Emma Caputo | Au théâtre de la Scala, Arlequin poli par l’amour, la première pièce de la Piccola Familia, a revu le jour du 29 septembre au 27 octobre, douze ans après sa création.
Amoureuse d’Arlequin, une fée décide de l’enlever mais constate à son réveil que la beauté du jeune homme n’a d’égale que sa bêtise. Elle entreprend donc, en vain, d’éveiller son esprit avant de l’épouser. Mais lorsqu’Arlequin rencontre une bergère, l’amour naissant entre les jeunes gens a finalement raison de sa stupidité. Dévastée en découvrant l’existence de sa rivale, la fée va faire usage de ses pouvoirs pour tenter de séparer les deux amants… Dans un surprenant décor, Thomas Jolly nous offre une comédie brillante d’espérances à mesure que le protagoniste s’émancipe.
La mise en scène de Thomas Jolly : une virtuosité comique haute-en-couleurs
Touchante et comique, légère et grave, terrienne et onirique sont autant de qualificatifs aussi contradictoires qu’adaptés à cette représentation dont l’éblouissante réussite repose sur l’importante multiplicité de variations qui la traversent.
Avec Arlequin poli par l’amour, le metteur en scène invite progressivement le spectateur à rejoindre un univers qui semble s’étendre au-delà de la scène. Si au début de la représentation des comédiens vêtus de tenues quotidiennes se tiennent sur une scène réduite par le décor, ces derniers rejoignent le plateau dans les scènes suivantes, portant des costumes improbables et atemporels, dignes d’un conte. En effet, alors que la scène est envahie de ballons, de confettis, d’ampoules suspendues et de comédiens coiffés de perruques, vêtus de corsets ou de blousons en cuir, la pièce s’éloigne des représentations réalistes des œuvres de Marivaux pour se figer dans cet univers hors du temps propre au metteur en scène. Peu à peu, les changements de décors, la singularité des personnages, les différentes atmosphères qui envahissent le plateau nous envoûtent également et nous plongent dans un théâtre qui s’assume comme tel.
La comédie est fièrement revendiquée, si bien qu’elle peut s’émanciper des contraintes du réalisme et laisser le champ libre à des interprètes déjantés, n’hésitant pas à rompre par instants l’illusion théâtrale de manière à provoquer le rire. Ainsi l’annonce de la scène quatre du premier acte et de la présence de moutons dans les didascalies, que les comédiens se résolvent à remplacer sur scène, provoque l’hilarité générale. Il en va de même pour le stratagème pour le moins inattendu de la fée pour détourner l’attention d’Arlequin lorsqu’elle prétend voir Marivaux dans la salle. Tous, y compris les rôles secondaires, semblent apporter leur spécificité à la représentation, ponctuée du chant de certains, de figures acrobatiques d’autres ou encore de jeux de voix ; talents qui une fois rassemblés créent un ensemble cohérent et homogène où chacun renforce à sa manière la comédie de Marivaux.
Cependant l’ensemble de la représentation ne repose pas sur sa dimension comique qui contraste habilement avec la gravité d’autres passages. Nous pouvons notamment citer ceux mettant en scène la fée, personnage aussi désespéré que puissant et manipulateur. Sa venue s’accompagne d’un usage des lumières et d’une obscurité qui ne sont pas sans rappeler les précédentes tragédies shakespeariennes mises en scène par Thomas Jolly. Le contraste est saisissant, logique, bien mené, et la pièce ne cesse de nous entraîner dans une multitude d’atmosphères. De la leçon aux allures de cabaret à la joyeuse prairie verdoyante en passant par la sinistre demeure de la fée, le metteur en scène mène habilement ces variations dynamiques en les accompagnant de musiques d’ambiances et des jeux de lumières qui lui sont propres.
La reprise d’Arlequin poli par l’amour est un véritable coup de cœur à voir absolument… A Paris – en espérant qu’il y ait des prolongations – ou dans toute la France du 6 novembre 2018 ou 15 mai 2019. Consultez dès à présent les dates de la tournée sur le site de la Piccola Familia : http://www.lapiccolafamilia.fr/tournee-arlequin-poli-par-lamour-2/
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