3 avis d’Adèle

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La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche. Avec Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux. Sortie le 9 octobre 2013.

La vie d’Adèle, palme d’or du Festival de Cannes 2013, a suscité de nombreuses réactions. 3 avis, 3 visions, 3 idées, 3 manières de vivre un moment avec Adèle…

On vit Adèle – Par Annabelle Dufraigne

La vie d’Adèle fait couler beaucoup d’encre depuis sa diffusion et sa consécration au dernier Festival de Cannes. De la crudité des scènes d’amour lesbiennes aux accusations faites à Kechiche quant aux conditions de tournage, ce film attise la curiosité ne serait-ce que par les discussions enflammées qu’il a suscité et qu’il suscite encore. C’est donc empli d’a priori et de beaucoup d’attentes que l’on s’y rend. Plus encore, la peur d’être déçu nous tient, la Palme d’or 2013 nous a rendu si impatients…

Ce film est un ovni cinématographique qui nous emporte au delà même de la salle de cinéma. Nous suivons, exactement comme le titre l’indique, la vie de cette jeune Adèle (Adèle Exarchopoulos), lycéenne en quête d’elle-même. Un regard sidérant échangé avec une jeune femme dans la rue (Léa Seydoux) la bouleverse. La nuit suivante, cette rencontre agite les songes et les sens d’Adèle. Ce rêve nocturne se transforme vite en rêve diurne où les deux femmes se lient d’une passion charnelle et fiévreuse, jusqu’au carnage.

Kechiche ne se contente pas de raconter une histoire mais inclut presque brutalement le spectateur dans son dessein. Les plans toujours très rapprochés nous renvoient chaque émotion des personnages en pleine figure et nous font vivre, avec eux, le moindre détail de leur histoire jusqu’à la sauce tomate aux coins de la bouche. Cet hyperréalisme, art de Kechiche, atteint son paroxysme lors des scènes d’amour extrêmement crues. Sans artifice aucun -et non simulées- elles présentent la dynamique des corps de manière organique ; la lumière est laide mais peu importe, rien n’est enjolivé, nous assistons au « vrai ». Tout cela tient aussi à l’époustouflante Adèle Exarchopoulos qui ne joue jamais : elle est Adèle. L’innocence et la franchise qu’elle affiche en tant que personne réelle se fondent de façon pure et donc parfaite à l’écran. Son inexpérience au cinéma transcrit une ingénuité bouleversante dans son rôle sur lequel repose l’apprentissage et la découverte. En face, Léa Seydoux semble presque fade. Son jeu est excellent, mais elle joue, elle.

Bien plus qu’une histoire entre deux femmes, c’est l’amour et la fièvre de cette relation qui nous frappe. C’est là l’intelligence de ce film : il évite tout lieu commun ou problématique liée à l’homosexualité. A chaque fois qu’on s’attend à quelque chose, Kechiche l’évince et nous surprend en retour. La peinture sociale qui oppose un milieu artistique à un autre plutôt populaire passe en second plan : on s’y attarde le temps de la séquence puis on passe au dessus, trop absorbé par l’intrigue amoureuse, trop ébloui par l’intensité des jeux de regards entre les protagonistes.

Quelque part, cette manière peu commune de traiter un tel sujet tord le cou aux préjugés et montre que l’amour n’a pas de frontière. La visée du film n’était sûrement pas didactique, mais chacun y apprend quelque chose, de la simple réponse à la question de la sexualité entre deux femmes. On ressort changé de ce film qui prend et surprend jusqu’à y repenser longtemps après. Comme si on l’avait éprouvée, l’histoire vit en nous et la très attendrissante Adèle nous suit dans nos pensées jusque dans nos rêves.

Adèle dans la vie d’Aliaume: une déception – Par Aliaume Giret

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*Attention, spoiler*

Tout a commencé au printemps 2013. Déambulant au hasard dans la Fnac des Halles, je tombe sur une BD dont la couverture m’interpelle : un être androgyne, présenté-e de dos, dont on aperçoit le (beau) visage, cerclé de cheveux bleus en bataille. Je pense à Yslaire et à ses personnages masculins, Bernard Sambre ou bien Jules Engell Stern, héros du Ciel au dessus de Bruxelles.

Le titre, plein de poésie, me pousse encore à ouvrir ce livre : Le bleu est une couleur chaude. Je commence à lire et je suis subjugué. Le résultat est loin de ma première impression. Là où Yslaire utilise des symboles forts et tente de générer un sentiment d’universalité à travers des histoires romanesques, Julie Maroh s’attache à décrire la vie de Clémentine, humble et fragile d’une adolescente dans les années 90′. Le bleu… m’a tant marqué par sa poésie visuelle et littéraire, par sa description à la fois tendre, mélancolique et militante de la découverte du désir homosexuel que je l’achetai immédiatement.

À peine rentré chez moi, je me jette sur mon ordinateur pour me renseigner sur le livre, l’auteure, et tout ce que je peux trouver. Je découvre très vite qu’un film est en cours de production, et que son réalisateur n’est autre qu’Abdellatif Kechiche, dont je connais surtout L’Esquive. Je suis tout d’abord surpris par le choix de Kechiche, cinéaste social et naturaliste actuel, d’adapter un livre aussi graphique.

Puis vient Cannes. La Vie d’Adèle reçoit le prix ultime, la palme d’or, décernée non seulement au réalisateur mais aussi aux deux actrices, et ce à l’unanimité. En cette époque troublée de débats sur le mariage gay, le choix du jury me souffle, et l’émotion me submerge. Je verse une larme en regardant la conférence de presse qui réunit le « trio gagnant ».

Mais ma joie est de courte durée. Très vite, mes camarades de classe se plaisent à taxer Kechiche de cruauté ou d’esclavagisme envers son équipe technique. Je me place en défenseur d’un réalisateur que je connais peu et d’un film que je n’ai pas vu.

Puis viennent les déclarations de Léa Seydoux, et une nouvelle polémique se déclenche.

Et enfin, le dimanche 13 octobre 2013, je me rend, accompagné de ma moitié, à L’écran de St Denis pour voir ce film si polémiqué.

Trois heures plus tard, je sors de la salle, déçu et furieux. Que reste-t-il de la merveilleuse BD de Julie Maroh ? Pas grand-chose, mais ce n’est pas le plus grave.

Le film est une « adaptation libre », je ne m’attendais donc pas à un exemple de fidélité, loin de là. Pourtant, le film commence de manière presque similaire au livre, à un « détail » près : il n’y a rien de rétrospectif. On débarque dans la vie d’Adèle, lycéenne, sans passer par le lugubre journal intime post-mortem donné à l’amante. On peut s’en réjouir ou s’en désoler, a posteriori, je pencherais plutôt pour la seconde option.

À part ce détail-qui-n’en-est-pas-un, la première heure est étonnamment fidèle à la BD, allant, dans certaines séquences, jusqu’à la suivre case par case, phrase par phrase. Kechiche y intègre cependant sa petite touche : références à Marivaux, scènes de classe… On comprend le titre (parallèle avec La Vie de Marianne de Marivaux) et on s’attache à la petite Adèle, qui ressemble à Clémentine sans être elle. Le film avance et tout va bien. La première scène de sexe arrive tôt, et n’a rien du « porno » annoncé par Julie Maroh. On assiste à une copulation adolescente ce qu’il y a de plus classique. La mise en scène fait penser à Intimité de Chéreau (R.I.P.), rien de bien choquant, mais on comprend la censure (le film est interdit aux moins de douze ans). Puis viennent la rupture, le premier baiser lesbien (magnifiquement amené et terrible de sensualité) et enfin la sortie dans les gays bars, la rencontre. Emma est telle qu’on pouvait l’attendre. Léa Seydoux est sublime de nonchalance et de décadence. Le dialogue est onirique, et s’interrompt de manière brute et désagréable, bien que différemment de la BD. Puis vient la scène de dispute, violente et choquante d’homophobie. Je suis on ne peut plus impliqué dans le film, bouleversé par ce que la pauvre Adèle est amenée à traverser.

Mais non. C’est le moment que Kechiche choisit pour changer l’histoire. Comme si de rien n’était, alors que ses relations au lycée sont à la crise, Adèle revoit Emma, se rapproche d’elle, l’embrasse, couche avec elle… Attendez, QUOI ??

Où est passée la phase d’ambiguïté entre les deux filles ? Où sont les questionnements et les crises existentielles du personnage principal ? Où sont les doutes d’Emma quant à sa partenaire ? OÙ EST LE PERSONNAGE DE SABINE, GODDAMMIT ??? Adèle s’est faite jeter par ses amis, a affirmé face à Valentin « ne pas être gouine », mais la voilà qui couche tranquillement avec Emma. Monsieur Kechiche voudrait-il nous faire croire que, lorsque notre environnement est si hostile, l’homosexualité est si facile à accepter ? On touche ici à l’un des problèmes du film : Le Bleu… était un ouvrage en partie autobiographique, mais La Vie d’Adèle, plus que de ne pas avoir été réalisée par une femme, souffre de ne pas avoir été réalisée (ou même pensée) par un(e) homosexuel(le).

On avancera que Kechiche, d’après ses propres propos, s’intéresse plus au coup de foudre et à l’histoire d’amour qu’au côté militant. Soit. Pourquoi, alors, avoir gardé des éléments qui emmènent le film dans cette direction ? Pourquoi avoir gardé cette scène de dispute ? Pourquoi garder une partie des doutes en l’image du baiser avec la camarade de classe ? Ces scènes sont sublimes et poignantes mais desservent terriblement le film.

Revenons à la fameuse scène de sexe entre les héroïnes. Oui, bande de petits cochons, je sais que c’est ça qui vous intéresse ! Eh bien laissez-moi vous dire qu’il vous suffit d’aller regarder, sur des sites dont je tairai le nom, un bon vieux porno lesbien. C’est tout aussi mal filmé, à peine plus mal éclairé, et aussi sensuel, c’est-à-dire pas du tout. Eh oui, c’est du pur fantasme masculin, une reproduction en mode « bi-vagin » de la pire représentation des relations sexuelles entre homme et femme. On est dans du porno, rien de plus. Il y a Léa Seydoux, et c’est bien tout.

Retour au film : Emma et Adèle sont maintenant un couple « normal », lors d’une scène de dîner chez les parents de la première.

Un deuxième dîner chez les parents d’Adèle, cette fois. Le ton est différent. Le couple est caché, le père reproche en creux à Emma de ne pas avoir un « vrai métier ». On s’étonne de ne pas avoir l’homérique scène où Adèle serait chassée de chez elle. C’est vrai, Kechiche ne veut pas de militantisme. Passons.

Ellipse. Adèle et Emma sont adultes et vivent ensemble. Puis vient cette fameuse scène de la soirée/vernissage chez le couple. C’est à ce moment que le film s’éloigne de la BD, pour le meilleur et pour le pire. Surtout le pire, d’ailleurs. Outre des réflexions sur l’art et l’orgasme féminin au mieux intéressantes ou au pire chiantes, le film part en c…acahuète.

La fin est désolante. Emma est exposée, réussit sa vie, a une femme et une fille… Adèle finit seule. Estimez-vous heureux, ça aurait pu être pire, elle a faillit finir avec un mec.

            J’attendais un chef-d’oeuvre, j’ai trouvé un film inégal, possédant d’indéniables qualités mais se laissant appesantir et, au final, plomber par quelques défauts. J’ai beaucoup aimé, notamment, l’usage que Kechiche fait de la musique, et ai trouvé le jeu d’acteur tout à fait impressionnant, mais le film se place trop dans un entre-deux indéfinissable, concédant autant à la BD qu’aux intentions de « libre adaptation » du réalisateur. Fans de la bédé et/où de Kechiche, regardez donc le premier chapitre, à la fois riche et sensible, mais évitez le second, bien trop lent et incohérent.

Si vous avez été séduits par la prose d’Aliaume, allez faire un tour sur son blog :

http://aliaumegiret.wordpress.com/2013/10/16/le-cas-adele/

Une palme d’or au plus près du sentiment amoureux – Par Ophélie Perros

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La vie d’Adèle, c’est une histoire simple, ordinaire, celle d’un coup de foudre entre deux êtres, au détour d’un feu rouge. Une histoire évidente aussi, car pour ces deux jeunes femmes, tout coule de source : la première conversation, le premier baiser, la première fois. Mais à partir de ce scénario familier voire déjà vu, le réalisateur, Abdellatif Kechiche parvient à créer une œuvre filmique qui transcende l’amour et sublime l’intimité en la montrant dans tout ce qu’elle a de plus cru, de plus sensuel, de plus beau. La vie d’Adèle, c’est un film épidermique, vif, qui dépasse toutes les polémiques et nous offre une belle leçon de cinéma.

Adapté du roman graphique Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, le film se concentre sur la vie d’une lycéenne de 15 ans, Adèle, jouée par Adèle Exarchopoulos, qui aspire à une vie normale et conforme aux attentes lycéennes, avant de tomber amoureuse d’Emma, élève aux Beaux Arts, ouvertement lesbienne, aussi cultivée que douce, interprétée par la lumineuse Léa Seydoux. Si le bleu est une couleur chaude, c’est aussi la couleur de l’amour : des cheveux d’Emma à ses yeux, en passant par les éléments du décor (la chambre d’Adèle, les bancs, murs, portes, vêtements), le bleu est partout. La réalisation de Kechiche est fine, délicate, soignée jusque dans les moindres détails. C’est à partir des plans rapprochés sur le visage de ses comédiennes que Kechiche fait naître la beauté de l’intimité, mais aussi l’alchimie et le désir, le tout, sans aucun artifice : s’il y a très peu de musique, c’est parce que nous sommes au plus près de leur histoire. Leurs conversations et rapports nous sont livrés bruts, sans coupure (on pensera notamment à la première conversation entre les deux jeunes femmes, dans le bar, mais aussi aux scènes de sexe, qui s’étendent sur plusieurs minutes, mettant parfois le spectateur dans une position de voyeur, une position inconfortable tant cette intimité nous paraît sacrée). Car si Kechiche s’attache à retranscrire les aléas d’une vie amoureuse homosexuelle (violence des propos homophobes, confrontations publiques, difficultés à assumer), c’est surtout l’intimité, la peau, les bouches, les larmes qui sont mises en exergue par le réalisateur et ses nombreux gros plans.

Un film honnête, réaliste, à la limite du naturalisme, qui retrace en entier l’histoire de ce couple, à travers tous les stades de l’amour : le coup de foudre, la découverte de l’autre, le désir, l’éloignement progressif, la solitude, la rupture, le chagrin, l’incapacité à aller de l’avant, à oublier l’être aimé. Les années s’enchaînent (sans mention à l’écran), éloignant sensiblement les deux jeunes femmes qui aspirent à des rêves différents. Le temps, mais aussi des origines sociales et des rapports à la culture différents auront raison du couple. Car la passion n’est pas hors du temps et la réalité finit toujours par rattraper ceux qui s’aiment malgré des univers diamétralement opposés.

Finalement, La vie d’Adèle, c’est un peu la vie de tout le monde : l’amour, sentiment universel et intemporel s’exprime ici à travers une large palette d’émotions, finement maîtrisée par les deux actrices au sommet de leur art. Avec ce film auréolé d’une triple Palme d’or à Cannes en mai dernier, Kechiche parvient à nous faire voir la relation amoureuse sous un œil nouveau, avec un regard candide.

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