Orlane Escoffier, le 07/02/12
Pauk Golub et le théâtre du volcan bleu,
Thâtre de l’Atalante, du 1er au 20 février 2012.
« Tous les contes d’Edgar Poe sont pour ainsi dire biographiques. »
Cette citation de Baudelaire pourrait parfaitement servir de sous-titre à Mystère Poe, la création de la compagnie du Volcan Bleu, programmée au théâtre de l’Atalante, dans le 18ème . La mise en scène est signée Paul Golub, ainsi que l’adaptation textuelle.
En effet, le spectacle reprend plusieurs nouvelles- le texte originel est conservé- et retrace la vie du romancier Edgar Allan Poe.
Ecrivain américain du début du XVIIIème siècle, il est considéré comme le père fondateur du roman noir et l’inspirateur des littératures de l’imaginaire moderne, en particulier le fantastique. On ne manque pas de nous le rappeler, un peu naïvement certes, dès le commencement du spectacle: « Poe, qui inspira Jules Verne et Maupassant ». L’univers du roman noir est bel et bien présent. Eclairage à la bougie, chandelier lugubre, grimoires éparpillés sur le sol, nuit d’orage et éclairs tonitruants…là où l’on peut s’attendre à un spectacle riche en personnages, comme autant de fantômes qui peuplent les nouvelles du romancier, la pièce n’est jouée que par deux comédiens, Marc Jeacourt et Rainer Sievert. Une dualité légèrement décevante si l’on s’attend à côtoyer le panel des personnages inventés par Poe…Mais non moins justifiée.
Ces Dupont et Dupont, enquêteurs à la petite semaine sur Poe au début de la pièce, endossent successivement les rôles… et n’en jouent qu’un seul. Comment ? Un seul rôle et plusieurs en même temps ? L’unique vrai personnage de la pièce est Edgar Poe. C’est, du moins, le seul personnage que l’on tient à identifier, ce qui a pour effet d’augmenter l’étrangeté de la pièce. Ce n’est évidemment pas anodin quand on parle de l’auteur de Ligeia et du Chat noir.
La première nouvelle est amenée très justement. Le jeune Edgar est à l’université, nous dit-on, et peine à boucler les fins de mois. Son énervement croît, jusqu’à ce qu’il nous raconte la raison de sa décrépitude. Commence alors l’histoire de William Wilson, poursuivi jusqu’à sa mort par son double homonyme. Alors qu’est-ce que cet épisode ? Un épisode biographique ou une fiction ? L’hésitation est le maitre mot du fantastique. On hésite bel et bien tout le long de la pièce, comme on hésite à la lecture des œuvres de Poe. Ce double est-il le fruit d’un esprit dérangé ? Ou est il réel ?
On ne se contente pas de nous raconter la vie d’Edgar Poe. Dans la dernière nouvelle, Eléonora, le narrateur promet à sa femme mourante de ne jamais la remplacer, mais finit par rompre cette promesse en se remariant. A sa grande surprise, il reçoit la visite de la défunte qui lui apporte son approbation quant à sa nouvelle vie : cette visite sert de tremplin à la conclusion du spectacle, qui expose la base idéologique de Poe. Les morts, les fantômes sont omniprésents chez les vivants. Ils sont la peur, et l’angoisse, la face cachée du conscient, qui empêchent le sujet de vivre pleinement. Le fantôme et le double sont les différents reflets d’une même face, celle du narrateur en proie avec ses pulsions et ses délires. Au moment où il érige cette théorie, il sent déjà poindre les prémices de la schizophrénie laquelle aura raison de lui, en 1849.
Exposé littéraire, philosophique d’un côté, incarnation plus vraie que nature de l’écrivain de l’autre… Le public ne sait pas à qui il a à faire. Les deux personnages du début sont-ils de simples passionnés qui, pendant une heure, s’enflamment pour leur idole, allant jusqu’à jouer l’auteur du Corbeau ? Peu probable… Ou est-ce Poe qui, à la manière d’un fantôme, témoigne de son existence, et revient sur des épisodes passés en observant et commentant les actes de son double ? Ce double appartient alors à une « autre dimension », un passé qui revit sur scène le temps de la pièce. Dans ce cas, le Poe qui s’adresse au public ne peut être qu’une seule chose… un fantôme. Le double, encore et toujours, est présent jusqu‘au parti pris de la mise en scène. Les deux comédiens, vêtus à l’identique, s’affrontent et se consolent, se parlent et se disputent, s’agressent et se rassurent. Deux comédiens pour un personnage duel, tourmenté tel que Poe. Le choix n’est certes pas très original mais fonctionne.
Si la mise en scène, le jeu est parfois un peu jeune, un peu primaire, il est important de souligner l’audace du théâtre du Volcan bleu et de l’Atalante. Poe, est certes un auteur reconnu aujourd’hui -contrairement à son époque- mais en aucun cas un auteur de théâtre. Le fantastique n’a pas sa place sur les scènes des grands théâtres, considéré comme un genre mineur par le monde universitaire et artistique. Or, Mystère Poe, relève le défi de parler de ces genres renégats sur les planches d‘un petit théâtre de quartier, et, par extension, nous parle du théâtre.
On sent poindre cette volonté métathéâtrale quand les comédiens, à la fin, éteignent eux-mêmes les bougies du décor, ou se changent à la vue du public. Mais, et c’est dommage, le dispositif n’est pas mené jusqu’au bout. La volonté d’intégrer le théâtre aux nouvelles jouées sur scène passe également par le passage de la marionnette pour jouer Lionnerie et le “traité de nosologie”, un court récit potache qui ne manque pas de faire rire le public. On peine à comprendre le lien avec le parti pris du spectacle, à savoir l’amalgame entre les nouvelles de Poe et sa vie, mais on salue la performance des deux acteurs en marionnettistes. Quoiqu’il en soit, on adhère à cette démarche de parler de théâtre à travers un sujet qui ne semble absolument pas propice à ce genre d‘exercice.
Le théâtre n’est-il pas double par essence ? N’est-ce pas un subtil mélange entre réalité et fiction, comme le récit fantastique ? La convention théâtrale, qui implique que nous acceptions de croire à ce qui se passe sur scène, n’est-elle pas peu ou prou la même que pour le lecteur qui ouvre un recueil de Poe pour y trouver fantômes et doubles maléfiques? A méditer…