Suites, sagas, reboots, remakes…

…. déclin des grands studios hollywoodiens ou entrée dans une nouvelle ère esthétique ?

 

Le XXIème siècle rime-t-il avec une décadence inexorable du cinéma hollywoodien ? A l’heure des Mission : impossible 5, Star Wars 7, Jurassic World (Jurassic Park 4), Terminator Genisys (Terminator 5), nombreux sont les habitués des salles obscures à déplorer la panne d’imagination des grands studios, qui souillent systématiquement les mythes qu’ils ont construits dans les années 80 et 90 par des suites à n’en plus finir et à la qualité souvent médiocre.

Le recyclage d’une matière fictionnelle peut en fait prendre différentes formes : quand il ne s’agit pas de simples suites (les sequels) organisées en trilogies, quadrulogies voire plus, les scénaristes choisissent de mettre en scène des événements antérieurs à l’histoire du film-origine et la genèse de ses héros ; on parle alors de préquelle (ou prequel) ou de prélogie dans le cas de plusieurs épisodes rétrospectifs. Par ailleurs, le remake, nouvelle version d’un film n’apportant aucune modification majeure au scénario intial, est progressivement supplanté par le reboot (le terme signifie « redémarrage » en anglais, en parlant d’un ordinateur) qui, s’il se base sur la même charpente de l’histoire d’origine (mêmes personnages, même univers), réinvente le déploiement de son intrigue pour aboutir à un nouveau schéma narratif. Le spin-off, quant à lui, explore d’autres aspects d’un univers fictionnel en développant par exemple la vie d’un personnage secondaire du film de référence. Cette intense activité de remaniement, donnant lieu à une profusion de sagas (aussi appelées « franchises »), concerne un genre cinématographique par essence industriel : le blockbuster, dont le budget est considérable, le public visé le plus large possible, et l’objectif clairement affiché de faire un maximum de rentabilité.

 

Cette variation autour du même traduit-elle un déclin de la machine à rêver qu’était Hollywood ? Ou bien l’avènement d’un nouvel état d’esprit de création ? Rappelons que l’originalité est une esthétique qui s’est imposée progressivement dans le champ artistique depuis le XVIIIème siècle (et qui nous est chère depuis). Antérieurement, le plagiat n’existait pas et les dramaturges, poètes, historiens, romanciers, fabulistes n’hésitaient pas à reprendre parfois textuellement leurs prédecesseurs antiques. L’Imitatio comme démarche de création artistique se définissait non pas par la mise en place de nouvelles idées, mais par une nouveauté de traitement d’idées déjà véhiculées par d’autres. Il s’agissait en cela d’une re-présentation d’une matière narrative, par le biais d’une nouvelle manière, c’est-à-dire d’un nouveau style, de nouveaux effets, d’une nouvelle technique, d’une nouvelle architecture, voire d’un nouveau cadre générique.

 

Le cinéma est un art relativement récent et ses possibilités techniques ne cessent d’évoluer, parallèlement aux progrès du numérique. Mais les scénarii et l’art de raconter des histoires est, lui, plusieurs fois millénaires. Il semblerait que les producteurs aient choisi de se reposer sur l’imitatio antique, à laquelle nous ne sommes plus habitués (ce qui peut expliquer les amertumes de certains cinéphiles), pour mieux se consacrer à leurs recherches de prouesses visuelles, synonymes selon eux de grand spectacle, de sensations fortes et donc de qualité. « Un bon film, disait Jean Gabin, c’est d’abord une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire ». A quand un nouveau Gabin à Hollywood ?

Par Benoît Chazal

 

1 commentaire

  1. Par ces variations autour du même contenu au profit d’un investissement massif dans les prouesses visuelles et numériques créatrices de sensations fortes, le cinéma Hollywoodien s’inscrit dans une tendance qui ne fait pas que privilégier la forme sur le contenu, mais où la forme elle-même devient contenu. C’est aussi la tendance de l’art contemporain dans lequel Arthur Danto voit la fin de l’histoire de l’art. La fin de l’histoire de l’art est ce moment où l’art devient son propre objet. Le minimalisme de Frank Stella, avec sa formule « ce que vous voyez est ce que vous voyez », représente une des formes les plus aboutie de cette tendance. L’œuvre minimaliste, disent Frangne et Brogowski, est « ce point de la plus extrême réduction de l’expérience artistique où celle-ci semble s’exténuer et atteindre sa limite » (P.-H. Frangne et L. Brogowski, « Vers un art sans écart ? » colloque novembre 2005. Université Rennes 2 Haute Bretagne ). Comme la tautologie stellienne, le cinéma Hollywoodien fait la promotion d’un art absolument plat, d’un art sans écart.

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