Delia Arrunategui / @arrunategui22 | Le rire, ce phénomène d’empathie et de légèreté assez fondamental, devient dans le film Joker un des composants clé pour entrer dans la peau du personnage central. Comme le dit un vieux proverbe : « les yeux sont le miroir de l’âme », car ils sont censés refléter nos émotions et nos sentiments. Nous pouvons attribuer au rire la même particularité, même si certaines fois il peut être involontaire, nerveux ou même pathologique ; il reste le moyen non-verbal le plus direct pour montrer et transmettre nos ressentis.
Quand j’ai entendu le rire du Joker, j’ai perçu quelques traits de caractère d’Arthur Fleck (Joker), le personnage magistralement interprété par Joaquin Phoenix. Fleck est atteint d’une maladie rare qui le fait rire involontairement sans pouvoir s’arrêter. Le mal-être et l’angoisse que ressent cet individu fortement tourmenté par son passé nous envahissent pendant tout le film. Dans le tourbillon des scènes, son rire aigu, énervé et parfois théâtral nous déconcerte et nous touche profondément, car nous pouvons percevoir que ce rire est vide de joie. A sa place on retrouve seulement la frustration et l’extrême solitude du personnage. Malgré nous, un sentiment d’empathie se crée face à cet anti-héros. Nous comprenons sa souffrance et nous souffrons avec lui. Nous découvrons au long du film que les problèmes sociaux qui érodent Gotham City, la ville fictive où habite Fleck, ressemblent douloureusement à ceux auxquels nous devons faire face dans nos villes, elles cependant bien réelles.
Vilain superstar
Le film Joker appartient à l’univers DC Comics, l’une des principales maisons d’édition américaines de bandes dessinées. Dans les comics le Joker est décrit comme un personnage violent mais très intelligent, reconnu pour avoir un sens de l’humour un peu sadique. Il est le maître du crime à Gotham et par conséquent le pire ennemi du super-héros Batman. Avant ce dernier film, le personnage avait déjà été incarné à l’écran par plusieurs acteurs, notamment Jack Nicholson dans Batman, Heath Ledger dans The Dark Knight, – pour lequel il a gagné à titre posthume l’Oscar du meilleur acteur dans un rôle secondaire – et Jared Leto dans le film Suicide Squad. Ce qui change dans ce nouveau thriller, c’est que le personnage du Joker arrive à percer le cadre fictionnel. Du début du film on perçoit que ce n’est pas son comportement erratique qui est mis en cause, sinon celui de notre société et ses vices, car c’est à cause des mésaventures qu’Arthur Fleck finit par se transformer en criminel. C’est cela qui génère la polémique autour des fans de la bande dessinée : beaucoup d’entre eux ne souhaitent pas que leur vilain préféré soit blanchi et par conséquent plus difficile à détester. L’histoire racontée dans Joker nous laisse un goût particulièrement amer, car nous avons l’impression d’avoir une graine de responsabilité dans sa descente aux enfers. Cette narration dans laquelle le personnage utilise la violence comme catharsis pour soulager sa souffrance, nous fait penser à certains évènements qu’on retrouve actuellement dans les journaux.

Symbole du désarroi
Une aire de révolte imprègne l’actualité. Ces dernières semaines une vague de manifestations a éclaté dans le monde entier. Les différentes protestations ont des points communs : elles dénoncent des systèmes inégalitaires et des gouvernements qui ne se soucient pas du bien commun. Dans les manifestations qui vont du Chili jusqu’à Hong kong, on retrouve certains participants portant le masque du Joker, ce personnage est devenu (malgré lui ?) un symbole pour les peuples qui se soulèvent. Quand je suis sortie du cinéma après avoir vu le film Joker, je me suis rendue compte que l’histoire racontée m’avait touchée, peut-être parce que j’ai la certitude que dans ce récit toute ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé n’est pas pure coïncidence.

© PATRICK BAZ / AFP
Pour aller plus loin dans l’actualité : « Liban, Hong Kong, Iran… les visages d’une révolte mondiale », un article écrit par Sara Daniel dans L’Obs