Jeu vidéo, le monde insistant

Julien Zimmer, 01/09/2014

Jeu vidéo, le monde insistant.

 

World of Warcraft (WoW) célébrera le 23 novembre ses dix ans d’existence. Une décennie de succès pour le MMORPG[i] du studio Blizzard, et autant d’années de rumeurs. Finalement, on a appris au début de l’été que le film sortira bien, le 11 mars 2016. D’ici là, les très nombreux fans du jeu pourront toujours regarder pour la 99ème fois la trilogie du Seigneur des Anneaux, ou bien aller voir Les Gardiens de la Galaxie, encore à l’affiche.

Publié en 1969, le comic de Marvel semble avoir inspiré les développeurs de WoW. La ressemblance entre certains personnages du film et les avatars du jeu est frappante. La belle et verte Gamora (Zoe Saldana) ressemble à s’y méprendre à une Orc, tandis que le bleu et laid Yondu (Michael Rooker) nous fait forcément penser à un Draneï. Thanos, massif et inamovible sur son trône, donne l’impression de voir Arthas en Outre-Terre, le continent dévoilé par la première extension de WoW (Burning Crusade). Bien sûr, le comic est la première source d’inspiration du film, mais la 3D de WoW ne semble pas en reste.

[i] Massive Multiplayer Online Role Playing Game. Jeu de rôle en ligne dont l’univers est persistant. Il évolue même quand vous ne jouez pas.

Arthas

arthas

   Thanos                                                  

thanos

 

 

 

 

 

 

 L’Outre-Terre de Burning Crusade

 l'outre terre

 

 

 

 

 

 

 

 

Yondu et un Draneï de Wow

yondudranei

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vertes et dévêtues, Gamora et une Orc

gamoraorc

Les ressemblances visuelles ne sont que le premier degré de l’influence qu’un jeu vidéo peut exercer sur un film. Dans la seconde moitié des années 1990, la 3D s’affirme, et plusieurs adaptations de jeux-vidéo voient le jour. Elles se contentent bien souvent de transposer à l’écran l’univers du jeu en question. Super Mario Bros. (1993), Mortal Kombat (1995), Double Dragon (1996)… De mauvais films où ni le gamer ni le cinéphile ne trouve son compte.

Une quinzaine d’années plus tard, certains films commencent à proposer une approche plus subtile. La cohérence globale du film est très proche de celle d’un jeu vidéo. Dans Sucker Punch (2010) les personnages, les costumes, les décors et les affrontements adoptent sans complexe une esthétique typiquement vidéo ludique. Surtout, le film de Zack Snyder s’appuie moins sur un véritable scénario que sur une trame constituée d’une série d’objectifs, comme c’est le cas dans la plupart des jeux vidéo. L’héroïne principale doit réunir cinq objets (une carte, un briquet, un poignard, une clef et un objet mystérieux) en parcourant cinq environnements aussi hétéroclites que le sont les niveaux d’un jeu.

http://www.youtube.com/watch?v=9ZH2vJ0Uwi4

Cette dramaturgie du jeu vidéo est le second degré d’influence du jeu sur le cinéma. Elle s’exprime aussi très nettement dans une séquence des Gardiens de la Galaxie :

https://www.youtube.com/watch?v=stGfVriyP1M

Le leader présente scrupuleusement la quête. Réunir ces quatre objets est la condition requise pour pouvoir passer à l’étape suivante, l’évasion. Ces objectifs temporaires sont l’héritage institutionnel du jeu vidéo. Cependant, cette scène porte aussi la marque d’un nouvel aspect du jeu vidéo : son aspect viral. Il n’est plus seulement question du jeu auquel on joue, mais aussi celui dont-on parle sur le web 2.0.

Cette scène se réfère à une vidéo mise en ligne il y a 8 ans, et qui totalise aujourd’hui plus de 40 millions de visionnages. Un groupe se prépare à un passage particulièrement délicat en instance. Le chef du raid fait le point sur la stratégie millimétrée, la coordination est primordiale et la marge d’erreur infime. Leroy Jenkins est indiqué absent depuis le début, mais il interrompt subitement le discours du leader et part à l’assaut, en hurlant son patronyme en guise de cri de guerre. Après un moment d’hébètement, le raid tente de le soutenir, mais ne peut éviter un wipe[i] après seulement quelques secondes de combats.

https://www.youtube.com/watch?v=EpzADbkIyXw

La référence est d’autant plus claire que le gag est filmé, comme dans le jeu, par un seul et même plan. Est-ce pour autant un renoncement du cinéma face aux moyens de captation plus modestes des jeux vidéo ? Qu’il s’agisse comme ici d’un jeu à la troisième personne, à la première personne ou autre, les jeux vidéo nous offrent toujours une sorte de plan séquence éternel. Le montage n’intervient pas ou très peu, le cadrage unique permet de préserver une continuité nécessaire au gameplay[ii], dont le pire ennemi est le temps de chargement. Ainsi s’explique l’obsession des développeurs et des joueurs pour le concept de temps réel : les actions qui ont lieu à l’écran sont calculées à mesure que le joueur progresse. Le plan est élémentaire, mais la prouesse technique remarquable.

Le cinéma est né de ce même exploit. Le plan fixe capte la continuité d’une scène, offrant ainsi l’opportunité de voir émerger devant nous l’évènement. Dans ce film résolument moderne, cette séquence rend hommage aux problématiques contemporaines des jeux-vidéos et aux principes fondateurs du cinéma. Deux médias de générations radicalement différentes s’y expriment à force égale, touchant ainsi autant le gamer que le cinéphile. Merci d’avoir patienté : cinéma, deuxième niveau.

[i] Mort générale.

[ii] La façon dont un jeu se joue. Le gameplay se réfère à la jouabilité, mais aussi plus généralement à la façon dont le joueur progresse dans le jeu.

 

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Les Gardiens de la Galaxie, sorti le 13 août 2014, USA.

De James Gunn, avec Chris Pratt et Zoe Saldana.

 

World of Warcraf, sorti le 23 novembre 2004, Blizzard Entertainment

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