Emma Caputo | Du 25 septembre 2018 au 28 février 2019, Shakespeare envahit une nouvelle fois la Comédie Française avec La Nuit des Rois.Après que son navire ait fait naufrage, Viola échoue sur l’île d’Illyrie. Certaine que son jumeau n’a pas survécu au drame, la jeune femme se travestit à l’aide de ses vêtements pour entrer au service d’Orsino. Mais ce changement d’identité se révèle être contraignant pour l’amour sans retour que Viola porte à son maitre, alors qu’elle aide à obtenir la main de la comtesse Olivia. Convaincue que Viola est un homme, cette dernière s’en éprend. Thomas Ostermeier nous invite au cœur de cette succession de quiproquos, source de désirs confus, dans une mise en scène étonnante et réussie.
La mise en scène de Thomas Ostermeier : l’affranchissement de la bouffonnerie
Le metteur en scène affirme explicitement son intention, mise en évidence par ses choix scénographiques : une boîte scénique blanche, jonchée de sable, décorée seulement de quelques palmiers cartonnés. L’île ainsi représentée nous éloigne d’un réel qui ne semble pas plus avoir sa place dans l’œuvre que les pantalons… La passerelle entre la scène et la salle, permettant d’incessants aller-retours, tend également à nous le rappeler. Le lien avec le réalisme spatio-temporel étant rompu, Ostermeier laisse ses acteurs repousser les limites du vraisemblable pour nous offrir une comédie hilarante et déjantée.
En effet, les comédiens s’accordent de nombreuses libertés qui ne sont pas pour nous déplaire : les acteurs n’hésitent pas à faire usage d’un quatrième mur, qu’ils brisent aussi facilement qu’ils le reconstruisent ensuite. Du simple commentaire d’un comédien, à l’insertion d’un véritable stand-up voire d’un court concert, en passant par quelques réflexions inattendues sur l’actualité, ces interventions se mêlent avec une justesse improbable à l’œuvre de l’auteur.
Mais la pièce doit également son succès à sa brillante distribution, des rôles principaux aux plus brèves interventions. Ainsi Denis Podalydès nous interprète un Orsino aussi transi d’amour que disposé à faire rejaillir subtilement l’humour Shakespearien ; Adeline d’Hermy et Georgia Scalliet nous proposent un duo aussi sincère que touchant… Les rôles secondaires ne sont pas en reste avec Stéphane Varupenne, qui interprète un fou jovial et étonnamment sage ; Laurent Stocker, jouant l’oncle déjanté d’Olivia ; et Christophe Montenez, incarnant un prétendant parfois incontrôlable, souvent enfantin et toujours ivre. Cet inénarrable trio se surpasse à chaque intervention, digne des plus folles comédies du dramaturge.
Entre la touchante sincérité des multiples intrigues amoureuses et les bouffonneries périphériques, le spectateur traverse une tempête d’émotions si bien accordées aux diverses interventions musicales, jusqu’au sublime tableau final… Malgré le scepticisme qui peut nous saisir lorsque l’on assiste à l’entrée en scène de ces comédiens en sous-vêtements, La Nuit des Rois s’avère être une véritable réussite à ne manquer sous aucun prétexte !
Des places sont encore disponibles jusqu’au 28 février sur le site de la Comédie française : https://billetterie.comedie-francaise.fr/node/54563
Une mise en scène étonnante mais néanmoins réussie pour cette oeuvre culte de Shakespeare, à conseiller !