La croissance éternelle ou le mythe responsable de la catastrophe environnementale

Coline CHAMPÉROUX | Alors que le constat que nos sociétés courent vers une catastrophe climatique est sans appel, il est nécessaire de revenir en arrière pour comprendre comment nous en sommes arrivés là.  Les deux premiers chapitres de La décroissance de Nicholas Georgescu-Roegen apportent un éclairage sur les origines de la bombe climatique à partir de considérations scientifiques, philosophiques et économiques. Bonneuil et Fressoz à travers L’événement anthropocène, la Terre, l’Histoire et nous et Joan Martinez Alier avec L’écologisme des pauvres complètent son approche, grâce à une analyse historique et sociale de l’origine de ce bouleversement, qui ne date pas d’hier.

 L’origine du problème climatique : l’illusion d’une planète aux ressources illimitées

L’Homme exploite la nature à son profit sans prendre en compte la conséquence de la loi de l’entropie. La loi de l’entropie est pourtant une contrainte incontournable lors du processus économique qu’est l’exploitation des ressources. Cette loi conditionne le stock de ressources dont l’Homme dispose. La loi de l’entropie se traduit par la transformation inévitable d’énergie libre en énergie liée notamment quand il y a exploitation d’une ressource par l’homme. Par exemple, un morceau de charbon est constitué d’énergie libre qui, une fois exploitée par l’Homme pour obtenir de la chaleur, devient inutilisable. Le charbon s’est changé en cendre, chaleur et fumées et cette énergie dégagée est dispersée. L’entropie est donc la mesure du désordre. Le charbon est en effet à usage unique et une fois exploité, il est de haute entropie puisque son énergie devient inutilisable. La loi de l’entropie est associée à la thermodynamique. Le mémoire de Nicolas Sadi Carnot décrit celle-ci : l’énergie se divise en deux types, libre ou liée. Un seul état particulier de l’énergie est utilisable par l’homme: l’énergie libre.

Le processus économique à la base de notre système

Nos sociétés fonctionnent à partir de processus économiques. Ils correspondent au fait de transformer des ressources naturelles de valeur (de basse entropie) en déchets (haute entropie). Toute vie se base sur le processus économique, par la recherche d’un produit immatériel : la joie de vivre. Consommer satisfait, en effet, les besoins de l’être vivant, en se nourrissant de basse entropie puisée dans l’environnement. Tout objet présente une valeur économique : qu’il s’agisse d’un fruit tout juste cueilli, d’un vêtement ou d’un meuble – il comporte initialement une structure hautement ordonnée, donc une basse entropie, qui a donc de la valeur. La Terre étant un système clos, il ne peut y avoir qu’une quantité finie de basse entropie. Et l’ordre d’un tel système se transforme inévitablement en désordre. L’entropie est donc un processus évolutif qui consiste en une dégradation du stock des ressources terrestres.

Les mythes économiques responsables des maux de la planète

Nicholas Georgescu-Roegen consacre un chapitre aux mythes économiques. Ils sont le parfait témoignage de la croyance de l’Homme en des ressources illimitées qui induit l’exploitation sans contraintes. Que ce soit l’approche de l’économiste orthodoxe ou celle du marxiste au sujet des ressources, elles occultent chacune le caractère limité des ressources naturelles. Envisager une croissance économique perpétuelle devient donc tout à fait possible, si l’on conçoit la planète comme disposant d’un stock immuable de ressources. 

Marx a prêché ouvertement que la nature nous offre tout gratuitement, tandis que les économistes orthodoxes l’ont admis tacitement. Le processus économique est alors envisagé comme un flux indépendant et circulaire entre « production » et « consommation ». Or, selon l’auteur de La décroissance « rien ne saurait donc être plus éloigné de la vérité que l’idée du processus économique comme d’un phénomène isolé et circulaire ». Nombreux sont ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme, il y a des années, en dénonçant la dangerosité de la croyance en une croissance continue. Joan Martinez démontre qu’encourager la croissance de l’économie implique une augmentation toujours plus importante de l’utilisation de ressources naturelles et donc de la production de déchets. Une fois rentrée dans l’économie, l’énergie exploitée ne peut être intégralement recyclée, comme l’illustre la loi de l’entropie. L’Homme s’approprie donc la biomasse au détriment des autres espèces. Bonneuil et Fressoz mettent en avant l’absurdité de croire en une croissance indéfinie alors que l’on se trouve sur une planète finie, autrement dit, un espace clos.

La pensée inhérente à l’Homme de pouvoir défier les lois de la nature

Il y a une incroyable persistance du mythe de la régénération de l’énergie, la pensée que l’Homme aura toujours accès à de la basse entropie. Elle révèle la croyance d’un pouvoir inhérent à l’homme de vaincre d’une manière ou d’une autre la loi de l’entropie. Nous avons l’idée d’une nature linéaire et réversible mais, le monde dans lequel nous vivons est un monde de limites. Tout processus dans la nature ne peut aboutir qu’à un déficit pour le système total. L’auteur de La décroissance démontre, en effet, que l’Homme ne dispose pas d’un stock de ressources illimité, à partir de plusieurs critères comme celui de ne pouvoir transformer que l’énergie libre. Un second critère est exposé, celui de l’accessibilité. L’accès à l’énergie libre est limité car il n’existe que deux types de stock de ressources : le stock d’énergie libre dans les entrailles de la Terre et le stock de flux de rayonnement du soleil. L’Homme n’a pas d’emprise directe sur le Soleil et la ressource sur Terre est moindre à côté de l’énergie libre du Soleil. En bref, l’Homme dispose d’un accès limité à l’énergie libre.

La plus grosse erreur commise par l’économiste est de n’avoir pas relié l’analyse du processus économique aux limitations de l’environnement matériel de l’Homme. Ainsi, baser notre système de société sur la nécessité d’une croissance économique ininterrompue mène nos sociétés droit dans le mur.

Le mot de la fin

Mais, pourquoi concrètement, aborder la question écologique sous le prisme de l’économie pose problème ? La réversibilité complète est la règle générale en économie, exactement comme en mécanique. Une inflation, une sécheresse catastrophique ou un krach boursier ne laissent absolument aucune trace dans l’économie en théorie. 

Ainsi, exploiter des ressources serait, sans conséquence, irréversible.

“Dans un tel monde imaginaire, purement mécanique, il n’y aurait pas de véritable rareté de l’énergie et des matières premières. Une population aussi vaste que le permettrait l’étendue de notre globe pourrait en effet vivre pour toujours.”

Nicholas Georgescu-Roegen, auteur de La décroissance

Aujourd’hui, nous savons qu’un tel monde n’existe pas et ne peut exister avec notre modèle de société actuel.

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