S.D., le 28/09/15
UN BEAU BORDEL
SPLENDEURS ET MISERES. Images de la prostitution, 1850-1910
22 septembre – 17 janvier Musée d’Orsay
Après « Masculin –Masculin », « Van Gogh / Artaud. le suicidé de la société », « Sade. Attaquer le soleil », le Musée d’Orsay qui n’a décidément pas froid yeux – pour notre plus grand plaisir – se lance dans la première grande manifestation sur le thème de la prostitution.
En aurez-vous pour votre argent ? L’amour (de l’art) y est, en tous les cas, gratuit pour les moins de 25 ans.
Comme une image
En rien l’exposition du d’Orsay ne dément sa première intention, telle qu’elle est édictée sur le site du musée :
« cette exposition tente de retracer la façon dont les artistes français et étrangers, fascinés par les acteurs et les lieux de ce fait social, n’ont cessé de rechercher de nouveaux moyens picturaux pour en représenter réalités et fantasmes ».
Les prostituées sont toujours vues à travers un regard d’artiste masculin. Que la prostituée soit une « pierreuse » ou une « demi-mondaine », qu’elle soit fantasmée ou montrée dans son quotidien, elle est toujours « objet » du regard. C’est une limite pour comprendre la réalité sociale de la prostitution féminine à cette époque, mais une limite tracée, affichée dès l’entrée dans l’exposition. On s’attache aux représentations avant tout, et à des images qui montrent autant qu’elles cachent ce qu’a été la prostitution.
La prostituée est peinte dans sa « splendeur », s’accordant aux lumières des boulevards du XIXè, les courtisanes lançant même les nouvelles modes à suivre ; et dans sa « misère », l’on n’hésite pas à exposer en foire des moulures de visages et de mains de femme recouverts d’acné syphilitique. Elle est un objet incontournable de la peinture de la vie sociale et de la vie parisienne pour des « peintres de la vie moderne », elle est un objet de curiosité, de fascination, de transgression ; puis elle s’affirme aussi, telle que le montre l’avancée dans les dernières salle de l’exposition, comme une figure motrice de renouvellement artistique.
Atmosphère, Atmosphère…
Le parcours dans l’exposition aurait donc un sens chronologique qui nous mènerait vers la modernité picturale. Mais l’importance de l’exposition nous confronte à de si nombreux œuvres, documents, citations, que le mouvement qui nous guide de salle en salle est davantage celui de la curiosité – face à ce que l’on n’a pas l’habitude de voir exposé – que celui de l’intellect. A certains égards, l’exposition prend d’ailleurs les allures d’une maison close. Avec son thème qu’il est tentant de dire racoleur, elle nous fait circuler dans des salles aux tons rouge, à la lumière basse, elle réserve des espaces « interdits au moins de dix-huit ans » où l’on entre en écartant des rideaux de velours… pour y découvrir photographies et films pornographiques du début du siècle.
Un grand plaisir lors de la visite reste, pour les inconditionnels du XIXème siècle, celui de circuler dans l’atmosphère d’une fin de siècle interlope, notamment celle de Paris, que l’on a déjà pu fréquenter dans la poésie et les romans de l’époque. Balzac inspire le titre de l’exposition et ses citations, comme celles de Baudelaire et d’autres, tapissent les murs. L’on croise des Degas, Toulouse-Lautrec, Boldini, à chaque pas. Les chefs-d’œuvre ne manquent pas. L’on est d’ailleurs amené à relire des tableaux très connus sous l’angle de la prostitution. Dans l’Etoile de Degas, l’arrière-plan montre les coulisses de l’Opéra, où l’on voit d’autres danseuses ainsi qu’un homme vêtu de noir.
De l’ambiguïté au refoulé
« On ne sait plus si ce sont les honnêtes femmes qui s’habillent comme des filles ou les filles qui sont habillées comme des honnêtes femmes » énonce Maxime Ducamp.
L’exposition nous fait entrer dans un espace placé sous le signe de l’ « ambiguïté ». Les blanchisseuses et petites ouvrières recourent occasionnellement à la prostitution quand elles ne peuvent par vivre de leur travail du jour. Sur les boulevards, difficile de distinguer les prostituées des autres femmes, sauf quand elles se mettent seules, aux terrasses, à l’heure de l’absinthe ; sauf si l’on sait lire de discrets signes (du jupon relevé au regard insistant sous la voilette). Cette ambiguïté est ce qui aurait fasciné et inspiré les artistes. Ces derniers se plaisent à montrer l’envers d’un décor, comme celui d’un opéra luxueux où les petits rats, de condition modeste, sont conduits à se prostituer avec de riches clients, ces hommes distingués en chapeaux haut-de-forme.
L’exposition insiste fortement sur cette notion d’ambiguïté, ce qui est aussi une façon de dire le caractère difficilement lisible de la prostitution. Condamnée moralement, ornant les boulevards au même titre que l’éclairage, joyeuse et misérable, opulente et ruineuse, montrée, affichée, cachée, quotidienne ou exceptionnelle, la prostitution tente d’être régulée, astreinte à des registres et des normes d’hygiène, mais elle échappe largement au contrôle.
Et pour cause, puisque chaque femme cache peut-être une prostituée. C’est du moins ce que l’exposition, maladroitement, semble parfois suggérer. La prostitution masculine, à une ou deux exceptions près, n’a pas sa place. Il n’y a que des prostituéEs, des femmes peut-être prostituées, des femmes qui rêvent de devenir courtisanes, etc. L’on se demande pourquoi certains tableaux sont exposés. Sans indications, ils nous laissent face à des visages et des corps de femmes que l’on se demande comment interpréter, comme si derrière toute femme peinte à l’époque se cachait une prostituée potentielle. L’ « inquiétante étrangeté » du féminin est manifeste : la prostituée est chez plusieurs artistes, de manière latente, une des figures du « mal » que représente pour eux plus ou moins consciemment les femmes, toutes filles de Babylone ou d’autres femmes pècheresses. En renvoyant la prostitution du côté d’un féminin vicieux, l’on se décharge d’une angoisse, celle à laquelle nous renvoie l’idée d’un rapport monnayé au corps et à l’acte sexuel. Qu’est-ce que l’on met en jeu lorsque l’on se confronte au thème de la prostitution ? L’ambiguïté peut aussi être comprise dans un sens plus général : en ne mettant pas à distance les prostitu-é-e-s, en évoquant des frontières troubles, l’on renvoie ce que chacun et chaque société négocie dans le rapport au sexe et à l’argent.
L’exposition a le mérite d’affronter cette « angoisse ». Sa richesse nous interroge : comment une exposition sur ce thème n’a pas pu faire l’objet d’une exposition d’ampleur plus tôt – alors même que la prostitution continue, plus que jamais, à fournir des sujets d’inspirations aux artistes, comme le prouvent de nombreux films sortis récemment ? L’exposition Splendeurs et Misères circonscrit son sujet et le traite habilement sur la période donnée.
S’y manifestent en prime des surgissements conscientisés ou non de l’angoisse liée au « tabou ». Les salles réservées au moins de dix-huit ans le sont explicitement. Les petites cartes de visites de prostituées (« massage hygiénique », « massage nouvelle méthode »), petites boîtes de préservatifs d’époques, sont placées étrangement derrière les banquettes d’une salle, si bien qu’il faut monter sur celles-ci pour s’y pencher. Est-ce un défaut dans la conception de l’exposition ? Est-ce que l’on cherche justement à jouer sur le caché, à nous inviter à prendre place* ? Les fautes d’orthographe et d’accentuation qui parsèment le texte, sont, quant à elles, plus inattendues dans un tel lieu de culture**. Ne sont-elles pas symptomatiques d’un sujet qui demeure, d’où qu’on se place, difficile à aborder ?
Une exposition très dense à ne pas manquer, obligatoire si vous suivez le cours sur littérature et prostitution en licence de lettres ! On attend vos propres ressentis sur l’exposition en commentaires !
Quelques extraits du livre d’or de l’expo :
- « Génial ! Bravo pour cette exposition très réussie »
- « Très bien mais beaucoup de fautes d’accents dans les textes »
- « Rien sur la prostitution masculine »
- « Y’en a trop… Trop long »
- « On aimerait bien avoir le mode d’emploi du fauteuil du Prince de Galles »
- « Une belle exposition. Des chefs-d’œuvre à côté de « croutes ». Charmant. »
- « Une exposition très bandante ! »
* attention, d’ailleurs à vos arrières quand vous vous penchez, car l’exposition n’est pas sans attirer aussi quelques – rares – personnes mal intentionné-e-s.
** et rassurantes : si même les conservateurs laissent passer des fautes, et vérifient mal leurs « copies », l’on peut se pardonner ses propres petites erreurs d’attention ci et là, non ? Reste à convaincre notre directeur de mémoire…
« On attend vos propres ressentis sur l’exposition en commentaires ! « , cette phrase, crispante pour Amélie NOTHOMB, pourrait disqualifier l’ensemble de votre billet. Rassurez vous il n’en est rien. Pour autant quelques remarques :
1/ Le sous titre de l’exposition est : « Images de la prostitution, 1850-1910 » . Un sous tire est-là pour préciser l’intention : ici deux précisions « image de … » et « 1850-1910 ».
Images, il ne s’agit donc ni d’histoire, ni d’analyse, mais de représentation. L’exposition apporte des éléments contextuels (les cartes de visites, les jetons, le « pique couille » et les cires pédagogiques en sont des exemples) mais n’a pas pour objectif de décrire et d’analyser. Reportez vous aux éditions liées, à la liste bibliographique fournie sur les catalogues et sur le site …
« 1850 – 1910 », une soixantaine d’année c’est très court, par rapport à aujourd’hui (2015) cela nous ramène à 1955. La fin des années 50 c’est Bernard BUFFET, Nicolas de STAEL, Georges MATHIEU. Les années 2010 ce sont Sophie CALLE, Annette MESSAGER et bien sur Christian BOLTANSKY c’est aussi C 215, M. CHAT, NEMO … 1955-2015 l’apparition de nouveau courants, de nouveaux média; 1850-1910, on démarre avec Théodore CHASSERIAU ou Paul BAUDRY, puis Gustave COURBET mais en fait on se retrouve vite dans l’après guerre de 70, la période « fin de siècle » : CEZANNE, FORAIN, MANET, DEGAS …pour déboucher sur KUPKA ou PICASSO. Pour faire court, un fois le ciel débarrassé des divinités (COURBET en 1850) les révolutions esthétiques sont en marche. Alors dans ces conditions, plusieurs centaines de tableau, principalement d’auteurs français, sur un unique sujet c’est une occasion unique d’assister à cette transformation du regard et de la représentation.
2/ … « chaque femme cache peut-être une prostituée. C’est du moins ce que l’exposition, maladroitement, semble parfois suggérer « . Remarque hors sujet ( comme quoi le ressenti …) et anachronique.
Hors sujet car le regard présenté c’est celui des hommes. Les deux femmes co-commissaires (et oui cette exposition est une création de femmes !) de l’exposition le savent. Difficile de trouver des « peintres » féminin à l’époque et donc de présenter leurs images. Mais pour aborder le caractère genré de l’exposition vous auriez pu noter la place laissée aux gestes tendres entre les pensionnaires des maisons et en particulier la place donnée à « au lit » de TOULOUSE LAUTREC et à l’inverse l’absence de photos pornographiques dégradantes ou de scènes d’avilissement;
Anachronisme à propos de la prostitution masculine. Pour acheter des services sexuels, il est nécessaire de disposer … d’argent. La possibilité des femmes à disposer de leur fortune n’existait que pour quelques rares veuves émancipées de leurs frères, père … Mais vous vouliez sans doute évoquer la prostitution homosexuelle. Eh oui, ce n’est sans doute pas qu’a l’époque l’homosexualité soit moins répandue qu’aujourd’hui mais, les travaux historiques sur le sujet semble démontrer que dans ces villes à la sex-ratio déséquilibrée, elle trouvait à se satisfaire sans nécessiter le recours à la prostitution.
Anachronisme car c’est justement oublier cette situation de sex-ratio déséquilibrée, dans une ville aux très fort contrastes sociaux. Rendez vous à DACCA voir à SHANGHAI vous retrouverez des phénomènes proche de ceux connus à PARIS ( c’est deux lieux ne sont pas des destinations de tourisme sexuel, mais des métropoles polarisant une immigration rurale importante et une sex-ratio déséquilibrée).
Je vous propose d’approfondir ce sujet en réfléchissant au recul numérique de la prostitution avec la Guerre de 14-18 … le marché du couple en vue masculine s’est-il modifié ?
Bonsoir,
Je suis une critique amatrice, étudiante, et sans doute bien moins cultivée que vous ne l’êtes.
Cependant, je souhaite répondre à votre commentaire point par point. Je trouve votre amorce condescendante mais je vous pardonne car je ne suis pas fan de ce type « d’accroche finale » et j’essayerai de mon dispenser à l’avenir.
1/ Ma première partie s’appelle « comme une image », donc je pense être très loin d’avoir nié cette part de représentations, c’est même le sens du début de ma critique. Nous sommes donc tout à fait d’accord sur ce point. Je l’ai sans doute oublié par endroits, commis quelques maladresses.
Mais êtes-vous en train de dire qu’il faut oublier toute perspective critique sur une exposition parce qu’elle ne fait que montrer les représentations ?
J’essaye d’aborder une perspective issue des cultural studies – dont je ne suis pas une spécialiste renommée, je vous l’accorde, mais l’article a, je pense, le mérite de poser des questions qui découlent de ces approches (desquelles vous ne semblez pas familier).
2/ Je ne suis pas d’accord avec vous. Ma remarque est polémique, mais loin d’être « hors-sujet ». En ressaisissant un regard unilatéralement masculin sans l’interroger, on perpétue un regard sexiste. (Et le fait que l’exposition soit faite par des femmes n’est pas une preuve de quoique ce soit, les femmes peuvent bien sûr elle-même perpétuer ce type de regard !)
L’exposition existe aujourd’hui en 2015 : je ne blâme pas les œuvres, je reproche à l’exposition de ne pas assez prendre en compte les questions contemporaines sur le genre. Vous ne pouvez pas taxer la réflexion sur l’exposition (en tant qu’élaborée en 2015) d’anachronique.
Là où vous pointez quelque chose qui me semble intéressant, et c’est bien ce qui manque à mon article, c’est la réflexion sur la question économique – très importante, je l’admets !
Là où votre réflexion me gène, c’est dans son caractère légèrement condescendant (je n’étais pas loin d’écrire « patriarcale », comme vous vous en doutez), d’une part, et dans le refus, d’autre part, d’envisager la question du genre sous prétexte qu’il s’agit 1/ des représentations 2/ du passé. Vous ne faîtes finalement que répéter et illustrer ce que dit déjà l’exposition, sans chercher à rien déconstruire.
Je vous propose d’approfondir ce sujet à l’aide d’une bibliographie sur les gender studies.
Désolé de vous avoir froissé. Vous précisez dans cette réponse votre sentiment et ce qui semble être votre déception a propos de cette exposition : » je reproche à l’exposition de ne pas assez prendre en compte les questions contemporaines sur le genre « . Soit . J’apprécie cette rédaction moins « condescendante » que le « C’est du moins ce que l’exposition, maladroitement, semble parfois suggérer. » de votre billet.
Les deux commissaires, répondent partiellement à votre remarque en complétant le dispositif par deux ouvrages en sus du catalogue : « Prostitution des représentations aveuglantes », « ABCDaire dela prostitution ». A ce s’ajoute un colloque et divers conférence dont une de Lola Gonzalez-Quirano à laquelle on doit l’analyse « La jeune recherche en études sur le genre :formation et professionnalisation » ( http://bit.ly/1RAWqW3 ), et qui a produit de nombreux travaux sur le sujet de l’exposition ( http://bit.ly/1LBvCmZ ).
Vous ne semblez pas avoir apprécié ma remarque » Mais pour aborder le caractère genré de l’exposition … ». Elle était probablement trop rapide et mal rédigée. Veuillez m’en excuser. Une exposition comme « Splendeur … » n’est pas qu’un discours, c’est une production culturelle et artistique. Cette production est genrée Je tentais d’attirer votre attention sur le fait (ou du moins ce qui me semble un fait) que cette exposition porte un regard féminin ( et de 2015) sur le sujet. Les exemples que je vous proposais sont probablement insuffisant. Je vous invite à revenir sur l’exposition de 2014 » Paris 1900, la Ville spectacle » présentée au Petit Palais. (Le copieux catalogue suffit). Cette exposition consacrait plusieurs salles au même sujet que celle d’Orsay. Procédez, si vous le souhaitez à la comparaison, vous comprendrez mon propos et peut-être adhérerez vous à mon appréciation.