C’est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime
Macbeth – Théâtre des Amandiers
13 septembre – 13 octobre
Mise en scène de Laurent Pelly
( Place à 10 euros au service culturel)
Sarah Dinelli, le 08/10/13
Entre formes géométriques et formes évanescentes, Laurent Pelly fait des choix de mise en scène justes, autant vis-à-vis de la pièce de Shakespeare, que vis-à-vis d’une esthétique contemporaine.
La représentation des sorcières, dès les premières scènes, le montrent. Hommes-femmes, presque burlesques comme dans le texte de Shakespeare, leurs tenues présentent des inflexions modernes autant que moyenâgeuses. L’interprétation que tire le metteur en scène de ces figures peut nous éclairer sur ses choix : ces sorcières seraient à peinte existantes, et représenteraient les voix intérieures des personnages.
Ce sont elles qui annoncent, leurs destins à Macbeth (qui sera roi), et à Cando (dont les enfants seront rois). Rappelons un instant l’intrigue : Macbeth, poussé par sa femme, Lady Macbeth, est amené à tuer le roi Dunkhan pour que son « destin » s’accomplisse ; et à devenir fou et tyrannique, hanté d’une part par les remords et ceux qu’ils tuent, et d’autre part, par sa volonté de conserver le pouvoir tout en sachant que sa lignée en sera privée.
Sobre et sombre, sans être épurée à outrance, la scénographie trace des lignes rectangulaires, celles des murs, de la maison, du trône, comme pour refléter l’implacabilité du destin tragique. Laurent Pelly, par l’univers labyrinthique qu’il met en place, parvient bel à bien à nous livrer l’ « espace mental » de la tragédie et l’obscurité passionnelle qui le cerne. Les lignes dressent autant des surfaces auxquelles on se heurte qu’elles érigent des formes vides. Une attention particulière est en effet portée au vide, et aux silhouettes qui y prennent place, comme le montre la maison de Macbeth, simple façade qui le laisse passer à travers ces fenêtres, comme le trône, représenté par une chaise qui ne possède que des bords, sans siège ; ce qui peut laisser libre cours aux interprétations : pouvoir absent, changeant, éternelle « place vide », à occuper. Les lumières peuvent à leur tour s’immiscer dans ces vides où y découper des formes : dans la « maison » de Macbeth, le lieu du premier crime, elle dénote à la fois la fête de la réception du roi, non sans nous faire sourire, par un jeux de spots lumineux ; comme elle dessine un univers tragique, à travers cette fenêtre restant allumée la nuit du crime, tel un halo de conscience impossible à éteindre. Ces vides et pleins appuient l’intrigue et les jeux d’échanges habiles entre un spectre qui prend vie (celui de Duncan), et des vivants qui deviennent spectraux (dans la brume et par leurs ombres). Les bruitages traduisent également une présence forte de l’invisible ; les temps de noirs entre les scènes produisent une intensité dramatique, accompagnée de musiques, qui caricaturent parfois un peu trop cette intensité.
Dans cet univers scénique presque sans fausse note, les acteurs ne peuvent que trembler, non pas face à leur destin, mais de se montrer à la hauteur. Leur prestation est presque nécessairement mise au second plan par cette scénographie qui dit déjà tout par son caché-montré rayonnant de sens. Cependant, l’espace peut aider les acteurs à se positionner de façon juste : les silhouettes humaines confrontées aux murs et aux lignes en deviennent sensibles, émouvantes, comme la sensualité qui se dégage du corps de Lady Macbeth se frottant au pied du trône. L’attention portée au corps, et aux parties du corps (les mains notamment) n’en sont que plus visibles. Le principe de bienséance est aboli, néanmoins, il respecte une bienséance contemporaine en n’allant jamais du côté de l’horrible. L’horreur ne naît que de l’expression des sentiments des personnages vis-à-vis de leurs propres actes et d’un sort que l’on aide en se tâchant les mains de sang. Le couple Macbeth joue parfaitement les évolutions internes à leurs rôles, une progression vers la tyrannie, la monstruosité pour le mari, une progression vers le remords et la folie pour Lady Macbeth. Celle-ci d’abord aussi agaçante qu’avide de pouvoir, fait une dernière apparition très forte, traversant la scène en somnambule dans une strie de lumière, et ne cessant de faire le geste de se laver les mains du sang du roi qu’elles ont portées. Les acteurs semblent défier le quatrième mur non pas en nous apostrophant, mais en nous lançant des regards, une émotion passe dans la salle entre les acteurs et les spectateurs quand ces derniers viennent saluer, tout fraîchement sortis de leur labyrinthe, à peine dévêtus de leurs ombres.
En quittant la salle, on n’a qu’une somme d’envies. Courir (re)lire Macbeth, d’avoir goûté quelques heures à la langue de Shakespeare. Courir à nouveau au théâtre, se purger de nos passions, ou du moins y réfléchir. Et, s’il pleut, courir jusqu’à la navette du théâtre qui ramène les spectateurs ébranlés à la gare RER de Nanterre-Préfecture.