Laura Remoué | A l’occasion de la sortie du livre Cours petite fille !, de nombreuses féministes se sont réunies à la Librairie des femmes pour revenir sur le mouvement Me too.
Au fond d’une cour pavée, habillée de plantes, la Librairie des Femmes organise une soirée bien discrète pour les grandes voix qu’elle accueille. Ce jeudi 31 janvier, la nuit des idées est l’occasion de penser aux femmes, avec des femmes.
Devant un petit bassin décoratif, une tablée de livres nous attend à l’entrée. L’ouvrage mis à l’honneur en ce premier rendez-vous est Cours petite fille ! , un essai recueillant de multiples voix féministes. Elles sont si nombreuses, installées face à nous ou dans le public même, qu’on se demande si nous ne sommes pas les seules inconnues à l’appel.
Delphine Le Vergos et Samuel Lequette, à l’origine du recueil, présentent brièvement leur ouvrage, mais ne tardent pas à laisser la parole aux contributrices du livre. Les femmes autour de cette table viennent de tous horizons. De l’écrivaine chinoise He Yuhong à l’ukrainienne, leader des FEMEN, Inna Schevchenko, en passant par l’argentine Alicia Dujovne Ortiz, elles ont en commun un profond engagement féministe.
Me too : une « respiration »
Lorsque l’affaire Weinstein éclatait, raconte Elise Thiébaut, en octobre 2017, elle s’occupait alors de sa mère, souffrante, persuadée qu’il s’agirait de « sacrifier un taureau, puis tout recommencer comme avant ». Le doute des féministes était là, la crainte d’une nouvelle déception. Mais Elise Thiébaut y croyait et s’en félicite. Elle a vécu le mouvement comme une « respiration » dans son combat.
Ce que Me too a permis, surtout, c’est une « décentralisation de la parole » se réjouit Fatima Benamor. C’est selon elle ce qui démarque Me too dans l’histoire du féminisme. La parole n’est plus restreinte aux associations et à leurs porte parole.
Pour toutes, Me too est le résultat des années qu’elles ont passé à se battre pour la reconnaissance des violences faites aux femmes, de leur sensibilisation. C’est un « triomphe » des féministes selon Inna Schevchenko, plutôt qu’un « début », comme l’ont souvent défini les médias.
Mais leur conviction que, grâce à Me too, se dire « féministe » n’est plus un gros mot est-elle juste ? Nous restons sceptiques sur ce point. Vouloir l’égalité parfaite entre les femmes et les hommes est encore constamment déformé comme la construction d’une société de femmes tyranniques. Quant à la décentralisation de la parole, elle est on ne peut plus décriée, comme si trop de liberté d’expression tuait la liberté d’expression. Twitter a les défauts des ses avantages : tout le monde est juge et personne ne l’est à la fois. L’expression sera véritablement libre lorsqu’elle sera non seulement possible, mais acceptée comme crédible.
Le backlash de l’après-Me too
Me too a certes provoqué une libération de la parole et la conscience des violences faites aux femmes, mais cela n’a pas provoqué d’évolution juridique pour autant. Ça n’est pas une première : lorsqu’une évolution sociale se fait sentir, un fort backlash (retour de bâton) vient ensuite. Lorsqu’Isabelle Steyer, avocate, prend la parole, elle raconte une récente affaire qu’elle a défendu. Sa cliente était une adolescente accusant son entraîneur de l’avoir violée depuis ses 7 ans. Ces viols ont continué jusqu’aux années suivant ses 15 ans, âge de la majorité sexuelle. Lors de son jugement, Isabelle Steyer appuie le fait que le jugement s’est fait par des jurées, uniquement des femmes tirées au sort. Elle rappelle aussi que les femmes, dans ces jurys, condamnent moins que les hommes. Pour cette adolescente, en effet, ces jurées ont décidé que, puisque les présumés viols avaient continué au-delà des 15 ans, alors la victime était consentante. Elles se sont identifiées à l’accusé, plutôt qu’à la victime, alors même qu’elles n’étaient que des femmes.
La condition des femmes encore menacée
Kubra Khademi, artiste performeuse afghane livre son histoire, qui l’a conduite à demander l’asile en France. « En Afghanistan, c’est faux de dire qu’on n’a jamais été violée » affirme-t-elle. « On a toutes été violées, c’est considéré comme normal là-bas et il n’y a pas d’âge pour ça, même un bébé est violé ». Elle s’est faite connaître après s’être promenée dans les rues de Kaboul vêtue d’une armure qu’elle avait fabriqué pour se protéger des attouchements qu’elle subissait sans cesse. « On sait que personne ne nous protégera, même à ma mère je ne pouvais pas en parler. Alors dès toute petite, après avoir été violée pour la première fois, je me suis dit que la seule chose qui pouvait me protéger serait de porter des sous-vêtements en métal ».
S’en conclut ainsi, malgré les espoirs que Metoo a suscité, la conscience que les combats des femmes pour leurs droits sont loin d’être achevés, en occident comme ailleurs. Ce qu’il faudra avant tout pour surmonter les obstacles posés par les sociétés patriarcales, c’est la solidarité entre toutes les femmes.