Lucy Rose au Café de la Danse

Adrien Chupin | Choix parfait que le Café de la Danse pour accueillir l’escale parisienne de la tournée internationale consécutive à la publication de son quatrième album (No words left). Lucy Rose y prend la liberté de faire ce qui lui ressemble, dans une intimité paradoxale, entre mise à nu textuelle et refus de faire face sur la pochette.

Le petit hall baigne dans une détente appréciable, sans envolée criarde, sorte d’harmonie irréfléchie. Les portraits, dans leur sobriété monochrome, tracent la ligne artistique du lieu. Étroit couloir noir, on croit s’être trompé, à en redouter d’atterrir sur la scène. Un instant des pensées d’artiste se faufilent, la légère tension d’avant-scène, pas désagréable. Mais il mène bien au pied du gradin, petit lui aussi. Ici tout semble réduit, et que c’est appréciable ! Au sol sur la scène, de précieux tapis invitent les pieds à dévoiler leur nudité, incitent les aises à se déployer. L’assistance ne s’en prive pas et, déchargée de toute crispation, ne peut que se laisser apaiser. Ambiance feutrée, confortable, parfois teintée d’une retenue dommageable.

La soirée s’ouvre avec Samantha Crain et sa guitare. L’égarement justement contrôlé de sa voix, qui oscille entre des hauteurs captivantes et une profondeur chaude et rugueuse, dévoile un talent frappant. Nul besoin d’évoquer son Oklahoma natal pour que ses grandes étendues s’imposent en chacun. Une guitare rythmée et déjà le vent souffle dans les crinières à la tombée du jour. L’Amérique sauvage se regroupe dans une auberge, étape parmi l’immensité. S’y produit Samantha Crain. Non pas que sa musique soit aussi caricaturale, elle est puissamment évocatrice, se déguste paupières closes et contraint l’imaginaire à l’évasion. Elle-même semble animée intérieurement, ainsi son immobilisme n’est en rien dérangeant. Les yeux fermés font don de leur énergie à l’esprit qui boit allègrement les sonorités offertes.

Puis, changement de continent, après un long intermède qui vient briser l’élan insufflé par la première partie. ‎À l’écoute de son dernier opus, on aurait pu s’attendre à une Lucy Rose solitaire, mais c’eût été mal la connaître. Comme le laissait présager la quantité d’instruments installés, ce sont cinq silhouettes qui se hissent sur scène pour interpréter un Solo(w) qui n’en est pas un. Ce premier morceau se donne l’apparence d’un piano-voix, mais l’épaisseur se construit petit à petit, introduite par la résonance des cymbales. Si la basse se fait discrète, le violon n’hésite pas à s’affirmer, sans jamais faire d’ombre au piano qui reste central, et la voix bien plus encore. Tout est fait de légèreté, même les percussions étonnent par leur douceur et trouvent parfaitement leur place dans l’ensemble. C’est quand celui-ci prend un corps plus consistant, comme avec Second chance, que l’oreille prend le contrôle du corps, l’inondant de sonorités pacifiques. Que les impulsions du percussionniste sont précieuses. Instants à saisir.

L’assise est confortable et, de l’aveu de la chanteuse elle-même, la position se prête parfaitement à la délectation de son art, presque trop calme. Lucy Rose est cachée derrière sa frange, mais décontractée, sans aucune timidité. La retenue voire l’effacement perceptible semble plus caractériel que circonstanciel. C’en est d’autant plus touchant. Pas de calcul dans l’attitude. Tout est musicalement si bien rôdé que le naturel peut occuper l’espace restant. Mais lui aussi paraît réduit. La partition est sue à la lettre par chacun, mais sonne comme si elle avait été trop répétée, comme une version studio, condamnant ainsi la singularité recherchée lors d’une prestation live. Rien ne dépasse et l’esthétique sonore est parfaitement construite. L’oreille est comblée mais le cœur en demande légèrement plus. Il recherche ce petit supplément, une touche de sincérité, de débordement, d’imprévu. Il faudra se contenter de regards étonnés et de sourires complices arrachés par un changement d’éclairage trop brusque.

En adoucissant une exigence peut être trop acérée, le flottement attendu est bien palpable. La lumière chasse la musique, les premiers pas se font légers ; tentons de retarder le retour de la pesanteur usuelle, que dure l’élévation, que persiste l’ivresse. Retenons la découverte de deux artistes qui manient les cordes (tant de leurs doigts que de leur voix) avec virtuosité et font s’égarer les consciences, vers des horizons intimes ou lointains, connus ou inexplorés.

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