Emeline Cocq, le 17/03/12
Alors que les médias français – un brin chauvins – célèbrent un « Artist » dopé aux oscars qui renoue avec l’âge d’or américain (cherchez l’erreur), la Cinémathèque, elle, accueille jusqu’au 5 août la fine fleur (du mal) du cinéma outre-Atlantique : Tim Burton. Une exposition de tous les superlatifs (l’overdose en moins), qui comporte dessins, photographies, objets, costumes, reflétant l’univers morbide du célèbre réalisateur. Kaléidoscope humain, Burton révèle son esthétique dans ce qu’elle a de plus singulier : une culture à la fois hollywoodienne (voir Ed Wood) et européenne, qui emprunte autant au surréalisme qu’à l’expressionisme. Ses diverses sources d’inspiration distillent un parfum doux-amer ; ses propres coutures et cicatrices, si présentes dans un film comme L’étrange noël de Mr. Jack, sont rendues visibles à chacun. Et la renommée de Burton n’a d’égale que la richesse du programme, qui propose en plus de l’exposition, une rétrospective, une carte blanche, et des conférences.
Le 12 mars, le diabolique Sweeney Todd a été le prétexte pour introduire la notion de morbidité dans l’œuvre burtonienne. En deux heures, en salle Henri Langlois, l’historien Antoine de Baecque est revenu sur ce qu’il appelle « L’art des morts » à travers des films comme Batman returns, Beetlejuice, et Corpse Bride (Les Noces funèbres). Forcément fun.
Tim Burton « Trick or Treat »
La conférence s’ouvre sur la définition personnelle du réalisateur américain de la mort, ou plutôt sur sa redéfinition à travers le faisceau créatif qu’est le cinéma : il s’agit non pas d’une fin, mais d’un recommencement. Les tombeaux sont colorés, les cadavres exquis, le tout s’animant sur une scène de carnaval. Le premier extrait est tiré de Batman returns, alors que Catwoman (Michelle Pfeiffer) opère sa mue physiologique : son personnage meurt, mais renaît grâce à la présence de chats qui s’emparent charnellement de son corps. Par la suite, ce corps s’en crée un autre, en fabriquant une seconde peau qui deviendra la fameuse combinaison en cuir. Les coutures sont personnelles, même s’il s’agit de pièces rapportées, hétérogènes : au départ simples personnages, ils deviennent des figures. Tim Burton déconstruit ainsi peu à peu le monde qui peuple ses films, lui retirant souvent sa part d’humanité pour revenir à une forme de primitivisme.
Tim Burton, « Fille bleue avec crâne et enfant mort »
Des dessins du réalisateur comme « Trick or Treat » défilent sur l’écran, et évoquent le passage de l’initiation à la mort, sous la forme d‘un conte destiné à l‘homme moderne. Si la poésie noire d’Edgar Allan Poe colore les thèmes de l’enfance (voir Vincent), le masque mortuaire que revêt nombre de personnages est joyeux et sardonique. C’est le cas du Joker (Jack Nicholson) dans Batman returns, « lumière folle » du film, dont la plaie est celle du rire. Batman (Michael Keaton), lui, fait pâle figure à côté de son costume, qui révèle une musculature qu’il ne possède pas, une incarnation du sérieux contemporain – un masque derrière lequel se cache en réalité un être mortifié, plus effrayé qu’effrayant.
La mort sert également de décor et peut devenir un élément métafilmique. Un extrait deBeetlejuice souligne le déni du réalisateur à l’égard des scènes d’action. La mise en scène est en effet volontairement délaissée au profit d’une création ex nihilo. Et la fabrication en tant que décorateur est d’autant plus sensible dans les films d’animation. La jazz party des squelettes dans Corpse Bride est assez significative : l’ici-bas, c’est fun, coloré et inventif. Les yeux exorbités et le teint blême du seul vivant, Victor (réminiscence de Vincent), contrastent parfaitement avec cet univers inversé, transformé en scène de carnaval. Comportant des éléments autobiographiques, le film met sur un même plan morts et vivants dans le souci d’un respect mutuel. Même la mariée cadavérique (dont l’œil est habité par un asticot, au passage) nous paraît belle.
Ce monde en voie d’autodestruction dépeint par Burton annonce aussi la fin du cinéma. La plupart de ses personnages, qui sont souvent émouvants et innocents (voir Edward aux mains d’argent), sont d’abord des êtres marginaux créés par un Frankenstein moderne (êtres de fiction fabriqués par le cinéma), et donc voués à se cacher comme des parias loin de la société adulte.
Sweeney Todd conclut à merveille la conférence. Antoine de Baecque rappelle avant sa diffusion, la nature pamphlétaire de ce film macabre dans lequel le sang est un personnage à lui seul en même temps qu’une matière plastique et sociale. Cette « tragédie musicale » sonne le glas d’une société cannibale, où il faut manger son prochain pour éviter d’être mangé à son tour.
On se régale d’avance de la suite des festivités !
Pour consulter le programme de l’exposition, allez sur le site de la Cinémathèque ou sur le site paris.fr. Et n’oubliez pas le colloque à la Cinémathèque, salle Henri Langlois « Tim Burton : horreurs enfantines » en collaboration avec la Sorbonne Nouvelle – Paris 3 le 5 avril (entrée gratuite) !
Extrait Batman returns : http://www.youtube.com/watch?v=vj97CUSbiik
Extrait Beetlejuice : http://www.youtube.com/watch?feature=endscreen&NR=1&v=Vi52_qprBT0
Extrait Corpse Bride : http://www.youtube.com/watch?v=RM590TciaoQ&feature=related
Chanson « Epiphany » Sweeney Todd :
http://www.youtube.com/watch?v=TxoFi5Lie34