Sarah Bronsard | Paris – Du 23 au 25 octobre, les résultats du projet INCLUDE (Initiatives nouvelles pour la citoyenneté locale et urbaine des Européens) ont été présentés lors d’un colloque organisé à l’Hôtel de Ville. Né le 10 mars 2018, ce projet a été lancé par la Ville de Paris en coopération avec les Jeunes Européens France et le Forum civique européen.
Quels objectifs ?
Le projet INCLUDE a pour ambition de promouvoir la citoyenneté européenne. Comment encourager les citoyens à vivre cette dernière ? De quoi s’agit-il exactement ? A quels droits donne-t-elle accès ? Autant de questions que se posent les ressortissants des pays membres de l’Union européenne, venant d’arriver dans la capitale. Le but est donc également de les inclure davantage dans la vie parisienne. Le troisième objectif découle des précédents : servir d’inspiration pour d’autres villes européennes.
Quelles actions ?
Afin de mettre en place ces objectifs, de nombreuses actions ont été menées durant les deux dernières années. La création d’un comité consultatif de citoyens européens, le Conseil parisien des Européen·ne·s, est l’une des actions principales. Par ailleurs, 24 ateliers citoyens et 24 interventions des Jeunes Européens durant des événements dédiés à l’Europe ont été organisés afin d’informer sur les droits électoraux, et sur les implications concrètes de la citoyenneté européenne, adoptée en tant que telle par le traité de Maastricht de 1992.
L’ouverture du colloque
Comment vivre sa citoyenneté européenne dans sa commune ? Tel a été le fil rouge pendant trois jours. Pour aborder cette problématique, des tables rondes, des conférences et des ateliers ont été organisés visant à la sensibilisation citoyenne. Sans oublier les moments conviviaux propices à l’échange interculturel.
Mercredi 23 octobre, le colloque débute par une table ronde autour de la citoyenneté européenne à l’échelle locale, suivie d’une pièce de théâtre : « L’Europe à la barre ». Un faux procès de l’Europe est mis en scène par une troupe de musiciens et comédiens professionnels. La journée se termine par un buffet dînatoire.
Les conseils consultatifs de citoyens non-nationaux : un moyen d’inclusion ?
Le lendemain matin, des intervenants de différents conseils consultatifs citoyens nous expliquent leur travail. Venus de Strasbourg, de Grenoble et de Paris, la présence du Conseil Parisien des Européen·ne·s est particulièrement intéressante, dans la mesure où il est une des création principales du projet Include. Elena Italiani, italienne, et Frédéric Couffin, franco-allemand, témoignent de leur travail et surtout de la passion qui les anime à lier l’Union européenne et l’engagement local. En effet, les membres du Conseil tirés au sort représentent tous un pays européen et sont donc un interlocuteur privilégié des ressortissants de l’UE fraîchement arrivés à Paris. « C’est très excitant de pouvoir participer à la première année de ce conseil, à cet espace de parole où 60 personnes vivant dans la même ville, puissent parler de problématiques liées à l’Europe au niveau local », nous confie Elena.
La parole aux citoyens !
L’après-midi, des ateliers thématiques sont organisés. La particularité ? Le public est invité à échanger directement avec les experts. A l’issue des échanges, des propositions concrètes, des « fiches action » sont élaborées et rendues publiques pour que d’autres villes puissent s’en inspirer. C’est aussi une manière de valoriser le travail des participants en communiquant ces résultats aux mairies et aux collectivités territoriales.
Outre les conseils consultatifs, des ateliers sur les actions de rue, sur les outils pédagogiques et les actions innovantes sont organisés. Le public se répartit dans chacun des groupes de travail.
Pour ma part, je participe activement à l’atelier « L’Europe dans les médias », animé par le journaliste européen Simon Marty qui nous explique son travail pour Euradio.
Décalage entre médias et citoyens
Nous commençons par énumérer les problèmes liés au décalage entre les médias et les citoyens : des problèmes de vocabulaire, les règlements, avis et directives sont autant de termes techniques qui compliquent la compréhension, rendant les articles souvent inaccessibles, alors même que les médias sont censés être les curseurs pour s’adresser à un public ciblé. Le deuxième problème est lié aux « fake news » qui sèment la méfiance et rendent les sources difficilement vérifiables. A cela s’ajoute également un décalage entre l’immédiateté de l’information disponible sur Internet et les médias ayant besoin de temps pour rédiger leurs articles. Enfin, comment parvenir à s’adresser aux citoyens de tout le territoire ? A titre d’exemple, les grands quotidiens ne proposent pas de rubrique européenne, mais passent du national à l’international, sans passer par l’échelle européenne. Comme si elle n’existait pas. Ce choix crée évidemment une distance supplémentaire avec l’Europe qui est pourtant présente au quotidien.
Nos solutions
Une fois que nous avons fait l’inventaire des problèmes, nous élaborons une liste de priorités orientées autour de trois axes principaux.
- Sensibilisation et éducation aux médias
Pour nous, l’angle d’attaque passe tout d’abord par une sensibilisation et une éducation aux médias. A travers des jeux, des mini-séries, des formats ludiques et l’influence considérable des youtubeurs et influencers, les citoyens seront davantage intéressés et sensibilisés à des contenus qui diffèrent de l’actualité et de l’image souvent froide qu’ils ont des institutions technocratiques de Bruxelles. Une idée émerge : une émission « Top chef » européenne au cours de laquelle serait élaboré un repas composé de différentes spécialités du continent. Une entrée suédoise, un plat grec, un dessert espagnol !
- Les rencontres interculturelles et l’appel aux GAFA
Le deuxième axe s’articule autour de rencontres interculturelles. Le succès d’Erasmus atteste de l’importance qu’il convient d’accorder à l’échange socio-culturel, l’immersion dans un autre pays étant une expérience inoubliable. Alors, valorisons les fêtes de voisins entre ressortissants de l’Union européenne autour de repas typiques des différents pays d’origine. Redonnons un nouveau souffle à la Journée européenne et aux échanges de jeunes, notamment du milieu professionnel.
Quant au financement de cette « réforme médiatique », nous proposons de faire appel aux GAFA. (Google, Apple, Facebook, Amazon.)
« On ne naît pas Européen, on le devient ! »
Vendredi matin, tous se réunissent à nouveau pour la dernière journée du colloque INCLUDE. Le matin, une restitution des ateliers permet de découvrir les réflexions menées dans les autres groupes de travail. Le groupe des actions de rue s’est penché sur la question de sensibilisation de citoyens dans les milieux populaires et à l’échelle locale. Des blind-tests musicaux avec des paroles « choc » de députés européens viseraient à interpeller les passants. L’atelier « Actions innovantes » propose le développement de simulations du Parlement européen pour que tous puissent s’approprier le fonctionnement des institutions de manière plus ludique. En outre, la création de plateformes numériques dédiées aux Européens mobiles, la valorisation de témoignages de jeunes ayant effectué un service civique européen ou encore le développement de débats et de concours d’éloquence dans le milieu académique font partie des idées qui émergent.
« On ne naît pas Européen, on le devient ! » Les membres des conseils consultatifs mettent en avant leur expérience. C’est un travail de longue haleine. Tous ceux ayant participé à un projet européen en sortent changés. Les liens, la solidarité interculturelle et intergénérationnelle permettent de développer un sentiment d’appartenance à cette grande communauté que constitue l’UE.
Plénière de clôture : quelles sont les valeurs européennes ?
« L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. »(Article 2, TUE). Voici comment Jean-Marc Roirant, Président du Forum civique européen, choisit de débuter son intervention. Impossible de finir ce colloque sans rappeler les valeurs fondatrices de l’UE !
Des valeurs menacées, l’UE dépassée ?
Ces valeurs sont cependant menacées par la montée des nationalismes et populismes dans beaucoup de pays européens. En Hongrie, le Premier ministre Viktor Orbán remet en cause les principes fondamentaux de l’État de droit en muselant la presse et la justice. Face à ce développement inquiétant, l’Union européenne semble rester l’arme au pied, poursuit l’intervenant. Bien que le Parlement ait dénoncé les récents développements, il n’est pas parvenu à faire voter une résolution permettant de déclencher l’article 7, qui prévoit de sanctionner un État ne respectant pas les libertés fondamentales énoncées dans l’article 2. Le Parlement aurait donc uniquement un rôle de saisie, tandis que le Conseil, composé des chefs d’État et de gouvernement, prend ce genre de décisions, en statuant à l’unanimité. Ainsi, il est plus difficile de sanctionner des États comme la Hongrie, soutenue par la Pologne.
Comment faire pour surmonter ces freins ? Le Président du forum civique européen dénonce par ailleurs le manque de courage politique, face à la situation turque par exemple, et appelle les institutions à prendre leurs responsabilités.
En outre, un mécanisme de suivi de la situation de chaque pays est proposé. A l’heure actuelle, les pays candidats pour entrer dans l’Union européenne doivent respecter des critères politiques : être une démocratie, un État de droit… Ce contrôle devrait également exister pour les États membres afin de s’assurer que les valeurs de l’UE soient toujours respectées.
L’accord UE-Turquie contraire aux valeurs européennes
Une question du public relance le débat : « Comment parler de valeurs après l’échec de la Constitution de 2004 et de l’accord avec la Turquie ? » Marie-Christine Vergiat, députée européenne de 2009 à 2019 y répond clairement. « Cet accord n’est pas un accord au sens international du terme. Il n’a pas été soumis au vote du Parlement européen. C’est une décision des États. Les députés l’auraient rejeté. C’est un moyen pour contourner la démocratie. » Elle conclut : « Cet accord est contraire aux valeurs de l’Union européenne. »
Des valeurs universelles !
Les valeurs que nous tentons de défendre au quotidien ne sont pas seulement européennes, mais avant tout universelles. Elles sont une déclinaison des libertés et droits universels, rappellent les intervenants. Séparer les deux pourrait provoquer un certain rejet. Alors, n’oublions pas qu’en nous battant pour les valeurs européennes, nous portons les valeurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.