Capucine Michelet, le 07/10/2013
Exposition Désirs & Volupté. Musée Jaquemart-André (jusqu’au 20 janvier 2014)
Il est des lieux que l’on sent encore habités, comme si l’écho de nos pas faisait résonner ceux des convives de bals prestigieux; que l’on pouvait encore voir deux amants s’échanger des regards sulfureux, dissimulés par de lourds rideaux de velours. Le musée Jaquemart-André compte parmi ceux-là. Il est aux parisiens un lieu d’escapade, un véritable cocon, la promesse d’une parenthèse urbaine.
Une atmosphère si particulière qui accueille, pour quelques mois encore, les beautés de la peinture victorienne et qui leur érigent à toutes une place de reine. L’exposition n’aurait été possible sans l’accord du collectionneur Juan Antonio Pérez Simón qui témoigne avec modestie « Tous ceux qui, comme moi, ne possèdent pas ce merveilleux don de créer la beauté grâce à l’art peuvent se consoler en admirant des oeuvres et en jouissant de se laisser séduire par elles ».
L’admiration et la séduction sont bien les maîtres mots entre les visiteurs et les visages, pleins de rêverie, de désir et d’amour des héroïnes de ces peintures. OEuvres contrastantes avec la rudesse du contexte de leur réalisation (crise économique en Grande-Bretagne), elles sont notamment le fruit de l’imaginaire de Sir Lawrence Alma-Tadema, Sir Frederic Leighton (influencé par Ingres), Edward Burne-Jones, Albert Moore qui n’auront pour unique but que d’attiser et honorer le « culte de la beauté ». Une ode au beau proche de la devise des poètes parnassiens « l’art pour l’art ».
Héritiers des préraphaélites,ces artistes, dont la plupart se croisent derrière les chevalets de la Royal Academy s’adonnent au classicisme stylistique et thématique de cette institution. Ils mettent ainsi en scène, tour à tour, des passages de l’Histoire antique ou médiévale sans jamais renier l’étude des courbes sinueuses du corps des femmes.
Véritables icônes de l’art britannique, Les Roses d’Héliogabale d’Alma-Tadema (1888) reflètent ce désir d’Antique.Un tableau des plus dramatiques où le jeune empereur jette sur les invités au banquet une pluie de pétales de roses qui, en les étouffant, lui offre à contempler un spectacle morbide qui semble ravir sa cruauté. Toujours dans le registre des beautés classiques, l’Antigone de F.Leighton (1882), fille d’Oedipe et allégorie de la Résistance. Son portait, tout en lumière, reflet de la complexité psychologique qu’on peut lire sur son visage à l’heure où elle entend sa sentence prononcée: »elle sera emmurée vivante ».
L’univers de l’historico-romantique n’est pas le seul à être prisé par ce mouvement. Certains peintres (particulièrement Waterhouse) tirent leurs héroïnes tout droit des pages les plus célèbres de la littérature britannique du 19e, s’inspirant elle-même du Moyen-Age. Les héroïnes amoureuses sont alors aussi à l’honneur comme dans l’Enaid & Geraint de A.Hughes (1863) où se mêlent beauté mélancolique et paysage bucolique. Le théâtre, et notamment les personnages shakespeariens (Le Songe d’une nuit d’été) vont aussi constituer autant de modèles potentiels pour ces peintres que les illustres figures de l’Histoire.
Libérée des carcans du quotidien, la femme se dévoile et devient l’héroïne d’un univers de rêveries délicieuses. Femmes fatales, enchanteresses ou amoureuses, les peintres de l’époque victorienne les parent des plus beaux bijoux et autres atours. Sous leur pinceau, peignent et dépeignent leur raffinement. Dédiés corps et âmes à ses femmes, à la fois muses mais aussi modèles, ils sont comme le Pygmalion de Burne-Jones, allégorie du peintre dans son rapport à la femme, et ne peuvent que regarder leurs créations avec les yeux de l’amour.