Dévêtue Éternelle (2/2) 

Philomène BOIVIN | Disclaimer : Ce récit est fictif et contient des allusions au chantage avec des nudes

“muses” by Conrad Roset (#845)

Le message qui l’attend parmi ses nombreuses notifications instagram, comme au chamboule tout, a l’effet d’une balle qui rompt la stabilité. Une bombe dont la ficelle n’attendait qu’à être allumée et qui vient d’exploser. En l’occurrence, il en fallut peu pour détruire l’équilibre fragile qu’avait trouvé Ève dans son état. Un clic et tout dégringole. Un clic et une vie est anéantie. Un clic et tout autour d’elle devient source de doutes et de questions. Ce qui se trouve sous ses yeux n’est pas réellement un message comme on l’entend au sens général, ce ne sont pas des mots, ni des phrases, ni des émojis. Il s’agit là d’une photo. Chair apparente, vêtements dévêtis, visage plus que reconnaissable. Cette photo, c’est une photo d’elle. Dans une des positions les plus délicates, en un instant, devenue l’une des positions les plus dégradantes. Dans un instinct primitif de protection, Ève, referme l’onglet. Pendant quatre longues minutes, elle garde les yeux fermés, les bras autour du corps tel un bouclier. Tout s’emmêle dans son esprit, les questions s’enchaînent, l’incompréhension grandit et son mal-être aussi. Pour autant, le premier sentiment qui s’empare d’elle n’est pas le désemparement ou la tristesse, c’est la douleur.  

Comment a-t-il pu la trahir ? Depuis quand la détient-il ? Quand a-t-il pris cette photo, proche de la fin ou au début de la relation ? Que compte-t-il en faire ? Qu’est-ce que ça veut dire ? L’avait-il vraiment aimé ? Puis toutes ces questions, vite, sont remplacées par une simple réalisation : l’amour le plus pur qu’elle n’ait jamais connu vient de se transformer en la menace la plus pernicieuse qui soit. Entre ses mains il détient le plein pouvoir et l’emprise qu’il a dorénavant sur elle, est un danger que personne n’aurait pu prévenir. Comment le guérir ? A peine la profonde souffrance s’engraine au fond du cœur d’Ève qu’elle reçoit de nouveau un couteau dans le dos. Une seconde photo lui parvient le lendemain. Face à cette dernière, elle ne se laisse pas faire. Des mois pour se remettre de l’épisode Adam, c’est acceptable une fois et une fois seulement. Pour cette seconde saison, Ève change de stratégie. Aujourd’hui la honte change de camp. Un élan de rébellion s’empare d’elle. Comme guidé par la rage féminine, ses doigts se mettent à écrire tout seul sur le clavier. “ Et ça se dit défendre les droits des femmes, sale poisseux. Pourquoi tu me fais ça ?! tu m’as pas rendu assez misérable comme ça, hein, ça te suffit pas ? Ta mère se retournerait dans sa tombe, sale ordure. “ Pas le temps pour la relecture, elle envoie. 

L’assurance qui transparaît dans ce message est loin d’être un fiable indicateur du ressenti actuel de la femme qui l’envoit. En réalité, la veille, Ève n’a pas fermé l’œil de la nuit. Pas une minute. En se lavant le matin, elle a passé 20 minutes à frotter la fleur de douche contre sa peau, prenant grand soin de ne laisser aucune partie de son corps échapper à la mousse du savon. Elle a regardé l’eau couler sur ses jambes en espérant qu’elle efface par la même occasion le toucher laissé par son ancien amant. Celui en lequel Ève a eu entièrement confiance, devenu le martyre des ses plus grandes angoisses. La peur n’a jamais été aussi consciente. La peur du regard des autres. Son regard à elle et son regard à lui. A travers le regard d’Adam, quels regards allaient-ils maintenant poser sur elle ? C’est ça qui risque de la détruire si ces photos sortent. Les miroirs au-dessus de son évier où elle se lave les dents la dégoûtent et son regard fixé au sol depuis ce premier “message” ne lui a permis d’apercevoir que les traces laissées par terre par les larmes qui dégoulinent encore sur ses joues.  

Mais que cherche-t-il à faire ? Aucune photo n’est encore diffusée et ça Ève en est certaine. Attentive au moindre bout de chair apparent qui pourrait lui appartenir, elle a passé d’innombrables heures à décortiquer Instagram et Twitter. Cherchant chaque jours depuis l’incident les dernières trends, les #nudes, et les recherches les plus effectuées dernièrement sur autant de réseaux qu’il en existe. Il n’a ajouté aucun mot à ces images, nul besoin de faire parvenir un autre message, les images en elles-mêmes se suffisent. Non; pas besoin de mots pour que le message passe. C’est lorsqu’elle compris cela, qu’elle compris la réelle ampleur de la menace. C’est quand la menace n’est pas explicite qu’elle est la plus dangereuse. L’incertitude de son existence la rend oppressante, le fait que l’on y pense sans même qu’elle soit prononcée la rend valable et de ce fait l’édifi. Alors quand elle sort, ce n’est plus seulement devant les passages piétons qu’elle regarde à gauche et à droite. Quand elle est chez elle, c’est son écran qui l’omnibule. Quand elle va au travail, elle se retourne chaque demi heures pour vérifier si le regard qu’elle sent posé sur son dos est simple fruit de son imagination ou bien celui de son collègue Nathan qui par n’importe quel coût du sort aurait été mis au courant de sa plus grande honte. Quand elle va à la boulangerie, elle passe devant celle en bas de chez lui avant de faire un détour pour trouver celle qui se trouve 800m plus loin, de peur de croiser son regard. Marquez la nuance, ce n’est point de lui qu’elle a peur, c’est de son regard. Si Ève, par une belle journée, le réalise, peut-être sera-t-elle libérée. Car au fond le regard d’un con reste le regard d’un con. En attendant, Ève cède à la pression d’une menace imaginaire qui l’enferme chez elle. Pour notre protagoniste, vivre, désormais, revient à fuir la menace d’un jour re-croiser son regard. Ainsi la vie se fane, l’estime se décolle de la tige et dans son cœur se mettent à pousser des piques de roses transperçant le peu de confiance que jamais elle n’a réellement eu. A vivre à travers les autres on finit par s’oublier. Obsédé par la vision d’autrui on en délaisse son bien être. 

Et pour lui rien n’a changé, c’est de l’histoire oubliée. 

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