Marie-Lou Monnot | Au commencement, y’avait un clochard, une dame à la tête embrouillée, une vieille, et une prostituée. Cela pourrait commencer comme une blague, mais si le rire est bien de base, le fond est lui bien sérieux. Avec Laika, aperçu au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, David Murgia et Ascanio Celestini nous racontent en effet une bien drôle d’histoire. Une fable du quotidien, de notre vie, ou presque, de celle de Dieu, parfois. Un livre ouvert sur notre monde et ses rencontres, qu’elles se fassent dans la rue ou accoudé à un bar…
Au commencement donc, un homme sur scène, et un air d’accordéon. Cet homme est descendu de son appartement pour venir nous parler. Nous raconter Dieu, tout d’abord, car tout a débuté par là. Ou par Stephen Hawking, telle est la question. Le petit homme sur scène se pose devant nous, et nous inonde de son flux de parole, de sa musique de mots. L’histoire des personnages défile sous nos yeux. Celle des manutentionnaires qui déplaçaient des caisses et qui font aujourd’hui grève. Ce clochard, qui ne l’a pas toujours été, devant le supermarché. Cette vielle qui ne comprend pas toujours sa voisine, la dame à la tête embrouillée qui ne sait plus très bien où est la réalité. Et la prostituée qui de son trottoir, observe. Tout à tour, ce petit homme les incarne et leur donne corps. Il raconte leurs vies, si on peut encore la nommer ainsi. Il donne la parole à ces personnes, qui l’ont bien souvent perdue. Sous les airs d’accordéon de son ami Pierre, il dessine les lignes de ces vies. Et nous emporte, indéniablement avec lui, dans son petit bar de quartier, où le public s’imagine accoudé, à boire le flot de ses mots.
Car David Murgia manie plus que bien que les mots du metteur en scène et auteur Ascanio Celestini. Il faut dire que ces deux-là se connaissent déjà bien, et ont déjà fait leurs preuves ensemble avec l’excellent Discours à la nation joué il y a de cela deux saisons. Habitué au travail de groupe avec le jeune Raoul Collectif, David Murgia revient ici à la source avec un théâtre plus minimaliste, mais pas moins porteur de sens. Du début à la fin, son texte glisse dans nos oreilles, toujours en douceur. Outre sa diction et son « flow » impressionnant de naturel, la présence de ce comédien fait à chaque fois son effet. Et quand ce qu’il nous raconte ne manque, de surcroît, pas d’intelligence, on en redemande. Car le cœur du spectacle, son propos, est profondément juste. Très satyrique, le texte n’épargne personne et n’hésite pas à dénoncer, à porter un message sans néanmoins oublier la fable, et surtout l’humain. Et il n’y a pas à dire, un théâtre comme celui-ci fait du bien.
Laika, outre le chien envoyé dans l’espace, est littéralement « celle qui aboie » en russe. On pourrait alors l’interpréter comme celle qui dénonce, qui, face au monde, dévoile la vérité. Et c’est exactement ce que fais David Murgia ici : il parle pour mettre à jour des vérités, attirer l’attention sur celles qui sont bien souvent cachés. Alors si ce spectacle ne passe pas loin de chez vous, foncez. Entre rire et prise de conscience, la rue à la sortie vous accueillera sans doute différemment…
Le spectacle Laika était présenté au théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine les 5 et 6 octobre 2017.