En complément à son témoignage dans le numéro de rentrée, Esther, étudiante en théâtre qui vient tous les jours de Picardie pour se rendre à la fac, a écrit un texte pour défendre son choix de vie.
Une question d’habitude
A la question « T’habites où? » , j’avais jusqu’à l’an dernier l’habitude de réponde « Neuilly », laissant planer le mystère entre « Neuilly Sur Marne » et « Neuilly Sur Seine »,
Mais cette année à la même question j’ai répondu inlassablement par « En Picardie ».
Ce que j’ai découvert très rapidement c’est que cette simple interrogation a priori d’une banalité d’usage déconcertante prendrait une toute autre tournure.
Ainsi ma réponse entraîna systématiquement une seconde question « Non mais à Paris, t’habites où ? ». Eh bien c’est simple : à Paris, je n’habite pas.
De banlieusarde je suis passée à campagnarde, d’habitante de cité je suis devenue habitante de trou paumé.
On pleure pour moi depuis un an, on me plaint, on maudit même la SNCF et la neige à ma place.
Mon lieu d’existence est devenu quotidiennement sujet à débat, et affirmer à ces visages interloqués que c’est mon choix ne suffit pas à les désintriguer . Bien au contraire.
Évidemment , 4 heures de transports journaliers, ça paraît insurmontable au début. on se fait à tout.
Autant vous dire que sans livre, stylo, ordinateur et Ipod, le temps paraîtrait long.
Mais quand on vit à la campagne , on est calme et plus prévoyant .
On se lève à 4h30 pour arriver à la faculté 5 minutes avant huit heures, on rentre avec le dernier train ayant pour terminus La Ferté Milon, on apprend à relativiser quand la dernière correspondance est supprimée à Meaux, de la même manière on reste zen quand en sortant de la gare il nous faut faire 16 kms sans pneu neige parmi les congères.
Vivre dans l’Aisne est une question d’habitude et surtout d’état d’esprit.
Vous êtes aventurier,bricoleur,amoureux de grands espaces peuplés d’arbres et d’oiseaux, amateur de course automobile (100% des routes garanties sans feu) , allergique au goudron ( ici on prend les raccourcis au milieu des champs de betteraves),amis des lapins de garenne, biches,chouettes et insectes en tous genres,alors la Picardie est faite pour vous.
Lecteurs de Racine , Dumas, Jean de la Fontaine,Paul Claudel , admirateurs de Camille Claudel, ils ont eux aussi aimé s’éloigner de la capitale,et ça ne leur a pas mal réussi.
En attendant les curieux, j’ai le privilège d’écrire à haute voix, avec pour seul témoin le vent balayant le ciel picard de nuages parisiens égarés.