S.,
le 03/05/13
Free Angela Davis and all political prisoners : procès du film
Shola Lynch
3 avril 2013
1h37
Angela Davis, forte d’un parcours hors du commun, intellectuelle partie faire des études en Europe, revenue aux Etats-Unis mener la lutte pour les droits civiques, proche des Black Panthers, renvoyée de l’Université de Californie pour cause d’appartenance au parti communiste, accusée d’avoir organisé une fusillade, traquée par le FBI, retrouvée, emprisonnée, soutenue dans le monde entier lors de son procès – Angela Davis peut allègrement inspirer ceux qui voudraient faire un biopic ou un documentaire à son sujet.
On regrettera les choix faciles de mise en scène, de présentation des informations, de narration, que celui-ci effectue. Perdu dans la richesse de ses archives et de ses témoignages, le documentaire trace une ligne pré-définie, plaisante, proprette. Pire, il y mêle le goût banalisé des films et des séries américaines pour la dramatisation des étapes judiciaires.
Le film s’appuie, pour aller et venir du présent au passé, sur plusieurs procédés convenus. Les interviews d’Angela Davis, de ses proches, de ses amis, de ses avocats le ponctuent. Ces témoignages peuvent être touchants, et celui d’Angela Davis est particulièrement intéressant dans la mesure où il se superpose aux images de sa jeunesse, et qu’elle peut affirmer – quand le film touche à sa fin – que le combat n’est pas fini, qu’il ne faut pas s’endormir ; sa voix placée parmi d’autres témoignages donne plusieurs éclairages sur son procès, les témoins revivent devant la caméra les évènements de l’époque et parviennent, par moments, à nous interpeller. Les archives sonores et vidéos, les conférences, les discours d’Angela Davis peuvent également être captivants – quelle oratrice ! – et on ne peut que féliciter le rassemblement de tels documents. Cependant, la qualité des témoignages et de ces archives sont souvent amoindries par des techniques de montage proches de ceux d’un reportage télévisuel : l’enchainement très rapide des plans présentant des photos, des articles de journaux, la mise en relief de phrases et mots, mis en caractère gras, dans ces derniers. Le grief majeur étant – sans doute présents pour dynamiser le documentaire – les reconstitutions, les courts plans qui montrent la silhouette d’Angela Davis dans l’ombre. Ils n’apportent rien et contribuent à décrédibiliser le documentaire. L’un d’eux semble à la limite de la respectabilité : il montre, bien entendu de façon suggestive et dans l’ombre, une scène d’amour entre Angela Davis et le prisonnier George Jackson. Certes, l’évocation de cet amour est justifié dans la mesure où l’on accusera Angela Davis d’avoir entrepris la fusillade par passion pour le prisonnier – elle se défendra, comme le montre le témoignage intéressant d’une journaliste, en déplaçant le débat noir / blanc attendu vers un débat féministe, montrant qu’on l’accuse d’être irrationnelle et passionnelle parce qu’elle est une femme. Or, si le documentaire donne à voir cette Angela Davis féministe – on regrette qu’il n’expose pas d’ailleurs davantage ces idées à ce sujet – il est dommage qu’il touche à des écueils dénoncés par les gender studies, en revenant avec insistance sur l’histoire d’amour – allant jusqu’à en faire l’objet d’une reconstitution. Si le documentaire montre très bien comment Angela Davis est devenue une icône, et ce, dès le générique où l’on met l’accent sur ce qui la symbolise – sa coupe afro ; en montrant également ses « reproductions », humoristiquement par les photos des femmes arrêtées par le FBI parce qu’elles lui « ressemblaient » (dents du bonheur + coupe afro) ( visiblement, le FBI n’avait pas pensé à l’éventualité qu’elle se soit coupée les cheveux ) ; on peut se montrer déçu qu’il n’ait pas essayer de se départir de cette image iconique pour approcher davantage ce qui a forgé les pensées et les actes de la philosophe féministe et militante.
Parmi ces procédés documentaristes habituels, on peut se demander si les écarts et les subtilités repérées proviennent d’une réelle intention de penser le rapport au passé, la figure d’Angela Davis, ou du moins de s’écarter d’une forme stéréotypée proche du reportage, ou s’ils ne sont là qu’au même titre que les reconstitutions, pour varier et dynamiser le documentaire. Certaines archives en couleur passent soudain au noir et blanc, signalant peut-être leur valeur d’archive, le regard sur le passé qui transforme la réalité en mythe. Ces déplacements suscitent l’interrogation, de même que la médiation du procès non pas par des archives télévisuelles, mais par le récit des témoins agencés aux dessins du procès qui nous font voir ce qui n’a justement pas été enregistré. Ils demeurent assez rares pour que l’on puisse douter de leur portée, d’autant plus quand ils sont fondus dans une trame narrative qui entraîne davantage qu’elle ne fait réfléchir.
Peut-on reprocher à un film de ne pas renouveler l’esthétique du documentaire, s’il nous présente de manière synthétique et éclairante les informations qu’il entreprend de traiter, non sans pointes d’humour ? Sans doute la réponse est-elle non, et à ce titre – ni ennuyant ni bancal – Free Angela and all political prisoners reste instructif et n’est pas dénué d’intérêt pour ceux qui s’intéresseraient à ce qui a fait, d’une figure de femme noire montante – intellectuelle et subversive – une criminelle traquée par le FBI puis une icône défendue par-delà les frontières pendant son procès.
Le film est donc acquitté. Précisons que s’il ferait sans doute un bon documentaire télévisuel, son manque de recherche formelle peut laisser en reste les spectateurs venus le découvrir en salle.