Gaël Faye dévoile « Des fleurs » : du pimenté au parfumé, retour sur une découverte artistique

Crédits Sterenn B. (Twitter @S1teSte)

Adrien Chupin | C’est l’histoire de l’admiration pour un artiste qui grandit sans cesse. Pas la fascination crédule d’une groupie, mais bien l’émerveillement révérencieux d’un observateur conquis. 

Loin d’être originale, ma première rencontre avec Gaël Faye s’est faite au travers du regard du jeune Gabriel sur son Petit Pays. Du fond de son impasse à Bujumbura il assiste à la montée des tensions entre Hutus et Tutsis qui mèneront au génocide et vit ce drame insensé de sa position d’enfant. Entre le Rwanda et le Burundi, entre sa famille et ses copains, il témoigne de l’absurdité d’une tragédie inhumaine. Ce premier roman, s’il n’est pas autobiographique, est très fortement imprégné de l’identité de son auteur. Ses récompenses au prix Goncourt des lycéens et au prix du roman Fnac en 2016, au-delà du fait qu’elles soient amplement méritées tant son écriture limpide rend accessible à tous la cruauté de l’ethnocide rwandais, ont jeté un énorme coup de projecteur sur une carrière musicale qui, je l’espère, n’en est qu’au préambule.

C’est souvent une actualité brûlante, telle que ces prix, qui porte à nos oreilles l’existence d’un artiste. Puis s’il arrive à nous interpeller assez profondément, on remonte le fil, on creuse son passé. J’ai ainsi découvert que Gaël Faye était rappeur, qu’avant d’organiser ses mots dans un livre, il les martelait sur une instru. J’ai découvert son EP tout fraîchement publié, puis son premier album solo sorti cinq ans avant et enfin ses premières expériences musicales avec Suga (de son vrai nom Edgar Sekloka, par ailleurs ancien étudiant à Paris 3) et leur groupe : Milk Coffee and Sugar. C’est bien entendu Gaël Faye qui se cache derrière ce Milk Coffee, le même qui raconte sur son premier album la rencontre du piment et du croissant au beurre qui lui donnèrent naissance. Ce métissage est une inspiration, il fait sa personnalité.

Une fois charmé par ce talent on en devient presque asservi et par quelque moyen que ce soit (ou plutôt par quelque réseau social que ce soit), on reste accroché à son actualité, scrutant l’annonce d’un nouveau projet. C’est donc l’enthousiasme qui prédomine lorsque j’apprends que ma nouvelle idole a fait de son livre un spectacle musical. Y assister est autant une nécessité qu’une curiosité.

Quelques obstinés ont ce soir-là eu droit à un riche échange, une demi-heure après les derniers applaudissements alors qu’encore résonnait en tous l’enfance de Gabi en son petit pays. La disponibilité et l’authenticité de l’artiste ont séduit ceux qui avaient bien voulu prolonger cette soirée au Jardin de Verre (du nom de la charmante salle choletaise), ils ont d’ailleurs pu en profiter pour se faire dédicacer le roman en question. La chaleur de sa voix et la sincérité de ses mots mettaient rapidement à l’aise. Il nous confiait sans les dévoiler ses nouveaux projets musicaux, s’avouait en pleine réflexion vis-à-vis de son art, évoquait son besoin d’écriture pour comprendre ce qu’il a en lui.

Ceux qui avaient déjà été touchés par le roman auront certainement pris plaisir à en redécouvrir les sensations. Et pour ceux qui n’avaient pas encore ouvert le livre, quoi de mieux que de se le faire conter par la voix de celui qui en a tenu la plume. La simplicité de la mise en scène n’en mettait que plus en valeur les extraits justement choisis. Par sa guitare, ses chants et sa participation aux dialogues, Samuel Kamanzi* apportait ce qu’il fallait de répondant ou de mélodie pour donner une dimension sonore au texte. A l’instar du livre, le spectacle se conclut sur une note de chaleur et d’espoir. Et le Jardin de Verre de faire trembler ses cordes vocales pour saluer la performance des deux rwandais, enfants des grands lacs africains. Ne restait plus aux spectateurs qu’à s’envoler pour une bière à Kigali, afin d’honorer l’invitation du rappeur à la mixité assumée.


Crédits Ameline Vildaer (Instagram amelinevil)

Une seule frustration qui sera éclipsée quelques mois plus tard : n’avoir vu que l’auteur sans le rappeur, ne pas avoir eu droit aux rythmes et aux rimes qui m’extasient chaque fois que je les entends. Le festival des Z’Ecléctiques s’y prête parfaitement. En ouverture, Gaël Faye se retrouve principalement face à un public de non-initiés. Il offre un aperçu de sa jeune discographie, son Fils du hip-hop fait se balancer les têtes, son Paris Métèque fait s’écarquiller les yeux. De sa trompette Guillaume Poncelet habille de dynamisme les paroles de son compère sur Ma femme, puis fait trembler d’émotion l’auditoire lorsqu’à la fin d’Irruption, il exécute son solo magistral. Quelques inédits sont au rendez-vous, de quoi mettre l’eau à la bouche. La prestance scénique est indéniable et apporte une réelle dimension live à ses morceaux. Pas étonnant qu’il ait été auréolé de la Révélation scène aux Victoires de la Musique 2018. https://youtu.be/9i4n6FVhhvc

Vers l’éclosion

La carrière de Gaël Faye, celle de rappeur, est bien lancée désormais et il y a fort à parier que l’immense succès de Petit Pays y ait joué son rôle. Ce roman l’a mené vers un nouveau public, beaucoup plus large que celui qui avait connaissance de son premier album solo (Pili Pili sur un croissant au beurre) et a pu faire reconnaître à un grand nombre ses talents de rappeur. Les cinq chansons de son EP sorti à l’été 2017, Rythmes et Botanique, sont toutes délicieuses à écouter, l’écriture y est impressionnante d’exactitude et les thèmes abordés, entre un hommage à Paris, une ode à la liberté et un appel à l’insurrection, interpellent la conscience de l’auditeur et font appel à sa sensibilité grâce à une poésie lumineuse.

L’exigence est fonction croissante du temps et l’artiste doit surprendre ceux qui déjà sont acquis à ses mots s’il veut les combler. L’attente était grande, portée par l’envie d’entendre sous sa voix des textes nouveaux et différents. Sorti le 2 novembre dernier, « Des fleurs » est la réponse idéale de Gaël Faye aux oreilles assoiffées de poésie et de mélodie des rêveurs attentifs.

Cet EP est un petit bouquet. Cinq fleurs hétéroclites, qui forment une inexplicable harmonie. Elles ont mis du temps à fleurir, plus d’un an depuis ses premiers essais en botanique déjà très concluants. Et qu’elles sont belles une fois écloses, que leurs couleurs sont vives. Une passiflore qui transpire dans une chaude nuit brésilienne. Une rose noire, de la couleur du sang froid d’une séduisante assassine. Une rose trémière sur un trottoir au pied d’un mur, asphyxiée. Mais robuste, elle s’offusque. Une fleur exotique glissée dans des cheveux qui invite à se trémousser. Puis la dernière des fleurs. Celle qui meurt « de la folie des hommes et de la furie des éléments ». Celle qui condamne le recul de la nature dans nos vies. Celle qui représente le message du parolier.

Plus que l’hétérogénéité d’un artiste qui se cherche, c’est la diversité de l’artiste qui explore.

Alors que sa tournée s’est conclue en apothéose à l’Olympia le 5 décembre dernier**, Gaël Faye, au sommet de sa jeune carrière, multiplie les projets : il prête sa voix au Kongo de Kolinga, il a récemment accompagné Ibeyi sur scène**, il assiste pendant neuf mois de jeunes artistes en tant que parrain du Levi’s Music Project. Puis au-delà de la musique, il pose sa chaude voix sur les mots précis et précieux de René Depestre, en compagnie du poète sur un CD paru en novembre. Et il n’excluait pas lors de notre bref échange, de s’essayer de nouveau à la littérature après l’immense succès de son Petit Pays, ce qu’il a confirmé récemment en interview.

Celui qui un jour se morfondait dans son bureau, vit désormais de ses mots. Ceci est un appel à la propagation du talent d’un génie de la formulation.

Crédits Ameline Vildaer (Instagram amelinevil)

* Samuel Kamanzi est un chanteur et musicien rwandais, il avait déjà collaboré avec Gaël Faye sur son premier album

** Ces concerts sont disponibles en intégralité sur culturebox.francetvinfo.fr

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