Jeudi 5 mars. Journée fac morte.

Krollan | Depuis la rue, la musique nous accueille. A l’entrée, des stickers « Paris 3 en lutte » sont distribués. Sur le parvis, des étudiant.e.s discutent de la lutte autour d’un petit déjeuner, un stand “MA PREMIÈRE FOIS en manif” prépare les nouveaux.elles arrivant.e.s. Un téléphone à la main, passant d’un groupe à l’autre, deux étudiant.e.s récoltent des témoignages. Dans plusieurs salles des discussions collectives ont lieu. Une organisation au top ! Et pourtant, il faut avouer qu’il n’y a pas foule… Heureusement à 13h tou.te.s se réunissent dans la rue et vont chercher les camarades de Jussieu et de l’ENS (venu.e.s devant Jussieu) pour rejoindre le cortège interfac devant Paris 7. Et là : ça fait plaisir ! Il y a un monde dingue !

« 8 600 selon la préfecture et plus de 25 000 selon les organisateurs », source : https://tinyurl.com/uqklytv
Les architectes, les archéologues, Paris 8, Paris 1, des enseignant.e.s de partout, Paris 2 (wesh même ASSAS !), les Beaux-Arts, l’INALCO, le CNRS, les lycéen.ne.s…

Le lendemain, un étudiant expliquera en AG qu’il lui a fallu 40 minutes de marche pour remonter la manif !
Sans oublier le rassemblement à Sciences Po mais aussi celui à Descartes pour les funérailles de l’État social. Et pas que à Paris ; il y a aussi eu des manifs à Lille, à Strasbourg !!

Revenons aux discussions collectives organisées pendant cette journée banalisée. Ayant participé à celle nommée « Qui peut enseigner à la fac et à quel prix ? » je m’en vais de ce pas vous en révéler quelques aspects.
La salle était principalement remplie d’enseignant.e.s et de personnels administratifs répondant aux interrogations des étudiant.e.s sur les faces cachées mais chronophages de leurs métiers.
Les enseignant.e.s et administratifs se voient dans l’obligation de réaliser des tâches stupides. Une enseignante explique qu’en début d’année elle a dû signer chaque page de la nouvelle maquette ce qui lui a pris 3h45 de signatures.
De plus, les bras manquent. Après une démission (par exemple pour trouver un poste payé un peu plus qu’une misère), un départ en retraite ou une dépression (environ 15 burn out par an chez les administratifs de Paris 3) les postes demeurent vacants. Le personnel restant est obligé de redoubler d’efforts. Plus le temps pour les rapports humains, plus le temps de répondre aux mails informels. Le bien-être de tou.te.s se détériore. Y compris celui des étudiant.e.s en panique, ou en colère, lorsque l’on tarde à leur répondre.
Parfois les absent.e.s sont remplacé.e.s. Mais par des contractuel.le.s. Ces offres à court terme précarisent grandement les travailleur.euse.s puisqu’à peine le contrat signé, en plus d’être que dalle payé.e.s, iels doivent déjà réfléchir à la suite. Sans compter qu’à chaque nouveau.elle contractuel.le embauché.e les ancien.ne.s doivent lui réexpliquer tout le fonctionnement perdant ainsi un temps fou. La LPPR n’arrange rien puisqu’elle prévoit de supprimer la limite actuelle de 50 % maximum de contractuel.le à l’université.
Cette tendance à la précarisation est réalisée dans une logique d’économie, la fac doit coûter moins cher. Pour cela, les services sont externalisés. Les enseignant.e.s-chercheur.euse.s doivent régulièrement se déplacer. Iels sélectionnent les billets et les envoient ensuite à l’agence extérieure qui les achètent pour elleux. Cependant, l’entreprise choisit systématiquement des billets plus chers que ceux sélectionnés. Les billets de train Ouigo ne sont pas non plus autorisés. C’est une arnaque.
Les enseignant.e.s réalisent de NOMBREUX TRAVAUX GRATUITS, ou presque. Par exemple, pour le suivi de l’ensemble d’un mémoire, l’enseignant.e ne sera payé.e que 20 euros après la soutenance. Si l’étudiant.e ne va pas jusqu’à la soutenance l’enseignant.e ne sera pas payé.e du tout. Aucune paye non plus pour les relectures alors qu’iels y passent une journée entière.
L’année dernière Paris 3 s’est battue contre la hausse des frais d’inscription pour les étudiant.e.s étranger.e.s hors Union Européenne. Même si la loi est passée, notre université refuse de l’appliquer. Alors lorsque la fac demandent des financement pour la titularisation la réponse est : prenez l’argent dans les poches des étudiant.e.s étranger.e.s comme c’est prévu. J’ai honte de mon pays.
Au milieu de tout ça les enseignant.e.s-chercheur.euse.s sacrifient la seconde partie de leur travail : iels n’ont plus de temps à consacrer à la recherche
Bon du coup qu’est-ce qu’iels font ? Et bah iels galèrent… Le consensus contre la LPPR et les conditions de travail est clair mais les avis sur les moyens d’action divergent. Une grève administrative ? Ok mais pas pour les master, pas pour les concours, pas pour les ERASMUS… bon bah pas de grève administrative. Une année blanche ? Non certain.e.s étudiant.e.s ne peuvent se permettre de redoubler. Des examens en ligne ? Non certain.e.s se font aider lorsque d’autres galèrent dans une cité U bruyante. Une validation pour tout le monde ? Non ça décrédibilise des formations dont la réputation est déjà mauvaise. La recherche de la solution qui ne pénalisera aucun.e étudiant.e est sans fin. Si vous avez des idées iels sont preneuse.eur.s !
Pendant cette journée des étudiant.e.s ayant décidé que les cours devaient s’arrêter ont renversé les chaises, les ont mis sur les tables et dans les amphis ; pour empêcher les cours qui se tenaient malgré la banalisation. C’est pourquoi nous avons reçu ce mail de la présidence .

Cependant, plusieurs étudiant.e.s ont rappelé pendant l’AG du lendemain qu’aucun matériel n’avait été abîmé. En ce qui concerne sa remise en place, iels se sont engagé.e.s à le faire si le blocus n’était pas maintenu rappelant qu’il est hors de question de rajouter du travail à des précaires déjà surchargé.e.s.
Vendredi 6 mars, le calendrier militant affichait : Grève Générale.
Un blocus s’est organisé. Puis de 10h à 12h une AG sur la précarité, les moyens d’actions et le vote de ces moyens d’actions.
Live facebook de l’AG : https://tinyurl.com/vk25tmh
Moment particulièrement inspirant, un moment vrai à 57:02
Les prises de paroles se succèdent :
Un étudiant, se définissant comme ancien pessimiste, ancien résigné, remercie les bloqueur.euse.s car iels lui ont fait prendre conscience de l’urgence à agir. Alors qu’un prof explique que les blocus décrédibilisent la fac et desservent les étudiant.e.s précaires. Avis partagé par les membres de l’UNEF. Un étudiant rappelle l’importance de ne pas désapprouver les réformes en silence. De venir aux journées banalisées, de venir en manif.
Une militante du SAP3 (Syndicat Autogestionnaire de Paris 3) explique que le syndicat est composé d’une dizaine d’étudiant.e.s mobilisé.e.s en continue. Notamment lorsque des étudiant.e.s ont besoin d’aide administrative ou sont expulsé.e.s de leur logement. Mais elle rappelle que ce cas par cas ne suffit pas et que l’heure est à la LUTTE COLLECTIVE ET MASSIVE.
L’AG a voté d’organiser une université ouverte, c’est à dire des cours alternatifs à l’extérieur de la fac, de ne pas valider le semestre pour tou.te.s et de lever le blocus.
Vous n’avez pas l’impression que c’est toujours les mêmes qui font les blocus, qui distribuent des tracts dès le matin, qui tiennent les tables de petit dej’, qui tapissent la fac d’affiches et de tags, qui sont sur l’estrade en AG ou qui passent le mégaphone. Mais qu’est-ce qu’on fait nous ? Pourquoi c’est à eux de tout faire, alors qu’il semble y avoir un consensus contre la LPPR, contre la réforme du CAPES, celle des retraites, contre la précarisation ? Perso, j’ai découvert pourquoi je ne suis pas l’une d’entre elleux. Parce que moi, je veux construire le futur, l’embellir. Je ne veux pas lutter corps et âme pour sauvegarder un système défaillant. En cela, la lutte féministe, la lutte écologique, la lutte anticolonialiste, est bien plus stimulante et gratifiante. On a plus l’impression de participer à la réalisation d’un monde nouveau, plus juste et plus durable. Sauf qu’en fait je me rends bien compte que je ne peux rien construire, rien embellir, si des dirigeant.e.s détruisent les fondations. Je crois qu’il va falloir s’y mettre les ami.e.s. Il va falloir se donner à cette tâche ingrate, il va falloir se battre pour conserver ce que d’autres croyaient avoir gagné.