Sarah Ben Hamda, Krollan, Florentin Groh | Les Grands Voisins : pour la première fois, nous y sommes et découvrons cet espace enchanteur, coupé de l’agitation parisienne. Une cour, des artisan.ne.s, le bourdonnement des conversations en terrasse, une autre cour, des arbres, un couloir extérieur, une petite cour taguée, un énorme escalier métallique. On s’y perdra (avec plaisir !) un autre jour car nous sommes arrivé.e.s. Arrivé.e.s dans la salle de la pouponnière où se tient le débat radiophonique organisé par l’association étudiante Radio Campus Paris [NDLR du réseau Radio Campus Paris], où, pendant plus de deux heures, les questions liées à la pauvreté et à l’exclusion sociale et culturelle des enfants en France ont rythmé les échanges entre Anne-Lise DENOEUD, Chargée Plaidoyer France et Expertise à l’UNICEF France ; Christine LACONDE, Directrice générale au Samu Social de Paris ; Serge SAADA, Responsable pédagogique de la formation à la médiation culturelle de Cultures du Cœur ; et Jean-Pierre SAEZ, de l’Observatoire des politiques culturelles.
Tous étaient venus pour la signature du projet RESPIRATIONS, annonçant alors son lancement officiel en présence de Mme Christelle DUBOS, Secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé. S’inscrivant dans la continuité du plan de lutte contre la pauvreté du gouvernement Macron, lancé en septembre dernier et mettant l’axe sur la précarité et les besoins fondamentaux de l’enfance ; le projet RESPIRATIONS, très grossièrement, prône « l’accès aux pratiques culturelles et aux sciences » comme facteur d’élévation sociale.
Le projet résulte d’une convention tripartite entre l’association Fédération des acteurs de la solidarité (regroupant 870 associations de solidarité et 2 800 structures partout en France, et ayant lancé par ailleurs un projet de loi Fédéral en 2016 pour une réinsertion professionnelle avec différents dispositifs régionaux) ; l’association Culture du Coeur (réseau national regroupant 35 associations francophones et luttant contre l’exclusion sociale et la précarité de l’emploi par des moyens de médiations culturelles) ; et l’association Les Petits Débrouillards (réseau national d’éducation populaire regroupant 11 associations territoriales et prônant l’insertion sociale infantile par l’accès aux pratiques culturelles et scientifiques). Lancé jusqu’en 2022, le projet a pour ambition de compter à échéance 10 000 enfants, jeunes et familles sans domiciles intégrés dans des dispositifs d’ateliers de loisirs dans le temps périscolaire et bénéficiant d’un accès aux vacances. Pour Anne-Lise Denoeud, « On est dans ce qu’on appeler un mouvement de pauvreté. Aujourd’hui en France, 300 000 enfants vivent dans une précarité extrême du aux revenus des parents… à cela s’ajoutent les enfants « invisibles », c’est à dire sans logement. Ce chiffre, quand on y regarde bien, fait froid dans le dos. Ce qu’on demande nous, c’est surtout de prendre en compte les besoins spécifiques des enfants. On ne pense pas assez aux conséquences de la pauvreté sur la privation des enfants, pourtant elle a des effets dévastateurs sur la socialisation et le bien être de l’enfant. La privation, c’est l’absence d’accès à la culture, l’absence de livre scolaire, de téléphone (qui pourtant est le premier outil de sociabilisation), de lieu pour la réception d’amis ou d’organisations d’anniversaires… notre but est donc de répondre à ces besoins que l’on considère primordiaux pour le développement de l’enfant ».
L’urgence est d’autant plus dramatique, comme le souligne Christine Lacombe du SAMU Social de Paris : « En 2013, une grande enquête a été menée auprès des familles hébergées et nous avons constaté que le revenu médian pour une famille est de 2000 euros, largement en dessous du seuil de pauvreté. A cela s’ajoute le chiffre de 80 % pour les familles vivant sous le seuil de pauvreté, dont 1/4 vivent sans aucune ressource. Cette extrême pauvreté est évidement un obstacle au bien être et au développement de l’enfant qui n’a pas de chambre à soi, pas de wifi, de vêtements, de livres », avant d’ajouter « dans le cas d’un hébergement à l’hôtel, on est face à une enfance empêchée. Comment voulez-vous que l’enfant puisse se développer sereinement avec seulement 12 m² de zones de vie commune ? Non seulement il y a une absence d’intimé qui est dramatique, surtout en ce qui concerne le moment de l’adolescence, mais les enfants ne sont pas protégés des difficultés des parents ». Dans un rapport de recensement daté de 2015 et diligenté par les Nations Unies, en Ile-de-France, les 3/4 des enfants sans-abri sont hébergés à l’hôtel. « On essaie de mettre en place des bibliothèques dans ces hôtels », confie C. Lacombe, « l’accès aux livres et le déplacement dans un autre espace permet à l’enfant de rêver, ce qui contribue à son sentiment de se sentir comme les autres. ». C’est en ce sens que Jean-Pierre Saez annonce qu’il faut « allier la culture scientifique et politique culturelle. L’enfant va ainsi pouvoir pousser sa réflexion, levant un frein sur sa capacité et sa volonté de communiquer » , avant d’ajouter, « un enfant ne va pas dire la même chose en présence de ses parents. Le développement de sa curiosité, couplé par un droit au rêve, va pouvoir faire émerger cette parole, de tel sorte que l’enfant va devenir médiateur des parents et participer à leur élévation sociale » ; propos que complète Serge Saada en affirmant que « le droit à rêver est fondamental pour l’enfant. Il lui permet d’affronter le monde en développant sa réflexion personnelle, lui permettant de se projeter. C’est la grande ambition de l’éducation populaire : l’éveil de la sensibilité par le droit à la culture et la pratique artistique. L’enfant est alors moins isolé et développe un espoir de sortir de la pauvreté » .
L’accent est donc mis sur la création de fabriques culturelles et citoyennes, l’accès aux vacances, l’accès à la culture dans les structures sociales, et la création établissements culturels formés. Pour Noël Corbin, président de l’association Culture du Coeur, « l’Etre Humain est un être de culture qui lui permet de porter un regard sur le monde. Son rapport à la culture est personnel, mais il faut le sortir de son isolement et privilégier la rencontre contre une éducation verticale vecteur de discrimination » . La question est donc celle de médiation culturelle et d’accès à la culture par le biais d’ateliers de pratiques et d’échanges pour susciter l’envie et la curiosité, facteur d’élévation sociale (il s’agit là du vieux concept d’éducation populaire). L’accent est également mis sur le droit aux vacances avec, par le biais des centres d’hébergements, l’octroi de temps de loisirs et la distribution de chèques vacances; et plus largement encore sur l’accès aux loisirs dans le temps périscolaire pour les enfants des structures d’hébergement, associant vie culturelle à insertion sociale et activité citoyenne. Pour Jean-Pierre Saez, « il y a une nécessité de reconnaissance d’une nouvelle pédagogie » concernant l’éducation culturelle plus scolaire. De plus, lorsqu’une personne d’un public pose la question de la place de l’interculturalité dans ce projet, la réponse est unanime : l’interculturalité est un fil rouge indispensable, la culture est loin d’être unique.
Le projet a donc pour aspiration la réussite collective via l’augmentation de la scolarisation et du goût à l’éducation par le biais d’ateliers culturels ludiques visant à une amélioration du cadre de vie à l’école ; une amélioration des liens familiaux avec la création d’un système d’entraide entre parents ; l’amélioration des conditions de vie par l’apprentissage du français, la sensibilisation au numérique et aux démarches de droits communs, et une meilleure connaissance de son environnement ; par le biais de création de centres d’hébergements culturels avec l’intention de formation de plus de 400 intervenants ou intervenantes à la médiation culturelle et scientifique.
Le projet sera suivi par une étude de chercheurs des universités de Paris en Sciences Sociales, observant le projet dans sa totalité pour, une fois celui-ci arrivé à échéance, pouvoir fournir un plan durable.
L’évènement s’est terminé par une Jam Session à laquelle nous n’avons pas assisté. Cependant, pour les amateur.rice.s d’impro musicale, une session de Jam est à prévoir le jeudi 28 novembre.
Lien de l’événement : https://www.facebook.com/events/448141079241383/
L’occasion de découvrir ce merveilleux lieu que sont Les Grands Voisins !