De Nicolas Mathieu, aux Editions Actes Sud, août 2018
Prix Goncourt 2018
[Par Tess Noonan]
Chez Nicolas Mathieu la jeunesse est un carrefour où convergent les expériences de l’ennui, du désoeuvrement, du désir. Le récit se déroule pendant les années 90 dans un village fictif de l’est de la France et brasse quatre étés de la vie de plusieurs jeunes.
L’été amène sa torpeur et semble être là où la jeunesse atteint son degré le plus haut d’insouciance. Il incarne cet espace privilégié où les obligations sont minimes par rapport au reste de l’année. Les journées sont longues, remplies à la fois d’un profond sentiment d’ennui et d’excitation. Le récit débute en 1992, Anthony le personnage principal a quatorze ans. Il jette son dévolu sur Stéphanie qui ne cessera de l’obséder tous ces étés. Anthony est un peu gauche, un peu mou, n’a pas trop d’ambition si ce n’est un désir de ne pas vivre la même vie que ses parents et de coucher. L’été amène ainsi son lot d’enjeux principalement liés à la sexualité. Parler aux filles, les toucher, les embrasser, coucher avec elle. Le désir sexuel est un moteur dans l’œuvre de Mathieu, retranscrit par de longues scènes de sexe. Il devient aussi un exutoire de tout un nombre de paramètres et d’injonctions sociales auxquels les personnages doivent se soumettre. Peu à peu les obligations mises à l’écart pendant l’adolescence grignotent l’été de ces jeunes adultes.
Leurs enfants après eux, par son titre et son ancrage dans les années 90 marque ainsi la fin d’un certain monde. Les enfants dont il est question sont nés dans un monde post-trente glorieuses marqué par la fin de la classe ouvrière avec la fermeture des hauts fourneaux en Lorraine. Les personnages des parents, autant présents que ceux de leurs enfants, incarnent ce monde qui se délite peu à peu (on pourrait notamment parler de la figure fragile du père d’Anthony). Le récit montre bien la période charnière que fut les années 1990, avec un monde qui se désindustrialise de plus en plus. La difficulté de faire mieux que ses parents dans un monde qui change est ainsi au cœur du récit de Mathieu. Rapidement ces personnages perdent leur insouciance. Ils sont contraints de se plier à la réalité dans laquelle ils sont, et de saisir les lois qui les gouvernent. Il faut ainsi tout faire pour partir, sortir d’Helliange où le temps semble arrêté, sortir de ce quotidien morne et répétitif d’une certaine France pavillonnaire, cette France « périphérique » (expression plutôt en vogue utilisée par le géographe Christophe Guilluy). Helliange est marqué par ce manque de perspective.
Face à ces destins qui rattrapent ces personnages, Mathieu tourne son attention vers le banal et l’anodin, vers la retranscription de micro événements qui rythment les journées et les sensations de ses personnages. De cette écriture sensible découle un profond sentiment de beauté face aux expériences auxquelles tous s’adonnent. C’est la lumière dans le ciel quand le soleil se couche, c’est le disque de Nirvana qu’on écoute défoncé à une soirée, c’est le trajet sur la départementale qu’on fait à moto et son odeur d’essence chaude, c’est la douceur de la peau d’une fille qu’on embrasse, c’est la victoire des bleus contre le Brésil en 1998, et l’ivresse que l’on ressent, là où vient clore le récit. La difficulté de transcender son destin qui semble déjà écrit se conjure avec un puissant sentiment d’être au monde, avec la beauté d’appartenir.
Pour Nicolas Mathieu qui se considère comme un « orphelin volontaire », il s’agit de ressasser la beauté, de créer une esthétique et de restituer la grandeur à des vies que l’on considère comme minuscules.