Ce jeudi 17 mars, j’étais au Livre Paris, le merveilleux nouveau nom du Salon du Livre de Paris. Petite provinciale, je ne connaissais jusqu’à présent que le salon du livre de ma petite ville de l’Est, le premier salon littéraire de la rentrée (moment de fierté chauvine) : le Livre sur la Place de Nancy.
En pénétrant dans le hall du Livre Paris, je me suis fait trois réflexions. Petit 1 : c’est grand, vraiment TROP grand. Je vais jamais pouvoir tout faire en 6 heures. Petit 2 : c’est classé bizarrement, par maison d’édition. Et pourtant, entre nous, QUI choisit son livre par maison d’édition plutôt que par auteur ? Qui a déjà regardé la maison d’édition de ses auteurs préférés (en dehors de quelques très grands) ? Petit 3 : c’est pas vraiment un salon, c’est plutôt une librairie, et je ne comprends pas le principe.
Déjà, payer 6 euros par jour en tant qu’étudiant, 12 si on ne l’est pas, pour avoir accès à un salon, je trouve que c’est contradictoire, et même, paradoxal. Un salon littéraire, c’est censé être l’occasion d’une fête culturelle, c’est censé être un moment de réconciliation entre le lectorat et l’éditorial, c’est même censé être un moment de promotion envers les populations qui n’ont pas l’habitude de lire. Alors là, croyez-moi, c’est raté. Entre les trois cerbères de l’entrée, le prix à payer, le site incompréhensiblement programmé (vous cherchez un auteur ? Vous ne trouverez JAMAIS quand il dédicace, par contre vous trouverez tout un tas d’animations qui ne vous intéressent pas) et l’organisation bizarrement menée, même moi, j’ai failli tourner les talons et repartir. Bref, je me suis retrouvée devant un site peu accueillant et bien trop cher (vivement que j’aie ma carte de presse 😉 !).
Me faisant toutes ces réflexions, j’ai d’ailleurs remarqué qu’il y avait peu de monde. Certes, il s’agissait d’un jeudi, mais justement, il y avait une nocturne, et j’y allais pour cela. Et puis, il y avait de grandes têtes d’affiches : les Bogdanov (qui ne sont jamais venus, comme à leur habitude), Amélie Nothomb (et ses fidèles chapeaux), et l’auteur de la BD Yallah Bye (que je vous recommande chaudement) accompagné de plusieurs autres dessinateurs Coréens ayant parcouru 12 000 kilomètres pour un public malheureusement peu réceptif devant leurs dessins réalisés en direct. Et pourtant, peu de monde autour de moi. Remarque, ça m’allait bien, je n’apprécie pas plus que ça les collés serrés.
Prenant courage, j’ai pris une allée au pif, notant au passage le nom de la maison d’édition proche de l’entrée, et me faisant la réflexion que je ne retrouverais jamais la sortie, notamment parce que comme toutes les maisons d’édition ont eu la même excellente idée de mettre tous leurs panneaux à la même hauteur, on n’y voit plus rien. Je m’enfonce dans une tranchée, me fais alpaguer par des auto-éditeurs, m’arrête parfois sur un stand pour regarder, perplexe. Chez moi, lors du salon du livre, ce sont les librairies qui invitent les auteurs, et non les éditeurs. Il y a un stand par librairie, c’est-à-dire une table couverte des livres d’un écrivain, et d’un côté l’allée où le public passe, de l’autre l’auteur sur sa chaise, avec le vendeur dans son ombre. C’est pratique, fonctionnel, humain et chaleureux (même un peu trop parce que ça se passe sous des tentes, donc quand il y a du soleil, on suffoque littéralement, et quand il pleut, on ne s’entend pas). Là, je me retrouve chaque fois dans une mini-librairie de la maison d’édition, qui a amené non seulement les livres qui seront dédicacés (à vous de trouver quand dans le week-end) mais aussi tout un tas d’autres livres que vous pouvez trouver n’importe où et n’importe quand et qui ne seront pas en dédicace (notamment parce que parfois, l’auteur est mort). En remarquant toute cette inutilité, et tout cet espace gâché, je me dis qu’on pourrait énormément réduire les coûts en supprimant tout ce faste, cet écran de fumée. Et ainsi, on pourrait baisser le prix de l’entrée, et retrouver le but premier : redonner goût de lecture à ceux qui ne lisent pas en donnant à l’achat de livres une apparence festive.
Continuant mon petit tour, je note des dizaines de maisons d’édition dont je ne soupçonnais pas l’existence (et je me dis que ça pourra toujours me servir pour éditer mon bouquin un jour). Au hasard des allées, je découvre les stands étrangers (où on chante de l’opéra en coréen), les stands régionaux (merci l’Aquitaine pour ton bon vin !), la scène principale (au moins, j’aurai rentabilisé mes 6 euros par tout ce que j’ai mangé aux apéros), et puis le coin BD.
Ce sont les seuls stands où je croise un peu de monde qui s’attarde. Ici, les gens regardent, ils ne sont pas venus en sachant ce qu’ils voulaient, ils n’ont pas une moue maussade sur le visage parce qu’ils savent qu’ils en ont pour une heure d’attente avant d’avoir leur signature sur la couverture. Au contraire, ils ouvrent les livres, précautionneusement, ils regardent le dessin, le style graphique, se permettent même quelques commentaires. Ici, les vendeuses sont plus jeunes, plus dynamiques, plus relaxées aussi paradoxalement.
J’en croise une avec laquelle je parle d’Histoire et d’histoires, de style, de littérature, de buts et de moyens. C’est agréable, ça change de tous ces gens toujours pressés, toujours mécontents. Elle court partout, trop vite pour moi, me sort trois BDs et m’en range quatre, pour m’en ressortir cinq. Elle ne cherche pas à vendre, elle cherche à me faire découvrir. C’est agréable de se laisser guider au hasard des (trois) rayons. Elle sourit tout le temps, je me fais la remarque qu’à la fin du week-end elle aura sûrement des crampes durables. Elle a la tchatche, elle discute avec tous les clients, revient vers moi, indécise et ouvrant tous les ouvrages, sans me presser cependant. Ici, on retrouve la logique du havre livresque. C’est rassurant.
Beaucoup plus rassurant que le coin radios. Ici, ça court partout, mais ce n’est pas la même course, elle est pleine d’angoisse, il faut du résultat, il faut faire de l’audimat. Un peu amusée, je m’accoude à la barrière de France Inter, à côté d’un homme âgé, habillé avec goût. Nous discutons deux minutes, de l’importance du livre dans la société actuelle. Et puis, sans me prévenir, il me laisse, et entre dans le local radio. Et s’installe derrière le micro de l’invité.
« – Nous sommes en direct du Livre Paris avec Antoine Gallimard ce soir. Bonjour Monsieur Gallimard. Alors ce soir, nous allons avoir des questions du public. Quelqu’un a-t-il une question à poser ? »
Moi. Moi j’ai une question, j’ai fait signe au gars qui a le micro, et il m’a répété pendant tout le speech du présentateur que je n’ai que 30 secondes, que je dois parler clairement, et que je dois aller vite, et faire simple. Pour bien me rappeler tout ça, j’ai une horloge devant moi, avec les aiguilles qui tournent, et un chronomètre qui défile en dessous. C’est rassurant.
« – Bonjour Monsieur Gallimard. Vous avez récemment repris plusieurs librairies en France, dont la dernière est le Hall du Livre à Nancy (c’est chez moooooi hurle mon petit cœur qui bat trop vite). Est-ce que vous faites cela pour vous prévenir d’Amazon (oups, on ne doit pas citer de marques ! Heureusement, je ne serai pas la seule à le faire dans l’émission).
– Non, je l’ai fait parce qu’il y avait 50 emplois à sauver, parce que c’est une librairie qui était mal gérée mais qui avait du potentiel, et parce que les habitants ne voulaient pas voir fermer leur plus grosse librairie. »
Oui, bon, merci. C’est vrai que ça nous aurait embêtés, surtout après la fermeture l’an passé d’une autre grosse librairie, mais on a cinq librairies indépendantes et bien fournies dans la ville. Dans le genre sauveur, faut pas non plus nous fait croire que ce n’est pas AUSSI parce que la librairie rapporte, si on sait la gérer. Comme quoi, tout le monde ment, même pour un livre. C’est triste, quand le monde du livre ment, et en même temps, ça n’étonne pas. Ça n’étonne pas parce que c’est le propre du livre de mentir, de changer la réalité, de confondre les contours, de mélanger le vrai et le faux jusqu’à ce qu’on ne puisse plus en retrouver la trace. C’est ce qui nous permet de nous échapper, de nous sentir plus libres. C’est ce qui nous permet de vivre. De vivre librement.
Par Lucile Carré