êtres littéraires – interviews

Amandine B. (M2 Lettres) : « Pour moi, ce n’était pas un choix, c’était soit ça, soit rien ».

Qu’est-ce qu’être littéraire selon toi ?

C’est faire toujours un parallèle entre ce que tu lis et ce que tu vis, et entre les choses que tu lis. Et donc, à la fois faire ce rapport, mais aussi être confronté à cette superposition de la matière vécue et les lectures ; il n’y a pas d’un côté ma vie, de l’autre les lectures.

Est-ce avoir une vie plongée dans l’imaginaire ?

C’est être un peu ailleurs, c’est vrai, sans pour autant être coupé du réel. Au contraire, c’est démultiplier les interactions avec celui-ci. Pour donner un exemple : je suis très attentive aux inconnus qui voyagent avec moi dans le bus, dans le métro.

Faire des lettres, souvent, n’est pas un choix pragmatique. Pour moi, ce n’était pas un choix, c’était soit ça, soit rien.

La littérature aide à voir des choses belles qui pourraient passer inaperçues ; elle est un éveil. Quand on lit, c’est comme si on attendait une révélation. On a parfois cette sensation : il a mis le mot dessus.

Laurent (M2 lettres) : « être littéraire : être créatif, fantaisiste »

Trouves-tu que tous les étudiants en lettres sont littéraires ?

Non, je n’ai pas l’impression. Je trouve qu’ils manquent cruellement de fantaisie. Pour moi, c’est ça, être littéraire : être créatif, fantaisiste, et ici, les élèves ne me semblent pas créatifs. Etre littéraire, c’est être créatif jusque dans son comportement, son attitude. Ça se voit, on le porte sur soi !

Clémence M. (M2 lettres) : « être à l’écoute du texte »

Est-ce qu’ « être littéraire » a du sens pour toi ?

Pour moi, cela est pertinent en tant que cela définirait un type d’être, une personnalité. Pour autant, je n’en fais pas l’apanage des étudiants en lettres… Il s’agirait, selon moi, d’une application dans la lecture, d’un savoir-lire avec attention ; d’être à l’écoute du texte, de l’accueillir, de le comprendre ; ne pas lui faire dire ce qu’il ne dit pas, faire une analyse qui lui rende justice. Peu en sont vraiment capables, même en études de lettres.

Si l’on doit se représenter un certain tempérament… Rêveur, imaginaire, créatif, ce dont parlait Laurent. Je crois que le mot littéraire ne convient pas.

Julie (L3 lettres) « Avoir une moralité douteuse »

 

Tu penses que les littéraires ont des mœurs particulières ?

 

Je pense que les littéraires ont une moralité douteuse. « J’ai une moralité douteuse, c’est-à-dire que je doute de la moralité des autres » dit la femme dans Hiroshima mon amour. Certaines lectures, il me semble, poussent à s’interroger sur la morale, sur ce qu’on cache derrière elle. Tout grand livre montre l’envers du décor, révèle ce qui motive nos actions. La lecture développe peut-être un second degré qui peut donner la force de s’écarter de l’ordinaire ou de remettre en cause les normes communes. Loin de moi l’idée que la littérature invite à la débauche ; mais j’ai l’impression qu’entre littéraires on peut se considérer « dans les coulisses » et vivre dans nos paroles ou dans nos gestes certains écarts aux bienséances sans que cela porte à conséquence… Certes, quelques-uns développent l’art du libertinage… »

Clémence P. (M2 lettres) : « il mène sa vie plus près du rêve »

Est-ce qu’ « être littéraire » a un sens pour toi ?

Je pense qu’il y a une personnalité générale qui peut se rapporter à « être littéraire », et qui abrite ensuite des spécificités selon les êtres. Il s’agirait d’une vision du monde différente, qui laisse pace à l’imaginaire. Je pense qu’un littéraire est à l’écoute de ses fantasmes, de ses rêves. Il a donc un prisme pour saisir l’existence, ce qui peut aussi l’entrainer à avoir envie de vivre comme dans une histoire, de vivre sa propre vie comme un roman.

Il me semble que le littéraire a une personnalité passionnée, rêveuse. Qu’en somme il mène sa vie plus près du rêve. Il peut avoir un peu peur des autres, ce qui n’est que le pendant d’un altruisme. Il s’intéresse vraiment à l’homme, à ce qu’il pense. Il observe les gens, il voit à l’intérieur des gens.

Penses-tu qu’il soit détaché du réel ?

Je ne pense pas qu’il vive dans un monde imaginaire, comme peuvent le faire certains amateurs de jeux vidéos ou de fantaisie. Je pense qu’il vit près du réel, seulement, il est dans la sublimation du réel, tout en ayant la volonté de le rejoindre, ce qui peut être générateur d’angoisses. Pour lui, tout a une importance. Je pense qu’il aime vraiment la vie, tout en étant parfois plein de maladresse envers elle.

Alice (M1 lettres) : « être attentif tout en étant ailleurs»

Pour moi, être littéraire ne veut pas dire grand-chose, de façon commune, ce serait une façon commune de justifier ses enfants quand ils sont mauvais en mathématiques auprès de la famille. Plus sérieusement, « être littéraire », c’est une expression qui renferme et fige beaucoup de clichés : avoir une affinité très forte avec la littérature, être rêveur, fantaisiste, esthète… Le littéraire apparaît un peu comme un jeune héros romantique, pâle et enivré d’idéal, un vestige dans le monde de la surconsommation et du fard à paupière.

Mais je ne pense pas que ce soit vain de réfléchir au terme et de se le réapproprier. On peut lui demander d’héberger, ce qu’en tant qu’étudiant en lettres on qualifie parfois de rapport sincère, réel, à la littérature ; mais qui est aussi un rapport d’implication dans la vie, une volonté que les choses soient autres, sans forcément agir sur elle, mais en transformant la vision qu’on en a. Dans « être littéraire », je pourrais mettre tout ce qui me semblerait s’appliquer à un « devoir être » ou une façon d’être qui ne serait pas autre chose qu’une interrogation perpétuelle, une quête, une mise en récit constante de soi et des autres ; à « tutoyer l’être ». On pourrait arriver alors au paradoxe d’un être littéraire qui ne lit pas, mais je crois que c’est presque impossible : quand on a le sentiment réel de l’existence du monde, du caractère absolument fragile de ce qui est, je crois qu’on ne peut pas ne pas avoir cette envie de lire, c’est-à-dire de rejoindre une forme de solitude qui ne s’adresse pas à nous et qui s’adresse pourtant à nous, à ce que nous sommes de plus cher.

En somme, être littéraire, c’est être attentif tout en étant ailleurs.

Aurélien M. « Une attitude vis-à-vis de tout »

Qu’est-ce qu’être littéraire ?

C’est plus une attitude vis-à-vis de tout que vis-à-vis de la littérature. Être littéraire c’est adopter une certaine perception du monde, une compréhension qui porte sur les êtres. C’est appréhender le monde, dans les deux sens du terme. Il manque parfois à l’être littéraire une connaissance scientifique du vivant : on se réfère trop à la littérature, en considérant les mathématiques, la physique, comme de simples définitions qui n’apportent aucune réponse, ce qui est faux. Le littéraire français typique est trop souvent un rejeton du doute cartésien, il en vient alors parfois à rejeter en bloc la science qui serait là pour lui imposer une vérité absolue. Finalement, le littéraire, c’est peut être le nouveau croyant de notre époque, et ce sera le dernier.

Voilà pour la compréhension… Mais disons, pour la vie? 

C’est ne se contenter de rien. On ne se contente jamais de ce qu’on possède, de ce qu’on connait, de ce qu’on est.

(interviews réalisées par Sarah Dinelli)

Anna C. (M1 Lettres)
Qu’est ce que cela signifie pour toi, être littéraire?

C’est d’abord voir les choses différemment de ceux qui ne sont pas littéraires. Un état d’esprit général, une fascination pour tout aussi. C’est être heureux de vivre des évènements, bons ou mauvais, savoir apprécier et contempler. Tout passe. Un littéraire a aussi une conscience développée à l’égard de la beauté, il sait la trouver partout, il admire la plus petite existence comme la plus grande.
Cela entraîne un autre aspect bien moins agréable, on a une tendance à la passion, aux histoires romanesques, certains vivent pour la beauté de l’histoire, ils se transforment en personnages, tous des Emma en puissance.

La différence entre un littéraire et quelqu’un qui ne l’est pas?

La compréhension lors d’une situation compliquée : un littéraire aura peut être tendance à faire appel à ses sentiments pour appeler à une compréhension parfois plus humaine que rationnelle. Les littéraires ont un rapport plus simple à la tragédie, ils les ont toutes lues, lorsqu’elles se reproduisent dans la vie courante ils y sont déjà préparés. On accepte plus facilement les situations lorsqu’on y trouve du beau.
Il faudrait différencier les classiques des modernes. J’aime la littérature classique, j’ai une affinité avec toutes ces tragédies passées dans lesquelles je trouve toujours un écho du présent. Les modernes scrutent directement celles d’aujourd’hui.

( interview réalisée par Aurélien M.)

Etudiant anonyme « l’apparat du littéraire me dérange »

Voulant rester anonyme on le retrouve devant une des machines à café du hall de Paris III.

– La cafétéria ?

Non, quelle question ! C’est un lieu plein d’étudiants en lettres, ces fameux « littéraires » dont on lui demande s’il en fait partie. La réponse est évasive. Oui… Non… Peut-être.

– C’est énervant comme question. Est ce que toucher des livres de temps en temps pour avoir une note d’un type qui en a touché beaucoup plus, est suffisant pour se définir comme littéraire ? Alors oui,  nous sommes tous littéraires.

Sa spatule se casse. Il semble rêveur.

– Dommage, autant d’expérience de vie condensée… Il faut voir ce qu’on en fait. La maturité contre toute attente ne semble pas grandir avec les chapitres terminés. Ce qui me dérange, c’est l’apparat du littéraire. Nous avons une tendance à exhiber notre amour tout relatif des lettres plutôt que de mettre à profit nos lectures.

Le café se consomme sans spatule…

– Moi, je vois le littéraire comme une personne qui a toujours en arrière-plan quelques chapitres, ou du moins l’idée que cela pourrait être écrit… Vénérer la littérature c’est étouffer sa spontanéité… Le plus ridicule est de devenir la copie trop sérieuse, sans envergure, burlesque, d’une œuvre qu’on a aimée.

Et le café, il est bon?

Non, bien sûr.

Par Guillaume Collet.

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