Justine Le Moult, 18/11/2012
Augustine, d’Alice Winocour. Avec Vincent Lindon et Soko.
Sexe et névrose sont des tropismes inextricablement mêlés depuis Freud. Il y a quelques mois, A dangerous method défrayait déjà la chronique en parlant de ces forces obscures, cachées au plus profond de soi; David Cronenberg y mettait en scène une hystérie hyper-sexualisée (trop?) dévorant peu à peu le pauvre docteur Jung, entraîné dans la folie lascive de sa patiente. Augustine, c’est tout le contraire: la mise à nu d’une âme par la mise à nu préalable du corps, la retenue et la pudeur, l’énigmatique et le mystique, jusqu’à l’écran noir du générique de fin. Nous sommes en 1885. Les murs gris de la Pitié Salpêtrière s’étendent devant nous, hôpital autant que prison. Augustine, jeune femme de 19 ans, devient la patiente privilégiée du Professeur Charcot, qui tente de découvrir le mystère de cette maladie étrange et mystérieuse qui touche uniquement les femmes: l’hystérie.
Or, de la patiente au cobaye, il n’y a qu’un pas: Augustine, c’est l’eldorado de Charcot (un Vincent Lindon toujours très juste, cigarette au bec), lieu de toutes les expériences, voire de tous les fantasmes, de cet homme froid, rude, aveuglé par l’ambition et exempt de toute compassion. Sujet d’étude donc, sujet de désir aussi. Car du tourmenté au tourmenteur, il n’y a qu’un pas… qu’Augustine (interprétée par la chanteuse Soko, qui se révèle très impressionnante actrice, femme-enfant troublante et énigmatique jusqu’à la fin) franchit aisément. Au bout du compte, qui ausculte qui, qui se sert de qui?
Le sujet met mal à l’aise: ces corps mutilés, figés, ces visages de femmes hantés par les stigmates d’une névrose dévorante, angoissent. Le clair-obscur, dès la première scène, nous enferme dans cette cruauté douce qui est le quotidien de ces femmes de l’ombre. Aux éclats sombres des maisons bourgeoises et des couloirs de l’hôpital répond la lumière crue, clinique, des jours d’automne, qui désincarne tout, dans un traitement pictural des couleurs qui rappellent les tableaux des grands maîtres tel Rembrandt ou Le Caravage.
La violence, est partout là, latente, dans le rouge vif d’une robe dans la brume, dans ces regards-caméra des patientes qui nous interpellent: fiction ou réalité? La bande-son crie la souffrance muette, indicible, impossible à représenter, de ces femmes condamnées au silence. Les scènes sont lentes, étouffantes, comme les lentes journées d’automne passées entre quatre murs, dans la moiteur d’une chambre, ou à se donner en spectacle devant les cénacles d’académiciens, voyeurs (scientifiques ou concupiscents?). C’est un film du corps, des corps, qui se dénudent, se dévoilent, se désirent. Corps défigurés, transfigurés par la maladie et l’ardeur, entre Eros et Thanatos. Mais des corps toujours distants, qui échappent à l’emprise, filmés d’une manière quasi-anatomiste, propre au regard de l’époque. La maîtrise d’Alice Winocour, tant sur le plan esthétique que scénaristique, emporte autant qu’elle oppresse et dérange. Un film à la perfection formelle classique mais éminemment moderne.
Contente de te retrouver ici, Justine ! Je viens de lire quelques-unes de tes critiques et elles sont très chouettes, bien écrites ! J’ai loupé ce film, malheureusement, mais il avait l’air très intéressant… plus peut-être que celui de Cronenberg, trop bâclé à mon goût !