Emma Flacard. Le 22/01/2019 |Réflexions sur une temporalité mise à mal
« Vous n’aurez même plus besoin de faire la queue ». Une publicité pour un fastfood affichait fièrement ce slogan sur un fond acidulé, décorant le mur d’une station de métro. Ironie du sort : la publicité visait un fastfood, autrement dit un établissement ayant pour but d’apporter des repas le plus rapidement possible aux clients. Si même les fastfoods sont visés par cette économie du temps, cela en dit long sur notre rapport à l’horloge. Cependant, les fastfoods ne sont plus les seuls à nous décharger du fardeau de l’attente. Des personnes peuvent ainsi être payées pour faire la queue à notre place.
Une économie du temps
Les conséquences de cette économie du temps sont de plus en plus visibles : elles touchent les services de livraison de supermarchés, de restaurants, certains journaux ou encore des plateformes audiovisuelles. Puisque « le temps, c’est de l’argent », on vend la sauvegarde de ce précieux bijou.
Il n’y a qu’à ouvrir un article sur la plateforme internet du journal Le Monde pour faire ce cynique constat : même le temps de lecture est comptabilisé. « Lecture 3 min. » L’abréviation nous rappelle une ultime fois que le temps nous manque, nouvelle injonction à la rapidité.
De même, sur le site internet d’Arte replay, une innocente question « combien de temps avez-vous ? » est censée guider nos recherches de programmes audiovisuels.
Tout semble en effet être mis en place pour ne pas faire perdre une seconde aux clients, lecteurs, téléspectateurs… Une histoire de rentabilité, seulement ça ? Ou une perte de repères temporels marquée par l’immédiateté ? Cette immédiateté se retrouve d’ailleurs partout, même dans les interactions humaines, au risque d’outre-passer la frontière de la politesse, et du respect de la vie privée.
La fin de la logique diurne/nocturne ?
Effectivement, il n’est plus étonnant aujourd’hui de recevoir un email à 23h ou 4h du matin. Chaque jour, la boîte de messagerie affiche de nouveaux courriers, très souvent des publicités, affichant l’heure de réception. 04h28, 05h35, 06h24… La logique binaire diurne/nocturne n’est plus réellement valable lorsque des employés peuvent être appelés à n’importe quelle heure de la soirée (et pas seulement les professions ayant besoin d’employés dits « d’astreinte », comme les professions médicales ou du maintien de l’ordre) par leur supérieur.
Ainsi, ces différents exemples, très hétéroclites, m’ont mise face à un constat : celui de ma propre relation au temps. De nature plutôt énergique, j’aime être occupée. Toutefois, depuis mon arrivée à Paris il y a six mois, j’ai été très surprise devant l’effervescence, et le bouillonnement inhérent à la vie parisienne. Et les trajets en métro ou RER n’y sont pas étrangers. Courir partout, manquer de temps, ces impressions très communes me semblaient d’autant plus vivaces ici, à la capitale.
Surprise, je l’étais aussi lorsque je recevais des propositions de baby-sitting après 22h, lorsqu’on me rapportait des échanges de mails entre élève/professeure à plus de 23h un samedi soir…
La nuit ne porte plus conseil, car l’heure n’est plus aux conseils, mais à la réponse immédiate.
Il serait peut-être temps de retrouver un rapport sain à l’horloge…