Camille Belot | « Le jour où tu veux faire la révolution, tu apprends d’abord à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même, d’accord ? » aurait pu dire OSS 117 dans le troisième volet de la série éponyme. Et les spectateurs auraient sans doute bien ri de ce personnage de pastiche absolument condescendant à l’ego surdimensionné et à la bêtise sans faille, parce qu’en France on est bon public de cet humour à la limite du politiquement correct, très franchouillard, complètement second degré. Sauf que ce n’est pas Jean Dujardin qui a récité cette réplique bien sentie pour une comédie d’espionnage absurde mais Monsieur Emmanuel Macron.
Quelle grande leçon sur la vie ce fût alors ! Mais sur quelle vie exactement ? Celle de la petite réussite en Macronie qui voudrait des jeunes actifs auto-entrepreneurs pro-système et bien pensant ; ni à gauche ni à droite, juste en marche pour le gouvernement. Car finalement cette nouvelle punchline – si on peut dire ainsi – ce n’est pas tant la remise en place d’un collégien « perturbateur » mais plutôt l’indice révélateur d’une vision à la fois étriquée et normalisante. Étriquée parce non – et je ne vous apprend rien – le sens profond de l’existence ce n’est pas avoir un diplôme pour mettre de la soupe sur la table. Enfin j’espère ! Normalisante parce non, ce conformisme capitaliste ne peut pas être acceptable unanimement. Dans un pays où la liberté s’érige en valeur fondamentale, même un gouvernement ultra-paternaliste n’a pas à dire à ses concitoyens ce qu’ils sont censés faire de leur vie ou comment la réussir. Laissons ce dur labeur aux journaux et aux réseaux sociaux, s’il vous plait ! Et c’est bien là que se pose le véritable problème : Monsieur le Président, tout le monde a le droit de faire la révolution !
Quel espace pour la révolution ?
Au delà de la volontaire provocation d’un Président qui veut se faire respecter en jouant l’air de rien au même jeu que son détracteur, le véritable risque de ce genre de prise de position est de réprimer tout espace possible de la révolution. De quoi se plaindre si on n’est déjà pas dans le système : intègre toi d’abord et on verra après ! En poussant l’analyse un peu plus loin, cela voudrait dire qu’il faut un certain niveau intellectuel reconnu par l’état – le « diplôme » ; car si tu es malin mais que tu n’as pas ce bout de papier parce que tu es tombé dans les entraves obscurs de ParcourSup, par exemple, et bien tu ne comptes pas, désolé – et des fonds financiers suffisants pour subvenir à tes propres besoins – « te nourrir toi-même » ce qui est une façon polie de dire : « ne pas dépendre des autres » ; oui on est loin de la solidarité et très loin du communisme – et bien tu n’as pas à faire la révolution – c’est à dire exprimer ton mécontentement face au système et essayer de le changer. Conclusion : le système est bien, ce sont les autres qui sont nuls. Donc d’abord il faut s’insérer proprement dans le système et ses valeurs, et après s’être fait une place dans cette société, là il serait possible de se révolter. La question est la suivante : Pourquoi s’intégrer à une société qui ne me correspond pas ?
Alors qui a le droit de vouloir changer le monde ? Ou doit-on d’abord acquérir une certaine forme de légitimité pour pouvoir ouvrir sa gueule ? Alors que certains se battent pour une convergence des luttes – parce que même si tu n’es pas un migrant ou un étudiant ou un employé de la SNCF, tu as le droit de penser que c’est injuste et de vouloir faire quelque chose alors que cela ne te concerne même pas, et heureusement sinon il ne resterait plus grand monde pour défendre la cause animale – d’autres semblent plutôt penser que les « agitateurs professionnels » et activistes en tout genre n’ont pas grand chose à dire au regard de leur situation. Dans un système à une seule porte d’entrée, il s’agit donc, si je comprends bien, de se plier à l’éducation, c’est à dire : Passe ton bac d’abord ! ensuite au marché du travail, c’est à dire : Trouve-toi un vrai boulot ! Même si dans une certaine mesure l’école et le travail sont des vecteurs d’émancipations, est-ce qu’il n’y a pas aussi un véritable risque soit de formatage des individus, soit d’oppression car il ne reste plus beaucoup de temps pour se révolter. Et si on est jeune, et si on n’a pas beaucoup de responsabilités, et si on n’est pas tout à fait vraiment intégré dans le système, est ce que ce n’est pas justement le moment de faire la révolution ?
Egalité des droits et démocratie oblige – et en plus en France, on aime bien se plaindre – tout le monde a son mot à dire. De ce point de vue, même les propos d’Emmanuel Macron les plus inspirés d’Hubert Bonisseur de la Bath sont tout à fait acceptables si on les attribue à l’individu et non à sa fonction de président. Et finalement moi non plus, je n’ai aucune légitimité à écrire cet article : je n’ai pas de diplôme en politique ou en quelques domaines qui s’en rapprochent, pas plus que je n’ai de vrai métier, mais il se trouve que je fais partie d’une rédaction – Nouvelles Vagues, journal libre et participatif, franchement rejoins nous ! – qui m’aura laissé le publier si vous l’avez en ce moment devant les yeux.