Alexandra de Witte | En arrivant à Paris, je me considérais comme étudiante. Pour moi cela impliquait courses de pâtes, révisions à la BU, cafète du CROUS le midi, semaines de partiels, soirées du jeudi… Néanmoins, aux yeux de mon cher bailleur, je ne suis pas tant étudiante qu’un véritable distributeur de billets, un moyen comme un autre d’obtenir un revenu passif.
Chambre de bonne de 12m², 499 euros/mois hors charges, 900 euros de caution, 200 euros de réservation avant la signature du bail… Les chiffres s’accumulent de même que les problèmes dissimulés par le propriétaire lors de l’état des lieux, des problèmes tels que l’on hésite longuement à cocher la case « logement décent » lorsqu’on remplit les papiers de la CAF pour espérer obtenir des APL.
D’ailleurs, la méfiance du propriétaire parisien pèse sur vos épaules d’étudiant : « Vous êtes Française ? Ah c’est bien. » Lorsque vous joignez au dossier la carte d’identité de votre mère garante née dans les îles : « C’est République Française, ça ? » [sic]. Même un garant professeur des écoles, donc fonctionnaire, ne le rassure pas : impôts sur le revenu et taxe foncière de cette année, de l’année dernière, de l’année d’avant encore; acte de titularisation (parce que bien-sûr il ne peut pas se fier uniquement à la profession mentionnée sur les feuilles d’impôts des trois dernières années) ; deuxième garant présent dans l’Hexagone (parce que oui, si jamais je ne paie pas mon loyer, l’île est loin pour des réclamations, il lui faut quelqu’un sous la main). À ce propos, non, pas de prélèvement automatique, c’est trop compliqué avec sa banque, monsieur exige des virements mensuels. L’interrogatoire est également très amusant : « Vous fumez ? Non ? C’est bien, on ne veut pas de locataire fumeur », « vous étudiez où ? À la Sorbonne *sourire* (en général ça fait plutôt bonne impression, ouf) et quoi précisément ? Ah *disparition du sourire* »(les sciences humaines ne lui font pas très bonne impression, ce n’est pas vendeur). Commentaires sur ma voix, mon intonation, mon éducation, ma manière de présenter, tout est passé au crible. Enfin, pour le rassurer, j’ai dû fournir ma dernière prise de sang… non je m’égare… il n’a pas encore demandé ce document-là.
En soi, cette abondance de formalités, cette couverture de papiers dans laquelle mon propriétaire s’enroule chaudement pour l’hiver, ne me turlupinerait pas tant s’il adoptait en retour la même rigueur, cette même attitude de chercheur de petite bête pour ce qui est de me fournir un logement tout bonnement décent ; il pourrait se préoccuper d’installer un système d’aération dans l’unique pièce, par exemple, au lieu de simplement suggérer de rester les volets grands ouverts au 7e étage pour « aérer la pièce » par un mois de janvier.
Certes la situation pourrait être pire, j’ai un garant qui paie mon loyer, je peux me permettre d’avoir un logement dans le privé au lieu d’attendre indéfiniment une réponse du CROUS. D’ailleurs, le propriétaire n’est pas à diaboliser d’emblée de manière simpliste dans une dialectique communiste tronquée. Avant d’afficher cette adresse dans une coquette avenue du 6e arrondissement il a peut-être travaillé toute sa vie, économisé pour acquérir des biens immobiliers un à un et les loue à présent pour rendre confortable une retraite qu’il juge bien méritée. Bien sûr ce cas de figure est tout à fait plausible, envisageable et éminemment respectable.
Néanmoins, deux peurs, voire deux angoisses semblent cohabiter tout en s’ignorant l’une l’autre dans la relation propriétaire/locataire : celle bien mise en exergue par le premier dès les premières formalités, à savoir la peur de ne pas être payé, de voir son bien dégradé et donc, à défaut de gagner de l’argent, en dépenser plus. De l’autre côté, l’étudiant locataire a lui aussi ses peurs : état des lieux bâclé pour dissimuler des problèmes plus ou moins graves dans le logement, manœuvres du propriétaire pour garder la plus grande partie possible de la caution… En s’ignorant ou en se niant, ces deux peurs produisent une tension et une agressivité latente dans les échanges, ce qui n’est pas pour le meilleur des deux parties.
Il faut reconnaitre que les propriétaires sont mal protégés en France, c’est même un peu scandaleux : un locataire qui ne paie pas ne peut être expulsé, ce qui entretient la méfiance. Dans d’autres pays, le mauvais payeur est vite sanctionné, ce qui permet au propriétaire de faire davantage confiance.