Farah Ziane | Pour ce troisième portrait, Ouafa Mameche, éditrice chez Faces Cachées, nous parle de son parcours et plus particulièrement de son début de carrière, entre surprise et détermination, de ses années lycées jusqu’à la construction de sa propre maison d’édition.
Ouafa arrive en France à l’âge de 8 ans, elle s’installe avec sa famille en banlieue, plus précisément dans la ville de Saint-Denis dans le 93. Dès le collège, elle se découvre une passion pour le Rap qui prend de plus en plus de place dans sa vie. Elle découvre le 113 et la Mafia K’1 fry, Seth Gueko et Alkpote : « j’ai kiffé cette ambiance et leur façon de rapper » annonce-t-elle. Arrivée au lycée, Ouafa comprend qu’il ne s’agit pas d’une simple passion, et révèle :
« Mon histoire avec le rap est particulière, je ne suis pas née en France, je connaissais ma propre culture, mais pas la culture française et le rap c’était mon livre d’histoire, j’ai appris tellement de choses en l’écoutant.»
Elle change de lycées et déménage à plusieurs reprises, mais elle garde une constante : le rap, « c’était ma seule attache » annonce-t-elle. L’éditrice franco-algérienne a soif d’en apprendre davantage sur la culture urbaine et se rend souvent à la FNAC pour lire le magazine gratuit 5Styles, qui comptait une page dédiée à cette culture. À partir de là elle réalise que c’est ce qu’elle veut faire de sa vie : écrire sur des sujets qui la passionnent. Ouafa tombe par hasard sur une demande bénévole pour écrire des chroniques musicales. Elle envoie sa première chronique sur Mac Tyer, et ça fonctionne, elle est prise ! Son travail se fait voir, et tombe sous les yeux du rédacteur en chef du fameux 5Styles qui la contacte par la suite pour travailler à ses côtés. « c’était génial » raconte-t-elle.
Parallèlement, Ouafa n’abandonne pas les études et poursuit un Master 1 d’Histoire à Paris 1. Elle déclare :
« j’adorais avoir le nez dans les bouquins, et me lever tous les matins. Aussi j’adore Médine, et il parlait de personnes que je ne connaissais pas dans ses textes, alors je voulais apprendre. »
Ouafa continue d’écrire pour d’autres magazines, et elle réalise sa première interview, avec comme invité : Mac Tyer :
« j’ai fait les boulots qu’il fallait faire et j’ai pu rencontrer des gens que je kiffais. J’avais une totale liberté et Da Vibe* avait une double page qui m’était réservée pour que je parle de rappeurs indépendants que je connaissais, et je l’ai appelé : Faces Cachées. »
*Magazine en question
Ouafa reste indépendante, et réalise des interviews et des articles à droite à gauche, pour OKLM notamment. L’éditrice est toujours active dans le réseau associatif de sa faculté où elle est rédactrice en chef du journal Philanthropie de l’association ADEAS. Avec ce journal Ouafa explique ce qu’ils ont pu mettre en place :
« on avait tous le même âge et on voulait mettre en valeur les cultures africaines. Des rappeurs venaient comme Youssoupha ou Disiz. On les invitait pour parler ou pour rapper tout simplement. »
Cette expérience arrive à point pour l’éditrice car elle comprend que le rap et la culture sont indissociables et qu’ils vont avoir un rôle majeur dans son processus d’apprentissage. Elle tombe par hasard sur un Master dans l’édition, et pas dans n’importe quelle université puisqu’il s’agit du master LATERP (Lettres appliquées aux Techniques éditoriales et à la rédaction professionnelle) de la Sorbonne Nouvelle. Ouafa y apprend plus à écrire qu’à éditer, elle annonce :
« j’arrive et je vois que je galère, je cherchais un stage et je vois que personne me répond, personne veut de moi alors que j’avais écrit deux mémoires ! les autres avaient fait Lettres Modernes avant… et j’avais deux ans de plus qu’eux. »
Finalement, avec l’aide d’une professeure, elle parvient à décrocher un stage chez Hachette Éducation pour faire des livres d’Histoire. Elle s’y plait beaucoup mais se dit : « meuf tu vas jamais trouver de travail ! ». Mais plus que cela, elle réalise que le monde de l’édition n’était pas comme elle l’imaginait :
« J’ai vu comment étaient fait les livres, et le manque d’exactitude scientifique ! Ils voulaient juste vendre des livres… à partir de là je me suis dit que tout était toujours biaisé, y’avait pas de noir, pas d’arabe, du coup je me suis dit : « un jour tu monteras ta propre maison d’édition, avec ton regard ». »
Au détour d’une réunion Ouafa propose une photo pour illustrer l’un des manuels d’Histoire, celle d’une femme résistante aux cheveux courts et armée, on lui reproche son côté masculin, elle se fait refuser la couverture, c’est finalement une aviatrice américaine blonde qui l’emporte, Ouafa est outrée et décide de parler de son projet d’édition. Elle finit par rencontrer une personne qui partage ses objectifs et se lance. Ils décident de l’appeler : Faces Cachées. La maison d’édition sort finalement son premier livre Je suis de Bakary Sakho ; et s’en suivra La Rage de vivre de Bolewa Sabourin et Balla Fofana – qu’on vous conseil vivement !
Finalement on a demandé à Ouafa de partager avec nous sa plus grande réussite, voici sa réponse :
« Faire un livre avec l’Abcdr*, je leur avais envoyé une chronique moyenne quelque temps auparavant, et je voulais absolument entrer dans ce média. C’est le seul qui fait un pont avec le travail de recherche. Je me disais que je pouvais même pas y entrer, et que j’avais pas l’expérience suffisante, mais on m’a poussé à écrire et ma plus grande fierté c’est de faire partie de cette rédaction et d’avoir mis mon métier à leur service pour les aider à faire un livre. Et j’en apprend tous les jours aujourd’hui. Rendre mes parents fiers, faire des livres, faire des choses qui restent, et avoir des gens qui me disent que les livres les ont bouleversés, c’est une très grande fierté. Savoir que des filles peuvent avoir des modèles que je n’avais pas nécessairement. Et dire aux gens qu’on peut tous écrire, même si le milieu paraît fermé. »
Le livre dont nous parle Ouafa s’intitule L’obsession RAP, sortie chez Hachette. Elle fait partie du comité éditoriale qui comprend la définition de la maquette et des chapitres, mais aussi le choix des photos des rédacteurs, et les angles à mettre en valeur. Elle crée une harmonie au sein de cet ouvrage, qu’on vous conseil fortement.
Aujourd’hui la maison Faces Cachées compte cinq livres, édités selon la vision des auteurs mais aussi celle de Ouafa. Alors on te dit merci d’avoir partagé ton histoire avec nous, si inspirante soit-elle. On est persuadé que c’est le début d’une grande aventure !
Enfin on finit par le conseil spécial confinement de Ouafa : « Ne tombez pas dans cette course à la productivité et à la lisibilité. Il faut le faire parce qu’on en a envie et ne pas laisser place à la douleur. Concentrez-vous sur vous-même, enrichissez-vous de la manière dont vous avez envie. Pour ceux qui souhaitent se lancer dans l’édition: faites différent, publiez des choses nouvelles, l’édition à besoin de neuf ! ».
Où trouver Ouafa Mameche ? (instagram) @ouafamameche / (facebook) Oufa Mameche
Intéressé par faces cachées ? http://faces-cachees.fr/
crédit photographies : @noranoor3 pour @awsaawsabe