NOVEMBRE #2 – Julie Favarel

A l’intérieur du passage, c’est comme s’il était plein. Comme si le vide était une texture lourde, qui laissait une sensation visqueuse sur les doigts et le reste de mon corps qui se fraye un chemin à l’intérieur. C’est un couloir noir qui semble isolé de tout. Il est insonorisé, et possède ses propres lois. Pourtant il se mue de plus en plus en autre chose, à mesure que j’avance à l’intérieur. Tout au bout, je peux voir qu’il varie. Les contour se répandent, ils étendent mon champs de vision.
Et puis il y a un grésillement, le même que celui de l’enceinte dans laquelle je me suis retrouvée plus tôt. Il est fort, de plus en plus fort. Et puis il finit par m’englober. Ou plutôt m’engloutir. Je le ressens à travers la matière que je pénètre, elle se met à vibrer.

« C’est comme je vous disais, c’est inadmissible. (pardon pardon, mais je surveille mon langage, là j’ai dis « inadmissible » c’est un mot savant ça) J’aurais pu dire incroyable aussi parce que qui sait si un jour on va s’y faire, à l’idée… J’suis planté là et j’vous r’garde en espérant que quelqu’un se lève et fasse un truc… Non non un truc, je sais pas, j’veux dire un geste, quelque chose qui nous sorte de là. (pardon, non non je pleurs pas) »

Je rencontre une vieille femme. Elle me mène quelque part. En fait elle me guide dans ce couloir sans porte, alors que je ne peux faire qu’avancer. Elle a une texture moins floue que les autres, et quand elle parle, je l’entends et je comprends. Mais je ne sais pas trop pourquoi, je ressens comme une éphémérité de notre échange, et d’ailleurs, je ne sais déjà plus dire de quoi nous parlions une seconde avant. Enfin il ne me semble pas que c’était très important. Enfin si, c’était très important. Elle me dit quelque chose de très très important. Très important et primordial.

« J’arrive pas à faire vos trucs moi… J’ai été faible. Enfin je le suis encore quoi, mais c’est pas facile de le dire vous savez, parce que pour ça bah faut assumer. Je voulais que tout se passe comme si c’était rien, enfin comme si c’était quelque chose qui (comment on dit déjà ,) te construit. On te fait croire que ça te bute pas. Mais ça te bute. Enfin moi ça me bute. »

« Qu’est ce que c’est ? »
Elle se retourne, me regard, me sourit.
« Comment cela ? » Et puis je me mets à crier en lui demandant ce qu’elle me disait. Je

crie parce que je ne m’entends pas, je ne sais pas si j’ai été absorbé par la matière ou par le grésillement. Mais nous continuons à marcher. Et puis sur le chemin nous en croisons d’autres, des comme elles. On dirait de vieilles âmes. Ils ont tous le visage doux. Ils ont l’air de se balader. Ils ne marchent pas vite, j’ai l’impression qu’ils sont en tenue de nuit. Comme la vieille femme, qui me sourit gentiment. Et puis sur ma gauche, une porte se dessine. Je passe devant mais je m’arrête au dernier moment. Je la regarde, cette porte.

« C’est là qu’il faut rentrer, non ? »

La vieille femme est déjà à l’intérieur. Elle prend le thé. Je la vois, elle est assise sur une vieille banquette, élégante. Elle ne porte pas la même tenue.

« Je crois que je peux rentrer ? »

C’est alors ce que je fais, mais la pièce se retrouve encore pleine de brouhaha. J’ai du mal à me déplacer à l’intérieur, c’est trop épais. Je creuse avec mes mains pour dégager de la place, et me permettre de passer. Je vais m’asseoir sur un fauteuil imprimé comme la banquette, et comme le papier peint. C’est joli, c’est chaud. Mais il fait très froid, et tout le monde parle en grésillant. J’ai du mal à suivre. Je bois du thé moi aussi, ça me fait plaisir.

« Ça me bute et pas que. Ça me fait faire et ça me fait dire des trucs pas cohérents, parce que je sais pas si j’arriverais à———

Mais il a un gout étrange ce thé. Il a pas un gout de thé, il a un goût d’eau, enfin, un goût d’eau très chaude. Je regarde la vieille femme et je voudrais lui dire. Je voudrais lui dire que son thé a un goût d’eau mais je sais pas comment on dit. Le grésillement a disparut de l’air mais si je me mets à parler c’est moi qui le fait réapparaitre. Je suis bloquée ici avec mon eau chaude. Je me dis que n’est pas grave, et que je peux bien la boire. Je vais juste attendre la vieille dame pour sortir d’ici. Je ne voudrais pas retourner dans le couloir sans elle.

Julie Favarel.

Retrouvez le travail de Julie sur son Instagram @juliefavarel

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