En attendant le visa

Article présent dans le Nouvelles Vagues n°5, restitué ici dans son intégralité.

 

EN ATTENDANT LE VISA

De leur fac d’origine à leur université de destination, en passant par les services de l’immigration, les étudiants étrangers hors Union européenne sont confrontés à une bureaucratie insatiablement paperassière. Pour venir étudier en France, il faut être obstiné… et patient.

Photo 3 - Crédit- Clair Rivière

Elle le dit avec le sourire du soulagement et l’accent sud-américain qui va avec : « Ça y est, je suis une étudiante légale ici ! ». Leydi, 23 ans, placide Colombienne, sort d’un énième bâtiment administratif. Dans son passeport trône désormais un bout de papier précieux : un titre de séjour, valable un an, qui lui permet de vivre et d’étudier en France. Nous sommes le mercredi 27 novembre 2013, et cela fait plus de dix mois que Leydi a entamé ses démarches pour s’inscrire en licence de Communication à la Sorbonne nouvelle. Un fastidieux chemin, peuplé de dizaines de courriels, coups de téléphone et autres photocopies…

A la demande de Nouvelles Vagues, Leydi étale sur une table de la cafétéria tous les documents justificatifs qu’elle a dû réunir pour arriver au bout du processus : ça déborde. Il y a là une bonne centaine de pièces administratives. Les bulletins de notes antédiluviens, les diplômes, les traductions (payantes), les légalisations, l’acte de naissance, l’attestation d’hébergement (car avant même d’arriver en France, il faut y avoir un logement), le relevé de compte bancaire (car il faut prouver qu’on a suffisamment d’économies pour vivre un an à Paris – ce qui n’a rien d’évident quand on vient d’un pays où le Smic est cinq fois moindre qu’ici*)… On suspendra l’énumération ici : la liste complète est longue comme un jour sans pain. « Il faut des documents pour prouver tout ce que tu dis », explique Leydi.

Combien d’heures de sa vie a-t-elle ainsi passé à nourrir l’ogre bureaucratique ? Elle n’a pas compté mais elle sait que c’est « beaucoup ». Il y a eu la recherche des documents, le contrôle médical, les rendez-vous colombiens à Campus France (un organisme présent dans de nombreux pays, qui joue le rôle de filtre et d’intermédiaire entre les futurs étudiants étrangers et l’Enseignement supérieur français) et les rendez-vous parisiens à l’Offi (Office français de l’immigration et de l’intégration), sans compter les kilomètres et le temps passé au téléphone « où ils ne répondaient pas ». « J’ai beaucoup attendu, nous confie Leydi. Dans les salles d’attente, par téléphone, par mail… C’est le mot : attendre. »

Et encore, Leydi a eu de la chance. En ayant eu la mauvaise idée de se loger à Pantin, en Seine-Saint-Denis, Ernesto** a eu la triste occasion d’expérimenter les célèbres files d’attente de la préfecture de Bobigny. « La première journée, j’y suis allé juste pour prendre rendez-vous : je suis resté de 7 heures du matin à 7 heures du soir », raconte-il, en exagérant à peine. « On te donne le ticket [d’attente] : tu as le 1123 et on en est au 83 », se souvient cet étudiant en littérature, colombien également. Un mois après, Ernesto était de retour à la préfecture pour son rendez-vous. La même galère : « On te dit que ton dossier sera reçu entre 13 et 14 heures, mais ça n’est pas vrai ! »

Ce qui est vrai, par contre, c’est que quand l’étudiant étranger souhaite rester en France plus d’un an, il doit renouveler son titre de séjour à la fin de l’année. Et donc retourner à la préfecture – ce qui n’a rien d’une partie de plaisir. Si certains fonctionnaires sont aimables et dévoués, d’autres sont aussi sympathiques qu’une porte de prison. Ezgi, 21 ans, étudiante turque à la Sorbonne nouvelle, en a fait récemment les frais. Au guichet, son interlocutrice ne lui a dit ni bonjour, ni au revoir. Elle lui a parlé « d’un ton froid, de manière impolie. (…) Et puis, elle répétait toujours :  ‘C’est pas bon, c’est pas bon.‘’  » L’agente a même refusé de lui prêter un stylo dont elle ne se servait pas, alors qu’Ezgi en avait expressément besoin.

Mais cette petite humiliation n’est rien. La préfecture peut faire bien pire, en refusant de renouveler le titre de séjour si elle estime que l’étudiant n’a pas été assez sérieux à la fac. Sur le site Service-Public.fr, l’administration prévient : « Le caractère réel et sérieux de vos études est notamment vérifié au moyen de votre assiduité aux travaux dirigés (…) ; de vos résultats aux examens ; des diplômes que vous obtenez ; des explications que vous fournissez si vous changez de cursus. » A l’Unef Paris III, on se rappelle l’histoire d’un étudiant étranger tombé longuement malade l’année passée. Le jeune homme a réussi à valider son année malgré tout, mais n’a pu rendre qu’un mémoire de master 1 médiocre. A la préfecture, il a eu le plus grand mal à faire accepter l’idée de le laisser redoubler son master 1 pour écrire un mémoire correct, plutôt que de passer en master 2 dès cette année.

Guilherme, lui, n’en est pas encore là : il vient d’arriver du Brésil, pour entamer une licence de cinéma. Les démarches pour venir en France ? « C’est presque une bataille, la guerre de la France », sourit le jeune homme, issu d’une « famille pauvre », pour qui réunir les quelques milliers d’euros nécessaires à l’obtention de son Visa a été « un grand problème ». Une fois vaincu les barrages administratifs, il ne reste plus que « la question de la saudade » – le mal du pays. A des milliers de kilomètres de Paris, d’autres attendent encore ou ont vu leur dossier recalé : ils ne connaîtront jamais la douceur des strapontins des amphis de Censier.

Clair Rivière

* D’après le site Service-Public.fr, l’étudiant étranger doit prouver qu’il dispose d’un minimum de 615 euros de ressources par mois.
** Prénom modifié.

Pratique : A la Sorbonne nouvelle, deux organisations aident les étudiants étrangers à boucler leurs demandes de titres de séjour : l’Unef (Union nationale des étudiants de France, permanence chaque lundi de 12 à 14 h en salle 333) et Rusf (Réseau universités sans frontière, permanence le 1er et 3e jeudi du mois de 13 à 14 h en salle 416 A).

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