Lena Dobric, le 30/09/13
Le Majordome est un biopic de Lee Daniels sorti le 11 septembre 2013 avec Forest Whitaker.
Le Majordome, vous n’avez pas pu passer à côté. Couverture médiatique impressionnante, casting trois étoiles, critiques dithyrambiques, place en tête du box-office quasi-assurée avant sa sortie, le film s’est même payé le luxe de faire pleurer Barack Obama – qui a d’ailleurs trouvé le temps dans son planning de président de la plus grande puissance du monde pour faire de la publicité pour le long-métrage. On ne peut décemment rêver d’une meilleure promotion.
Le jeune Cecil Gaines, afin d’échapper à l’enfer ségrégationniste du Sud des Etats-Unis, quitte l’exploitation de coton où il travaillait comme « nègre de maison » en quête d’un avenir meilleur. Il se fait engager comme domestique dans plusieurs établissements et gravit les échelons grâce à sa loyauté et à son application jusqu’à se faire engager comme majordome à la Maison Blanche.
L’entreprise du Majordome – nous faire pénétrer dans les coulisses du pouvoir américain et retracer quatre-vingt-dix ans de la lutte afro-américaine tout en dépeignant un mélodrame personnel et familial – est un premier indice de ce qui ne va pas dans ce film : un tel sujet est infiniment trop large et complexe pour pouvoir être correctement exploité en 2 heures et 10 minutes. Le film pèche par sa trop grande ambition et bien qu’il parvienne à retracer ce siècle d’histoire, ce n’est qu’au travers d’un récit linéaire et désagréablement pédagogique qui fait allusion plus qu’il ne développe les évènements qui ont fondé l’identité américaine.
Ainsi, l’assassinat de Kennedy n’occupe pas plus de dix minutes dans le film et la démission de Nixon n’occupe qu’un plan de quelques minutes (sans mentionner une fois le scandale du Watergate)…
Si vous êtes connaisseur de l’histoire américaine, vous ne pourrez que vous agacer des raccourcis, des incohérences, des partis pris visibles comme le nez au milieu de la figure et des représentations certes correctes mais bien trop souvent caricaturales de certaines époques (exemple : placer de façon très visible un Rubik’s Cube au beau milieu d’un plan au cas où vous ayez oublié que la scène se déroulait dans les années 80… Merci, Lee Daniels.). Vous rêviez d’un film qui vous aurait fait découvrir les secrets d’alcôve ou les complots méconnus de la Maison Blanche ? Passez votre chemin. Tout ici est très lisse et très officiel.
Le même problème de raccourci et d’incohérence se pose dans la représentation du personnage de Cecil Gaines et du drame qui se joue au sein de sa famille : bien que l’interprétation toute en grâce et en justesse de Forest Whitaker insuffle à son personnage de l’épaisseur, on s’attache difficilement aux autres personnages qui ne sont finalement que des représentations personnifiées et sans grande profondeur de luttes historiques du vingtième siècle : par exemple, le personnage de son fils Louis est, à travers sa quête identitaire et de sa confrontation constante avec son père, une véritable rétrospective vivante de tous les grands courants de pensée qui ont rythmé le combat pour les droits civiques (de la non-violence de Martin Luther King à la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud en passant par l’activisme des Black Panthers). Tout reste en surface et on a plus l’impression de feuilleter sans grande attention un livre historique que de s’y plonger réellement.
Enfin, le dernier grand problème que m’a posé Le Majordome est son « idéologie ». La fin du film, à la gloire d’Obama et de l’Amérique où tout est possible, pourrait faire grincer les dents de certains. Bien que la victoire d’Obama aux présidentielles de 2008 est et sera toujours un évènement incontournable dans l’histoire des Etats-Unis, il me semble douteux de s’agenouiller ainsi devant un président encore en exercice. Le film se targue d’ailleurs à la fin de critiquer les erreurs du passé des Etats-Unis mais pourtant ne mentionne aucunement ses problèmes actuels (un racisme anti-noir encore assez présent de nos jours, une grande communauté amérindienne qui demeure encore aujourd’hui dans des réserves, etc).
L’atout indéniable de ce film reste cependant son casting truffé de bonnes surprises. Je n’ai personnellement rien à redire quant au choix des acteurs pour interpréter les différents présidents car ils sont tous assez convaincants par leur physique et leur jeu (mention spéciale au couple Reagan interprété par Alan Rickman et Jane Fonda, troublants de ressemblance). Au-delà des super stars qui constellent le casting impressionnant du Majordome (Robin Williams, Oprah Winfrey, John Cusack, Lenny Kravitz, Mariah Carey, Cuba Gooding Jr…), vous aurez comme moi – je l’espère – le plaisir de retrouver des seconds couteaux inattendus tels que Terrence Howard, Liev Schreiber, Jesse Williams ou Nelsan Ellis (un convaincant Martin Luther King).
Jane Fonda et Alan Rickman
Le Majordome sera sans doute le genre de films qu’un professeur d’anglais fera regarder à ses élèves en fin de trimestre pour illustrer la séquence sur le mouvement des droits civiques. Si vous voulez en apprendre plus sur l’histoire des Afro-américains qu’un lycéen lambda, je vous conseille de vous tourner vers des films comme Mississipi Burning d’Alan Parker ou Malcolm X de Spike Lee.