(Version intégrale, non censurée et, très « décontractée » de l’interview que vous aurez pu découvrir en avant-première aux pages 4 et 5 du magazine n° 12 de Nouvelles Vagues récemment mis en ligne, et à retrouver ici également : nouvelles-vagues-numero-12)
[Par Galaad Saussay–Even]
Bonjour, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Tumba Shango Lokoho, je suis maître de conférence de Littérature générale et comparée, avec la spécialité ‘’Etudes littéraires francophones’’. Je suis le directeur-adjoint du département de Littérature Générale et Comparée.
Qu’est-ce que la modernité pour vous ?
Eh bien, plusieurs choses. Premièrement, la modernité est l’Histoire occidentale. Epoque historique, classique, qui court du long Moyen Age, de 1500 à, pratiquement, le début du 20ème Siècle, qui est traversée de tout une série d’actions, d’actes qui transforment l’occident et, en même temps, qui impactent l’ailleurs de cet occident.
Mais au cœur de la modernité, bien sûr, telle qu’elle est pensée à partir du 17ème siècle, c’est la Raison. La Modernité est la Raison. La Raison scientifique, technologique, philosophique, historique. Et donc, c’est aussi l’époque où, au-delà des grandes découvertes et grandes transformations, il y a aussi les grands conflits d’idées, etc. Je pense ici à la Révolution française qui bouleverse tout. Et au point de vue littéraire et esthétique : la querelle des Anciens et des Modernes. Il y a aussi les Lumières. Et le luthéranisme, du point de vue de la religion, qui remet en question la « raison théologique » traditionnelle, catholique en particulier. Le rôle de la prédication et de toutes ces choses-là. Dieu descend sur Terre…, ce sont les hommes qui pensent… Donc, il y a aussi cette question de l’affirmation du sujet, de l’autonomie du sujet, de son émancipation par rapport à un certain nombre de penseurs dans l’Histoire. Et puis la modernité justement, si on veut l’incarner à travers des figures, au-delà des figures des Lumières, c’est Descartes (qui symbolise un point de départ). Il y a ensuite tous ceux qui viennent, que ce soit Hegel, que ce soit Kant, etc. Toutes ces figures-là l’incarnent ou la pensent et puis Baudelaire pour ce qui est de la littérature et de la poésie.
Mais, j’ai dit que la Modernité, ça ouvrait aussi à la connaissance de l’ailleurs, cet ailleurs découvert et puis conquis par l’occident. Et qui se traduit par, non seulement, le commerce triangulaire et la traite négrière, mais aussi le partage de l’Afrique en 1884-1885, après la conférence de Berlin, et aussi, on dit que, très curieusement, que la guerre de 40-45 est le point d’achèvement de la Modernité en Europe, qu’après cela, on entrait dans une ère nouvelle et différente parce qu’après la première guerre mondiale, qui a impliqué justement les anciennes colonies, les métropoles et le monde entier, ça a été le moment où les raisons scientifiques, techniques, politiques ont trouvé le summum de son paradoxe au fond. Parce que l’idée de la modernité aussi – ou de la modernisation -découle de cette idée que l’histoire progresse, que le progrès est au cœur justement de l’histoire. Et la question est de dire : « comment ? ». Si le progrès est au cœur de l’histoire, donc la raison, comment cela n’a pas permis d’éviter justement la seconde guerre mondiale, par exemple. Et pour les anciennes colonies, ça s’est traduit plutôt par la projection de cet universel dont parlait Hegel, cet universel occidental unilatéral qui a voulu faire de cet ailleurs, si on prend le cas de la France, de la Belgique, etc., faire de cet ailleurs, une image inversée de soi, de ces politiques coloniales d’assimilation. Niant effectivement cette réalité des autres et ça s’est traduit par quelques actes : l’exploitation coloniale, tous les domaines et les richesses des sols, la scolarisation, la santé, les routes, dans cette idée qu’on apportait la civilisation, qu’on apportait le progrès à ces indigènes. Et donc, après évidemment, il y a les indépendances qui sont arrivées et qui poussent finalement à remettre en question cette vision-là de cette modernité, parce qu’elle s’est confondue avec l’impérialisme occidental, la colonisation, et donc la transformation au fond du réel africain. Et c’est pourquoi, d’ailleurs, avec un certain nombre de penseurs latino-américains, a été lancée cette idée de la Trans-modernité, comme concept voulant signifier la manière dont les anciens colonisés se sont appropriés, ont transformé la modernité, et sont allés au-delà de cette modernité pour s’affirmer en tant que sujets de leur Histoire, posant leur propre regard sur cette histoire et pensant par eux-mêmes leur développement, leur inscription dans le monde actuel.
Qu’est-ce qu’une littérature moderne ?
Sans vouloir entrer dans la querelle des Anciens et des Modernes, et au fond, ce qu’il se tramait au moment de la querelle, c’est le rapport à l’Antiquité, au passé qui était érigé comme la norme. Les Modernes voulaient contester cette référence au passé qui figeait la littérature du passé, comme la moderne. Les Modernes voulaient donc rompre avec cela, ce qui débouche justement sur le Romantisme, où il y a, à la fois cette idée du passager, du fugitif (selon Baudelaire) et de l’éternité. C’est cela qui fait la modernité. Mais au-delà, ce qui fait aussi la modernité c’est aussi cette conscience que la modernité augurait une ère nouvelle, qui s’auto-fondait en tant que dynamique esthétique et littéraire. On voit d’ailleurs qu’avec la naissance au 19ème siècle, de la photographie, qui ouvre aussi des perspectives inouïes, tant au point de vue technique ou scientifique de la représentation, le dépassement de la peinture qui était jusque-là le modèle artistique de représentation du réel. Donc la modernité en littérature s’entendrait justement de toutes les manières d’écrire, de penser, qui rompent avec la tradition, qui introduisent une forme de rupture par rapport aux formes canoniques du passé. La poésie de Baudelaire par exemple où, l’une des figures que, moi, j’adore, c’est Lautréamont, qui incarne pour moi vraiment ce modèle, cet exemple de modernité extraordinaire, parce qu’il renverse les canons et, Aimé Césaire le considérait d’ailleurs comme le prince des poètes. Car, à partir de là, les cadavres entrent dans la littérature, la vie quotidienne dans ce qu’elle a d’âpre et de dur rentre dans la littérature et que donc, c’est vraiment dans cette idée de transgression des normes que s’inscrirait réellement la modernité littéraire et esthétique. En fait, c’est une esthétique de la rupture, de la transgression.
La modernité est ce qui fait avancer l’Histoire ?
Alors, en effet, c’est assez paradoxal puisque c’est cette conception de la modernité qui est la nôtre, contemporaine, effectivement, qui voudrait établir cette équation entre modernité, évolution de l’Histoire, transformation, changement, etc. Donc, oui, la raison, la modernité dans l’histoire, suivant Hegel, achève la construction au fond de l’Histoire occidentale, comme le romantisme était le point d’aboutissement justement d’une vision esthétique du monde et que, si on allait un peu vers Marx, on dirait : « mais, après cela, on entre dans l’ère post-historique au fond » car il y a cet achèvement. Or, s’il est vrai qu’on peut dire qu’il y a un lien entre l’époque historique dite moderne, qui voit justement les sciences, les techniques, la construction et constitution des états comme tel, la construction de la démocratie en quelque sorte, on peut penser effectivement qu’il y a derrière cette vision de l’Histoire, l’idée que c’est cette modernité-là qui permet ces avancées de l’Histoire.
Or, petite parenthèse, nous avons vu tout récemment cette réflexion sur “espace d’expérience et horizon d’attente”. C’est intéressant de reporter cette question de l‘Histoire et de la modernité sous cette perspective-là et on verrait qu’au fond, il y a, à la fois, des contradictions, mais en même temps, dans l’idée qu’il faut séparer les deux mais en même temps on sait qu’aucune Histoire ne se construit sans le rapport au passé et sans cette ouverture vers l’avenir et que donc, c’est entre ces deux idées-là (espace d’expérience et horizon d’attente selon Reinhart Koselleck) que l’on peut effectivement penser cette idée de l’Histoire et de la modernité. Qu’est-ce que la conscience moderne de l’Histoire ? Il y a l’historicité bien-sûr de la modernité, mais ça ne s’arrête pas qu’à ses effectuations théoriques ou dans les grandes idées, Etats, nations, droit, etc. Mais concrètement, dans le vécu des gens, dans les vies quotidiennes, qu’est-ce que cela leur apporte très concrètement et je crois que c’est dans les interactions entre les deux que l’on peut trouver le sens de l’Histoire.
Existe-t-il, pour vous, une œuvre moderne par excellence ? Un auteur ?
Aujourd’hui, puisque ce sont des catégories qui ont explosées en tant que telles, il n’y a pas une figure qui l’incarnerait car, au fond, ça a débouché, par exemple si on prend la littérature française, sur le Nouveau Roman et ses modalités d’écriture : Claude Simon La route des Flandres, La bataille de la Pharsale, des textes comme ça qui incarnent vraiment une manière de renversement de l’esthétique. Et si je devais prendre dans la littérature francophone d’Afrique, je mettrais Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, Allah n’est pas obligé, En attendant le vote des bêtes sauvages. Il incarne vraiment cette esthétique de la transgression, qui fait exploser les normes au fond et qui refuse le classicisme, qui se dit « mais voilà, tout peut être matière littéraire » et avoir la beauté justement des cadavres en quelque sorte.
Donc une œuvre moderne c’est une œuvre qui n’existe pas encore, qu’on ne peut pas encore penser parce qu’elle renverse l’ordre établi ?
Alors ça, c’est une pensée qui traverse l’idée de la Modernité comme s’auto-fécondant, s’auto-engendrant. On peut l’entendre de cette manière-là mais comme l’ecrivain.e, l’auteur.trice, le créateur.trice, est inscrit.e dans le temps et dans l‘espace, il y a toujours cette préhistoire de sa présence au monde et que la création de son œuvre reçoit toujours quelque chose du passé mais aussi quelque chose de neuf, qui n’a rien à voir avec ce passé-là. En fait, son œuvre pourrait être la conscience de ce passé-là en effet. On peut l’entendre de cette manière-là, de quelque chose qui n’a rien à voir avec le passé mais qui a aussi un lien avec lui, non plus en termes de référence face à un absolu et à une œuvre absolue du passé, mais qui s’en nourrirait, parce que l’on est toujours les héritiers de quelqu’un ou d’une histoire.
Qu’est-ce qu’un enseignant moderne ?
(Rires) c’est une question terrible ! Pourquoi ? Parce qu’effectivement, on a l’image de l’enseignant, du professeur, mais qui fut à une certaine époque, qui était le mandarin, qui professait ex-cathedra, qui professait une parole incontestable et que l’élève recevait cette pensée comme parole d’évangiles en quelque sorte. Cela a fonctionné pendant longtemps comme ça mais si on en restait uniquement à l’Histoire de la France, mai 68 a bouleversé ce rapport-là, la fin du mandarinat et le début de quelque chose d’autre, même si se taire derrière justement tous ces bouleversements, même aujourd’hui encore, les relents de mandarinat au fond, de ce fonctionnement mandarinal ça existe encore. Mais pour moi, si on devait caractériser un enseignant, c’est d’abord celui qui est frappé du sceau de l’ouverture d’esprit. J’aime toujours cette image que je donne, c’est-à-dire, je suis comme les béquilles, l’enseignant comme béquille. Les béquilles, on s’en sert pendant un temps quand on a eu un accident, on est blessé et les béquilles aident justement pendant un moment à tenir. L’enseignant moderne, pour moi, c’est celui-là. Qui permet justement d’offrir un certain nombre de repères dans sa matière à ses étudiants et puis les laisse libre d’aller au-delà, de laisser tomber ces béquilles-là.
Et j’ai une autre image, je ne sais plus de qui, qui dit que l’enseignant doit être un chemin qu’on utilise et qu’on oublie. Je ne sais plus si c’est de Mauriac mais voilà, être un chemin que l’on utilise et qu’on oublie. Pour moi c’est ça ma conception de l’enseignant qui est directif sans l’être et qui laisse cette liberté à ses étudiants de pouvoir exprimer qui ils sont, ce qui amène, au fond, ces étudiants à sortir ce qu’ils ont de plus profond en eux-mêmes.
Paris 3 est-elle moderne pour vous ?
(Rires) Vaste question. Alors, la naissance de Paris 3 a coïncidé justement avec la sortie de mai 68 et avec la rupture de la Sorbonne ancienne, c’est-à-dire, Paris 4. Et l’idée au départ était de dire « la nouveauté, la modernité au cœur de Paris 3, la Sorbonne Nouvelle ». Je crois que cet idéal s’est fracassé devant le mur des réalités. C’est vrai, il y a des initiatives, des tentatives, qui essayent justement de sortir de la tradition universitaire pour introduire des savoirs nouveaux, des expériences nouvelles d’enseignement, de partage avec les étudiants. Mais, on a oublié cet esprit-là, novateur, qui s’est déplacé vers Paris 8, Paris Vincennes, où il y a des tentatives, des innovations pédagogiques, universitaires. Paris 3 a gardé un peu de cet esprit-là mais on est retombé dans ces pratiques anciennes malgré tout. Mais je ne désespère pas parce qu’il y a des collègues, en tout cas des initiatives qui sont très intéressantes. Je veux donner un exemple simplement. Je crois que c’était en 2012, avec mes collègues du département de la médiation de la culture, on a organisé un très grand congrès international des études culturelles et on avait suggéré de créer au sein de cette université un département d’études culturelles. Mais on a rencontré des résistances inouïes disant « mais enfin, un département d’études culturelles, ça risque d’empiéter sur les domaines de ceci, de cela, et donc de priver de ressources les autres départements. » L’idée est morte comme ça. Alors des collègues tentent, chacun dans son département, d’introduire ces choses-là.
Est-ce que vous pensez par exemple à certains cours donnés sur les cultures populaires ?
Absolument, on peut penser à cela aussi, mais je crois qu’en 2009, au moment où il y a eu cette longue grève contre la LRU, la loi Pécresse, on a eu des initiatives comme ça, des cours hors les murs. Je me souviens, avec des collègues, on a fait des cours à la Mosquée de Paris, aux Halles, au musée de l’Immigration. C’était extraordinaire parce qu’il n’y avait pas seulement les étudiants. J’ai fait au jardin du Luxembourg des cours. Avec les étudiants on se retrouvait, n’importe qui pouvait venir assister et puis c’était des expérimentations, des expériences extraordinaires, seulement, ça a duré le temps d’un semestre. On faisait même des cours dans les couloirs ici. Mais voilà, c’était le temps de la grève, le temps de la « révolution » et puis, les lendemains des révolutions sont toujours amers et puis après, ça s’est estompé comme ça. Mais ce serait vraiment des initiatives fortes ; le problème est que l’université laisse la liberté aux enseignants de construire leurs cours, etc. et en même temps, quand il y a des initiatives innovantes de cette manière-là, ils les bloquent parce qu’ils voudraient qu’il y ait des cadres précis et puis parce qu’on dira « y a des problèmes d’assurance, …, et s’il y avait un accident, etc. » C’est toutes ces choses-là.
Et la place du journalisme dans la modernité ?
Je crois que c’est une très bonne chose et si on reste tout juste dans notre extrême contemporain, je crois que l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, c’est une très belle chose. Enfin, je dirais que le journalisme, c’est un peu comme la langue d’Esope, c’est la meilleure et la pire des choses. C’est-à-dire qu’on a des choses extraordinaires mais en même temps, parce qu’il y a cette ouverture extraordinaire de l’espace de la médiation journalistique, eh bien il y a aussi le pire qui s’y passe, mais je crois que c’est très intéressant parce que ça ouvre vers des choses extraordinaires. Au fond, il se pose toujours la question de la formation critique du lecteur ou de la lectrice et du sérieux du journalisme non seulement en termes de déontologie mais aussi de la nécessité de respecter la liberté de conscience, non seulement des journalistes mais aussi du lecteur, et de ne pas influencer forcement le lecteur ou l’auditeur. Et on voit effectivement qu’il y a ce risque de manipulation parce que par moment, si on prend simplement l‘espace médiatique français, il y a des connivences entre le journalisme et le politique et donc parfois il y a l’oubli de ces frontières-là. Je pense que c’est une très bonne chose que le journalisme aujourd’hui existe sous mille formes, il informe très bien de ce qu’il se passe à travers le monde, ça nous ramène le monde chez nous, comme ça amène le nôtre vers l‘ailleurs, de ce point de vue-là, c’est une très bonne chose. Mais il faut savoir garder l’éthique de la raison communicationnelle, pour parler comme Jürgen Habermas, il faut vraiment garder cette éthique-là, qui permet d’éviter justement la manipulation des esprits.
On a vu plusieurs aspects de la modernité, et j’aimerais savoir si, par conséquent, pour vous, la modernité est importante, dangereuse, nécessaire, tout cela à la fois, rien de cela ?
Alors, pour la modernité actuelle, comme vous le savez, on parle de post-modernité, parce qu’on dit qu’au fond on est entré dans l’ère post-moderne (Jean-François Lyotard), qu’on est sorti d’une crise du sens, crise de l’Europe industrielle, on est entré dans une ère nouvelle, aujourd’hui, qui se caractérise par la création de nouvelles technologies de l’information et de la communication, par la mondialisation, etc. Dans ce sens-là, c’est une bonne chose. Au-delà de son ancrage historique traditionnel, qui se fondait sur la raison occidentale, etc. mais le fait qu’il y a ces appropriations que se sont faites à travers l’histoire, à travers le monde, ce n’est pas une mauvaise choses en soi, mais effectivement il faut toujours savoir raison gardée, la raison moderne ou post-moderne ou trans-moderne doit toujours avoir à l’esprit l’idée, qu’au cœur de tous les systèmes, il y a l’individu dans sa vie quotidienne, comme sujet, comme liberté et en même temps, la nécessité aussi, parce que l’une des conséquences de la modernité, c’est l’état de droit que le respect des droits à la fois des citoyen.nes, de leurs devoirs, mais aussi le respect pour les Etats d’autres Etats, pour ne pas les écraser, etc. Donc il y a comme ça, puisque l’on est entré dans un monde réunifié, on est en tout cas en relation, pour filer une métaphore glissantienne ici, il faut que cette relation mondiale actuelle, cette mondialité, se construise sur des bases saines, qui privilégient toujours l’intérêt des individus, des personnes et puisque nous sommes aussi à l’ère de l’écologie et de l’environnement ; mais justement, que la raison moderne tienne compte aussi de cette raison écologique puisque notre planète subit beaucoup les conséquences des excès de la modernité et se dépérit ; donc, il faut cette conscience moderne, actuelle et responsable, si j’ose dire.
Pour terminer, une question plus personnelle, vous pensez-vous moderne ?
(Rires) Je me pense comme décadent. (Rires) Non je plaisante, je suis plutôt trans-moderne si j’ose dire. Non je suis très décontracté avec ça. Je dis ça mais vraiment parce que souvent, en moi, il y a un esprit espiègle, enfin il y a deux esprits. Il y a un esprit espiègle, qui me dit « mais il faut jouer des tours aux gens, à son environnement etc. » et l’autre qui dit « il faut être raisonnable ». C’est pourquoi je dis que je suis décadent. Parce qu’on m’imaginerait comme un être raisonnable, fondamentalement raisonnable, mais je ne me pense jamais comme un être raisonnable. C’est pourquoi je dis, j’aime vraiment cet esprit espiègle, mais par moment ça peut jouer de mauvais tours et puisque nous sommes à l’ère du sérieux on veut être sérieux, il faut porter les habits de l’enseignant, et très souvent ça me barbe énormément. Cela me contraint énormément, j’aime être vraiment simple, décontracté et ça, pour moi, c’est essentiel, parce que sinon, être guindé et tout ça, très peu pour moi. S’il ne tenait qu’à moi d’ailleurs, l’enseignement, ça serait vraiment un véritable foutoir, sauf que l’université ne permet plus que ce soit comme ça. Par le passé j’ai eu des enseignants qui étaient extraordinaires, c’est-à-dire qu’ils pouvaient, le jour de l’examen, au lycée encore, le prof venait et vous disait « bon vous avez l’examen, eh bien, vous voulez fumer, vous fumez, vous voulez boire, vous buvez, mais à la fin vous me rendez votre copie », il s’en foutait complètement mais c’était comme ça et moi j’étais fasciné, je me disais mais c’est pas possible mais enfin il plaisante, mais non ! Et lui-même il amenait du vin, il amenait tout ça, il disait « allez, vous vous servez puis après vous faites votre examen ». C’est des choses comme ça qui m’ont beaucoup marquées. Je suis pour un foutoir de l’enseignement.