Mais tuez-les tous !

Nice, 14 juillet 2016

Une fois encore, la terreur et le non-sens ont frappé.

Nice

Ville la plus surveillée de France. Une caméra pour 360 habitants, un policier pour 902 habitants. Voilà la réalité des chiffres de 2014. Record français.
Autre record, plus malheureux celui-là, les résultats les plus mauvais d’élucidation d’affaires.

1984 – 2016

Arrivés aux limites de ce que l’ère numérique peut faire, un constat s’impose à l’heure du millénaire de Big Brother : celui de l’inefficacité. Inefficacité d’une surveillance renforcée qui évolue à l’extrême limite de l’Etat de droit, prête à basculer dans l’Etat pénal et policier, et qui observe tant de faits que les uns noient les autres. Inefficacité d’une surveillance accrue qui avait filmé le camion frigorifique quelques jours avant l’attentat sans que cela empêche pourtant le crime.
Et comment l’empêcher, quand crime il n’y a pas encore eu ? Comment se douter, quand des milliers de camions identiques traversent la France, l’Europe, le monde, chaque jour, sans que précédent il y ait eu ? Comment ne pas devenir paranoïaque, quand les instruments de la mort sont ceux du quotidien ? Comment légiférer avant même infraction, comment empêcher ce qui n’est pas encore arrivé et n’a laissé aucun indice de son imminence ?

C’est à ce moment-là, précisément, que se pose la question de l’Etat de droit.
A ceux qui disent « Mais tuez-les tous ! » je réponds, outre que les assassins se tuent eux-mêmes ou tuent jusqu’à être tués, présomption d’innocence en amont du crime, mais aussi inefficacité de courir après le fait au lieu de le prévenir par l’éducation et l’intégration.
A ceux qui crient « déchéance » j’explique, outre que les assassins s’excluent eux-mêmes en brûlant leur carte d’identité ou en perpétrant des crimes à l’encontre d’une communauté, le double droit du sol et du sang dont les assassins des derniers attentats bénéficiaient car ils étaient français ou européens et la contre-productivité de faire craindre à tous la perte de nationalité au nom de quelques-uns qui de toute manière n’en ont rien à faire.
A ceux qui hurlent « prison » je dis plus fort encore, outre qu’il s’agit d’un foyer de radicalisation, qu’il a fallu se battre pour obtenir un droit à l’intégrité physique interdisant à une autorité subjective d’emprisonner arbitrairement sans preuves (et preuves il n’y a pas, en amont des attentats réussis, c’est tout le problème).
A ceux qui vocifèrent « surveillance », je ris au nez et à la barbe. Je ris, mais je ris jaune.

Rire

Je ris parce que Nice a fait éclater l’inefficacité et l’inutilité des caméras dans toute leur splendeur. Je ris parce qu’il y avait des contrôles d’entrée au Bataclan, et cela n’a rien empêché. Je ris parce qu’il y avait un système de protection policière à Charlie Hebdo, et cela a simplement fait une victime supplémentaire.
Je ris, et c’est un rire triste. Parce que je suis triste de voir que tout le monde se félicite des contrôles Vigipirate à l’entrée des bâtiments, qui se sont déjà instaurés comme une règle dont on n’a oublié qu’on s’est passé un jour, lorsqu’on pouvait aller à un salon littéraire ou à des fêtes citoyennes avec un sac aussi gros qu’on voulait, et tout ce qu’on voulait dedans. Je suis triste aussi de me rendre compte que tout le monde approuve les contrôles alors qu’en son for intérieur chacun sait qu’un talkie-walkie d’agent de sécurité ne fait pas le poids face à une kalachnikov. Je suis triste en écrivant de me rendre compte qu’aujourd’hui, tout le monde sait écrire kalachnikov, mais pas forcément talkie-walkie. Alors oui, je ris jaune de voir tout ce petit monde approuver cette sécurité invasive, intrusive, qui en des temps meilleurs aurait fait sortir tout le monde sur le pavé, pour protester. Pourquoi ne se demande-t-on plus si on n’aurait pas peur en d’autres circonstances, si c’était un.e autre président.e au pouvoir ? Pourquoi ne se dit-on plus que le politique tire parti des attentats et de la peur, pour faire tout passer ?
Et la loi Macron de juillet 2015, la fameuse loi renseignement qui permet la collecte massive de données, pourquoi n’a-t-elle pas mené aux mêmes combats que la loi El Khomri ? Et l’état d’urgence, qui permet des perquisitions à toute heure de manière simplifiée, dont le résultat est de moins de 2% de réussite mais le traumatisme reconnu, pourquoi ne pas en avouer l’échec, et tenter une autre approche ? Et les fichés S, qui rassemblent indifféremment terroristes présumés, hooligans, supporters virulents ou manifestants écologistes ? Quelle pertinence que tout cela !

Femmes, hommes ; sécurité ?

Alors oui, la voilà, la réalité de la sécurité aujourd’hui, qui est bien davantage surveillance que sûreté. La sécurité qu’on veut nous faire avaler depuis toujours comme quelque chose de possible, d’atteignable, de souhaitable, mais qui peut croire ça ? Et vous, femmes, vous qui êtes agressées plus souvent qu’à votre tour, nous dont le viol est tu et pourtant répandu (84 000 l’an dernier, toutes les 43 minutes, avec moins d’une plainte sur dix cas et moins d’une affaire élucidée sur dix déclarées), plus qu’on ne veut bien le reconnaître, nous dont la simple sortie dans la rue anime les foules, nous qui devons choisir entre rester chez nous, pas plus en sûreté qu’ailleurs car le viol est souvent commis dans le cercle intime, mais plus sereines, ou sortir et risquer le viol, rien qu’en marchant, et risquer la haine, rien qu’en s’habillant, parce qu’on en fait toujours trop, ou pas assez, et risquer la haine parce que si on a choisi de vivre même en se faisant violer c’est qu’on y a soi-disant consenti, parce qu’on n’a même pas le droit de prononcer le mot, parce qu’on ne peut pas être fière d’avoir réussi à se reconstruire après ça, vous mes amies, vous qui êtes particulièrement en danger au quotidien, comment pouvez-vous encore croire ces paroles d’Hommes ?
La sécurité, on nous la promet depuis toujours, depuis aussi longtemps que le terrorisme existe, car il a toujours existé, il a seulement muté, avec plus de moyens, plus de ramifications, plus d’actions envers les civils, mais il a toujours été là, au fond. Alors plutôt que cette sécurité qu’on nous promet, il faudrait plutôt nous apprendre que le risque zéro n’existe pas, que n’importe qui peut prendre un couteau et tuer, que l’humain porte en lui-même la violence nécessaire, rien qu’avec ses mains. Et peut-être que si on arrive à accepter ça, à accepter cette omniprésence de la mort que Montaigne nous recommandait de pratiquer, peut-être oui, qu’on arrivera à revivre normalement, à ressortir normalement, à l’exemple de certains rescapés qui continuent à vivre envers et contre tout / tous.

En nous donnant un faux sentiment de sécurité, on nous fait tout accepter, et notamment les abus. Ainsi, on accepte d’ouvrir son sac à l’entrée des magasins, comme s’il était normal qu’un agent de sécurité non assermenté d’une société privée ait accès à notre propriété privée. A tous ceux qui n’osent pas protester, petit récapitulatif du nombre d’infractions :
• Seuls les agents assermentés (douane, police judiciaire) peuvent vous fouiller. Un agent de sécurité peut seulement vous demander un contrôle visuel, et vous pouvez refuser. De plus, une entreprise doit embaucher spécifiquement des agents de sécurité pour ce contrôle, une caissière ne peut pas le faire, par exemple, et ils doivent être reconnaissables.
• Si vous refusez, l’agent de sécurité n’a pas le droit de vous interdire l’entrée, car il contreviendrait ainsi à votre liberté d’aller et venir.
• Il n’a pas le droit de vous toucher (par exemple pour vous retenir d’avancer) car vous avez un droit à l’intégrité physique.
• S’il vous fait croire qu’il est autorisé à une des choses ci-dessus, il est passible de deux à cinq ans d’emprisonnement pour avoir outrepassé ses fonctions et avoir endossé les prérogatives d’un agent des services publics.
• Il peut par contre appeler la police et vous demander de l’attendre pour entrer. Sachez cependant que les forces de l’ordre n’ont pas non plus tous les droits : elles n’ont pas le droit de vous fouiller sans votre autorisation sauf si elles ont une ordonnance du préfet ordonnant de fouiller dans le lieu où vous êtes à l’heure où vous y êtes, ou si elles ont une raison valable de soupçonner une infraction (vol, alcoolémie, drogue…). De la même façon, on ne peut pas vous demander vos papiers, et votre voiture étant votre propriété privée au même titre qu’un sac, on ne peut vous y contrôler, sans ces éléments.

Après ces éclaircissements sur les abus du quotidien, j’espère que vous comprendrez la nécessité de faire respecter l’Etat de droit. Attention toutefois : soyez certain d’être dans votre bon droit avant de faire le malin.

Par Lucile Carré

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