La Estatua de Raúl Ruiz

Nessrine Naccach ∣ Étudiante à la Sorbonne Nouvelle Paris 3, Elisa Chaim vient de mettre en scène La Statue, une pièce de théâtre de Raúl Ruiz. Encouragée par Valeria Sarmiento- réalisatrice et épouse de l’artiste-, la jeune étudiante a eu accès aux archives personnelles de l’écrivain. C’est en fouillant le matériau ruizien jusqu’ici inexploré (dans le cadre de ses études de Master) qu’elle découvre le manuscrit de La Estatua. Le coup de foudre fut immédiat. Avec Guillermo Héctor (doctorant en Littérature Générale et Comparée à Paris 3), elle traduit le texte et décide dans la foulée de le mettre en scène. L’association des « Amis de Raoul Ruiz » a très bien accueilli son projet qui a pu voir le jour grâce à un financement chilien ainsi qu’une aide aux projets étudiants (FSDIE) de l’Université Sorbonne Nouvelle –Paris 3.

      Raúl Ruiz, Mille et Une vies et un artiste

  « Cuando yo trabajo sobre una idea, no sé aún si será teatro, cine, un texto, una instalación o un golpe de estado.»

À l’âge de quinze ans, Ruiz commence sa carrière artistique en écrivant des pièces de théâtre. Réalisateur, écrivain et théoricien (il est l’auteur de deux volumes de la Poétique du cinéma), né à Puerto Montt, au Chili (1941), puis exilé à Paris (suite au coup d’État du 1973) où il meurt en 2011. Il est une figure incontournable du cinéma contemporain. Son œuvre (cinéma, théâtre, roman, opéra) témoigne de l’hybridité et du multilinguisme qu’il a toujours prôné et défendu. Entre avril et mai 2016, La Cinémathèque Française projette soixante-quinze de ses films. En juillet et août de la même année, la Cinémathèque Nationale Chilienne lui a consacré une rétrospective suivie par deux autres à New York et à Sicilia.

      Elisa Chaim & Raúl Ruiz, « leurs yeux se rencontrèrent »

Metteuse en scène, dramaturge et poète, Elisa Chaim a étudié la littérature et le théâtre (à Paris) et la philosophie (au Chili). Sa passion et ses travaux de recherche sur l’œuvre de Ruiz l’ont conduit à devenir une chercheuse associée de l’archive « Ruiz- Sarmiento » en charge du théâtre depuis 2014. Elle a été boursière de la Fondation Pablo Neruda (2010-2013). Elle est l’auteure de Faire Plafond, El insomnio urbano et Aún abierto el ojo.

« Dès la première lecture des feuilles manuscrites jaunâtres et détériorées, le texte de Ruiz a pris la forme d’une invitation à la création. Il s’est presenté à moi comme un texte ouvert, plein d’espaces vides qui appellent à l’acte : la mise en scène. Un texte ouvert plein d’insinuations, d’images invisibles derrière les dialogues qui vont créer à mon avis, chez le spectateur un appel à les penser, les déchiffrer, les compléter avec son propre univers. Mais aussi plein d’espace vides au sens concret, car les pages du manuscrit étaient parfois cassées empêchant de temps à l’autre de lire le dernier mot d’une phrase ou le début d’une didascalie.” (Elisa Chaim)

     « Ars longa, vita brevis »

      Que peut l’art face à la vie quotidienne ? C’est d’emblée la question que se pose Ruiz dans cette pièce à travers l’histoire d’un Sculpteur (interprété par Geoffrey Carey) penché sur son œuvre : la statue-en-cours, symbole de la Sagesse, dans son atelier contigu au Musée, au milieu d’un amas d’autres statues inachevées. Les conditions dans lesquelles il travaille sont épouvantables.

Incapable d’échapper à la pression de la Directrice du Musée (Daniela Molina) qui réclame rapidité et efficacité, impossible pour le Modèle (Satchie Noro) d’être à l’heure, le Sculpteur mène ainsi un long combat non sans tiraillement entre le quotidien (et tout ce qui va avec) et l’appel de l’art.Création artistique et vie quotidienne constituent la trame du fond de toute la pièce. Confus, l’artiste ne cesse de se mettre en question. Une Voix (celle du musicien Diego Aguirre), tantôt consolatrice, tantôt provocatrice saurait le pousser davantage dans son interrogation sur lui-même mais aussi sur la genèse de son œuvre.  Il ne lui a pas suffi la Directrice du Musée comme contrainte pour que l’époux du Modèle toujours en retard de cette dernière (Juan Pablo Larenas) vienne lui demander de virer sa femme qui, à cause de son travail, n’arrive plus à s’occuper de ses enfants !

Entre la hantise de l’œuvre inachevée et la banalité du quotidien se dessinent des portraits extrêmement denses et se tissent des histoires personnelles connectées d’une complexité pour le moins frappante. Des prises de tête au sein du couple à la transcendance de l’Art et l’obsession de la Sagesse, on assiste à la métamorphose du modèle en statue.  Et le rêve du sculpteur devient réalité ! Car son modèle jadis rigide et donc pas assez souple pour réussir les postures demandées est désormais une œuvre d’art bien réelle. La Statue donne à réfléchir non seulement sur les conditions dans lesquelles la création artistique serait possible mais encore pointe du doigt les défis inhérents à l’acte même de créer.

Le spectacle est aussi une manifestation de la richesse des échanges culturels entre la France et le Chili. En effet, l’équipe est faite de mixité, de diversité et de dialogue dont Ruiz était la preuve vivante avec ses va-et-vient incessants entre les deux cultures chilienne et française. À voir !

Elisa Chaim et son équipe seront à Paris 3 très prochainement, les dates sont à communiquer plus tard.

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