Alors optimisme rime avec non-conformisme

Quand multiculturalisme rime avec fascisme (voir article précédent), alors optimisme rime avec non-conformisme.

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   Non-conformisme, pourquoi ? Parce que les optimistes refusent de se ranger dans le carcan de ceux qui ont cessé d’espérer. Les optimistes continuent à y croire, continuent à penser qu’en prenant le temps de parler avec les autres, ils parviendront à leur faire entendre raison et à leur montrer que l’extrême n’est pas, n’est jamais une solution, quel que soit le problème. Parce que réagir extrêmement, c’est réagir instinctivement, et réagir instinctivement, c’est réagir sans utiliser la raison. C’est laisser parler la peur. Et la peur, les optimistes lui disent non.

   Les optimistes ne sont pas ces gens dont on se moque, ces débiles naïfs joyeux lurons sans cervelle. Ce sont des gens qui voient les choses, mais qui refusent de les accepter sans se battre. Ce sont des gens qui ont beaucoup, beaucoup de temps à perdre. Ce sont aussi des gens qui ont beaucoup, beaucoup de force pour accepter toutes les désillusions. Ce sont surtout les gens qui « sauvent » les autres même lorsque ces derniers ne le veulent pas.

   Ces gens-là, on les trouve principalement dans le militantisme. J’y ai vu des gens absolument incroyables, capables de donner plusieurs milliers d’heures au militantisme en 2015 (année chargée de deux campagnes) et capables de repartir sur le terrain dans l’entre deux tours sans jamais se résigner face aux scores complètement ahurissants du FN (même si ahurissant est un peu exagéré étant donné qu’on s’y attendait). J’ai vu des gens complètement abattus par tout ce qui se passait, par les deux attentats en France, par le monde qui part en couille de partout, par les débats stériles, par les attaques grossières, qui ne perdaient pas espoir, qui ne se disaient pas « j’y vais contre le FN » mais « j’y vais parce que c’est moi ». Pour paraphraser Montaigne, nous militions parce que c’étaient eux, parce que c’était nous. Eux, les amis, la famille, les amours, les rencontres des autres fédérations, nous, le groupe de militants locaux soudés toujours prêts à y croire. Pas prêts à croire en quelqu’un, ça non, l’homme providentiel, on sait bien ce que ça donne, mais toujours prêts à croire en l’humain, en sa capacité d’amélioration.

   Je revois ce printemps, les bourgeons, les débats entre amis autour d’une bière le soir, l’impression d’avoir trouvé des gens comme moi, qui ont des valeurs, qui ont l’envie de les défendre, la niaque, la rage, et qui n’ont pas perdu, qui ne perdront jamais espoir. Je revois cette année, avec des week-ends entiers entre amis, des soirées de débat, des road-trips pour aller militer dans des campagnes totalement paumées, des événements grandioses et même un peu trop, des rencontres intergénérationnelles, des discours barbants à n’en plus finir mais qu’on est tout de même contents d’aller voir, des amendements autour d’un match de rugby, des jeux pour apprendre le vocabulaire de l’immigration, des recherches passionnantes en vue de formations à animer et d’articles à écrire, des rencontres inter associations militantes, des films pour découvrir d’autres lieux et d’autres cultures, des événements avec les militants du monde entier de l’organisation, Arte, des histoires, et surtout, des tas de gens, tous plus fêlés les uns que les autres, d’horizons divers, qui ont tous une histoire bien à eux derrière le militantisme. Ce sont des gens qui ont (parfois) le même point de vue que vous, et avec qui vous pouvez au moins discuter, et qui ne vous font pas enrager parce que justement eux s’engagent et militent, et qui vous retiennent quand vous ne savez plus pourquoi vous êtes là. Ce sont des gens qui ont des idées, qui ont des envies. C’est un militantisme à visage humain, c’est une campagne dont vous pouvez trouver le sens dans l’engagement individuel de chacun.

   Et je revois la campagne de Noël, avec des journées entières avec des camarades, à boire des bières, des journées à militer sur les marchés de Noël en buvant du chocolat chaud (et du vin chaud pour ceux qui ne sont plus mineurs), des journées de voiture en écoutant des playlists (chants militants, chants djeuns, playlist pop qui n’a rien à voir mais qu’on aime quand même) pour aller donner un coup de mains aux camarades d’une autre fédération. On en profite pour améliorer sa carte de la France, on découvre tout un tas de villes qu’on n’aurait jamais pensé à visiter, avec les meilleurs guides qui soient, ceux qui aiment leur ville, qui l’aiment tellement qu’ils s’y engagent et y deviennent conseillers… On en aura passé, des bons moments… Comme ces soirées entières à se battre pour un mot dans un texte qui faisait à l’origine 15 pages et qui s’est transformé en 150 pages d’amendements. Ou ces soirées électorales où les apparatchiks vous invitent et vous payent le restau et la boisson sans s’occuper du fait que vous êtes cinquante et que ça va coûter cher. On s’en fout, on a gagné. Ou encore ces discours de gens qui émergent, localement, et en qui on peut encore croire, ou en tout cas en qui on choisit de croire, parce qu’ils ont de véritables volontés, parce qu’ils sont encore différents des autres. Lors de tous ces moments, vous vous sentez bien, parce que ce sont des gens qui vous acceptent tel que vous êtes, qui justement ne remarquent pas la différence, et n’ont donc pas besoin de la tolérer. Alors, vous vous trouvez au milieu de gens qui innovent, qui vous écoutent, qui vous donnent la parole, et vous vous sentez bien, vraiment bien, à votre place. Vous ne pensez plus au fait que peut-être ça ne servira à rien. Vous vous en foutez. Vous n’êtes pas là pour ça. Mais simplement, pour une fois, il y a un vrai débat, et vous en êtes au cœur. Et ça fait du bien, de pouvoir parler, d’être autorisé à avoir des idées, et d’avoir des interlocuteurs pour vous contredire et pour vous obliger à améliorer votre idée.

   Le militantisme, c’est cela avant tout. Avoir un réseau de voyage dans toute la France grâce aux camarades rencontrés lors des événements nationaux. Se faire payer la plupart des déplacements parce qu’ils sont dans le cadre de l’organisation (mais ne pas oublier d’en profiter quand même pour visiter). Faire des rencontres, les plus belles rencontres. Parce que le cadre politique exacerbe tout, absolument tout, l’amour comme la haine. Alors c’est un cadre propice aux grandes histoires, aux grandes romances, aux grandes crises. C’est un microcosme, un monde en soi. Quand on y met les pieds, on comprend mieux comment les choses peuvent prendre de telles tournures à un niveau encore plus politique. On excuse cela d’autant moins. Et puis, un beau jour, on se retrouve, comme moi, à faire le point. On se dit qu’on va partir, parce que ça ne nous amuse plus de voir tout le monde se faire la guerre pour des responsabilités et des passions amoureuses. Et en même temps, on sait bien qu’on n’en fera rien. Parce qu’on y a pris goût. Sans cela, on serait malheureux. Et même, plus exactement, ce ne serait plus nous.

Par Lucile Carré

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