Dès le commencement du livre, un pari est lancé : Léonor de Récondo veut nous livrer l’histoire de Michelangelo. Histoire réelle ou fictive ? On ne sait pas, on n’en est jamais vraiment sûr. A vrai dire, l’auteur se sert d’éléments réels de la vie de l’artiste pour produire une fiction tentant de retrouver l’intimité de l’homme. Elle évoque ainsi ses sculptures les plus célèbres ainsi que d’autres faits connus de la vie de Michelangelo.
L’histoire est simple. Après la perte de l’homme dont il est – inconsciemment ? – amoureux, Michelangelo, bouleversé, prend le prétexte de la commande du tombeau de Jules II pour partir en voyage à Carrare. Il y retrouve un petit village où habitent ses deux seuls amis : un carrier surnommé « Petite souris », et « Petit cheval », un fou qui se prend pour un étalon.
Ce qui devait être un simple voyage pour sélectionner du marbre se transforme en véritable voyage des sens et de la mémoire. Plusieurs grands thèmes sont alors abordés : le rapport aux souvenirs, l’acceptation de la mort, ou encore, l’acceptation des autres. Au contact des villageois, Michelangelo se transforme petit à petit et réapprend à vivre avec autrui. Ce changement est déclenché par le contact de Michele, un enfant qui, malgré le refus de l’artiste, fait tout pour devenir son ami et qui l’accompagne tout au long de son séjour. Michele se révèle rapidement être l’alter-égo de Michelangelo : tous deux ont perdu leur mère jeune. Toutefois, une différence s’opère ici. L’un des deux n’en parle pas et fait tout pour l’oublier, l’autre en parle constamment.
C’est cette relation, d’abord anormale, qui pousse l’homme à se souvenir progressivement de sa mère par le biais des cinq sens : il l’entend, la sent, se souvient de ses plats, se souvient de la sensation de son touché, puis la voit. Plus l’homme se souvient, plus la pietra viva (« pierre vivante ») dans laquelle Michelangelo s’est enfermé se brise.
Au commencement de la lecture, on se demande quel est le but de l’autrice. Pourquoi nous dépeindre un homme qui hait les humains, froid comme le marbre et agoraphobe ? Cette question trouve une réponse dans la relation Michel/Michelangelo. Le contraste entre les deux personnages est attendrissant. A la fin, ce n’est plus un monstre sans cœur qui se tient devant nous mais un homme nouveau qui a enfin accepté la mort de ses proches. Son amant secret et sa mère ne l’ont pas abandonné et vivent à jamais dans son cœur, ses souvenirs, mais surtout, ses œuvres.
Sous un roman qui paraît simple se cache une véritable réflexion sur l’homme et son rapport à la mort. Michelangelo et Carrare son minutieusement choisis par l’auteur pour nous livrer un message universel. La puissance symbolique de la montagne, qui peut être vue comme le refus de surpasser le deuil, l’importance de la région et de la carrière pour l’artiste, ainsi que ses nombreux voyages, tout cela donne l’occasion à Léonor de Récondo de laisser s’exprimer toute sa poésie grâce à des décors somptueux, des poèmes et chansons et des personnages originaux et attachants.
Dans ce livre, finesse et retenue sont de rigueur. Ce voyage initiatique dans lequel chacun peut se reconnaître est beau. On se surprend souvent à se laisser porter par les mots de l’autrice choisis avec parcimonie et justesse. C’est une histoire qui mérite d’être lue.
Mickaël A.