de son petit café qu’elle tient toute seule. Elle s’oppose en cela à ses filles qui ne cessent de courir, d’arriver en retard à des rendez-vous professionnels ou galants, qui sont caractérisées par leur force d’action. Cette nouvelle génération que représentent bien Solange et Delphine est ainsi pleine d’ambition : monter à Paris, pouvoir profiter de ses opportunités, rencontrer gloire et succès, vivre des aventures, voilà le rêve ! Cet amour ou espoir s’oppose au pessimisme des journaux à sensation et à la violence qui traînent dans Rochefort : au meurtre sadique de Dutrouz (Alain Dion) s’oppose la fête foraine, dans laquelle les danseuses ne sont pas tuées, mais au contraire célébrées !
Mais cette joie, collective et personnelle, n’est pas un faux bonheur, puisqu’elle n’exclut pas les moments de mélancolie des personnages qui méditent sur leur « idéal » amoureux. Celui-ci est en effet plus conçu comme une rencontre entre deux âmes qui se reconnaissent dans leur art ou sensibilité que comme ce qui devrait combler un manque affectif : Yvonne court rejoindre Simon, l’amour de sa vie, qui vit en fait toujours à Rochefort, Solange et Andy se retrouvent dans la musique, tandis que Delphine et Maxence, dont la rencontre ne nous est pas montrée, inventent leur idéal qui est déjà incarné dans la réalité. Cette défense de la jeunesse d’esprit, n’est pas seulement celle de la jeunesse des années 60, mais aussi de celle d’aujourd’hui : en tant que jeune femme, assister à ce spectacle m’a montré l’importance de la fête et de la joie collective dans notre société qui parfois tend à pointer du doigt l’incertitude de notre avenir. L’avenir des demoiselles est en lui-même incertain : vont-elles devenir les artistes renommées qu’elles rêvent d’être ? Peu importe, puisqu’elles sont mues par ce désir de l’art qui les remplit de tout leur être et par l’amour qu’elles ont pour le monde.

