Qu’est-ce qu’être littéraire?

Nous avons donné la parole aux étudiants en lettres. Est-ce que, pour vous, « être littéraire » a un sens ? 

A quoi le reconnaître s’il existe ? Est-ce qu’étudier les lettres suffit à faire un littéraire ? 

par Laurent Nalin (collectif 5.6) – Etudiants en master de lettres – le monde à l’envers.

Un cliché

On refuse d’abord de nous répondre : « Pour moi, être littéraire ne veut pas dire grand- chose… C’est un lieu commun dont se servent les parents pour justifier leurs enfants quand ils sont mauvais en mathématiques » affirme Alice (M1) avec cynisme. Le littéraire apparaît selon elle un peu comme « un jeune héros romantique, pâle et enivré d’idéal, un anachronisme dans le monde de la surconsommation ». Quant à l’étudiant en lettres, on fait vite son sort dans la société, où l’on considère qu’« être littéraire revient à être prof ou chômeur potentiel » caricature Caroline (M2). Nous avons voulu voir si les étudiants de lettres voyaient, au-delà de ces clichés, une manière de se dire littéraire autrement.

Une manière de lire.

L’être littéraire pourrait d’abord se définir par un goût prononcé pour la lecture, une approche sensible du texte. Pour Clémence M.(M2), l’être littéraire ne se définit pas par une personnalité mais par une « application dans la lecture, d’un savoir-lire avec attention », le fait  « d’être à l’écoute du texte, de l’accueillir, de le comprendre ; ne pas lui faire dire ce qu’il ne dit pas, faire une analyse qui lui rende justice ».  Caroline fait elle aussi écho à une «finesse dans l’approche des textes » qui permettrait sans doute de développer « sensibilité et émotion au contact des textes. Néanmoins, si Clémence M. refuse d’étendre l’être littéraire à un hors-texte, Caroline n’exclut pas un rapport essentiel qui déborderait l’étude.

Une façon d’être ?

Une personnalité

Le littéraire serait-il reconnaissable ? Pour Clémence.P et Laurent (M2), il posséderait certaines caractéristiques, notamment celle d’être véritablement à l’écoute de ses fantasmes, de ses rêves : « je prends mes rêves au sérieux » nous confie Laurent. Pour ce dernier, l’être littéraire est créatif et fantaisiste, jusque dans son comportement qui doit se voir : il doit faire preuve d’un « effort à être ». Clémence évoque davantage l’intériorité, la vision intérieure. Pour elle, le littéraire est quelqu’un qui « mène sa vie plus près du rêve », il laisse une grande part à l’imaginaire. Le littéraire posséderait une vision du monde différente des autres : Aurélien reprend l’expression du sens courant pour l’étendre. Selon lui, être littéraire représente plus «  une attitude vis-à-vis de tout que vis-à-vis de la littérature, être littéraire c’est adopter une certaine perception du monde, une compréhension qui porte sur les êtres ».

Entre Réel et imaginaire.

Aussi les étudiants que nous interrogeons se défendent-ils d’être coupés du monde. Pour eux, le littéraire ne trouve pas un refuge dans l’imaginaire « comme certains amateurs de jeux vidéos ou de fantaisie », au contraire, il se tient « près du réel, seulement, il est dans la sublimation du réel » pour reprendre les mots de Clémence. Amandine précise que le littéraire « démultiplie » les interactions avec le réel et nous donne un exemple repris par d’autres étudiants de l’enquête : elle se dit « très attentive aux gens qui voyagent avec elle dans le bus, dans le métro »,  et Emeline (L2) en vient à nous faire cette confidence paradoxale : « je ne comprends pas les gens qui lisent dans les transports, je regarde toujours les gens ». Pourrait-on en arriver à un être littéraire qui serait seulement vision du monde et qui ne lirait pas ? Alice (M1) dément : « quand on a le sentiment réel de l’existence du monde, du caractère absolument fragile de ce qui est, je crois qu’on ne peut pas ne pas avoir cette envie de lire, c’est-à-dire de rejoindre une forme de solitude qui ne s’adresse pas à nous et qui s’adresse pourtant à nous, à ce que nous sommes ». Le littéraire pourrait se caractériser par le fait de pouvoir être attentif tout en étant ailleurs.

La dimension de beauté

La littérature fait figure à la fois d’éthique et d’esthétique. Elle est un « éveil », elle « aide à voir les belles choses qui pourraient passer inaperçues ». Cette contemplation de la beauté, permet selon Anna (master 1) d’ « accepter plus facilement les situations », qu’elles soient bonnes ou mauvaises, et de la lire en toute chose : « Un littéraire a aussi une conscience développée à l’égard de la beauté, il sait la trouver partout, il admire la plus petite existence comme la plus grande », « tout a une importance » nous dit aussi Clémence.

Mal-être littéraire

Mais elles soulignent l’une et l’autre que cette conscience du tout peut être génératrice d’angoisses, tout comme l’impossibilité à rejoindre le réel. Pour elles, la vie peut se rapporter à un roman, mais Anna parle de ce rapprochement comme d’un « aspect bien moins agréable, une tendance aux histoires romanesques », le risque de se « transformer en personnage, de devenir des Emma en puissance ». Un étudiant anonyme de L2 se met alors à distance de ce qu’il étudie : « à trop vénérer la littérature on étouffe sa spontanéité (…) le plus ridicule étant de devenir la copie sans envergure d’une œuvre qu’on a aimée ».

Vivre en toutes lettres

Pourtant, il s’agit peut-être moins pour le littéraire de se faire personnage que d’entrer dans un système d’échos : « c’est faire toujours un parallèle entre ce que tu lis et ce que tu vis, et entre les choses que tu lis », faire état d’une « superposition de la matière vécue et les lectures », d’une « interpénétration » selon Amandine ; « ne pas bien séparer sa vie de ses études » nous dit Caroline. Néanmoins, les littéraires interrogés n’attribue pas l ‘«être littéraire » à tout étudiant en lettres, de Laurent qui considère que certains « manquent cruellement de fantaisie » à Aurélien pour qui tous ne possèdent visiblement pas un rapport essentiel à la littérature. A l’inverse, on pourrait trouver d’authentiques littéraires hors des murs de l’université.

Absolument littéraire.

En dernier lieu, on pourrait proposer une définition négative comme le fait Caroline : «  J’ai tendance à considérer qu’ « être littéraire », c’est finalement ne rien pouvoir être d’autre. On est littéraire exclusivement, uniquement, aussi parce qu’on n’a pas le choix, ou qu’on n’a pas voulu choisir autre chose ». Nous laisserons les mots de la fin à Amandine : « Faire des lettres, souvent, n’est pas un choix pragmatique. Pour moi, ce n’était pas un choix, c’était soit ça, soit rien ».

L.N.

Article de Sarah.D

Propos recueillis par Guillaume C., Sarah D. et Aurélien M.

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