Être caissière en temps de crise sanitaire. Episode 2 : Une relation client autre.

Sara Machtou | Instaurer une distanciation. Un paradoxe dans un métier où nous devons être au plus proche du client. 

C’est une course à l’évitement. On nous tend l’argent du bout des doigts, ou on nous laisse le soin de le récupérer au bout de la caisse. Nous psychotons lorsque nous voyons un client utiliser de la salive pour séparer deux billet accolés entre eux. Vite du gel ! Mais il est où est ce gel ?? Si le paiement en carte bancaire est privilégié il a pour impact de réduire le contact entre le commerçant et la clientèle. Faire au plus vite implique de prendre moins de temps pour l’autre. Les conversations s’écourtent, là même où nous pouvions être une oreille attentive. Nous sommes parfois un rempart contre la solitude pour certains. Un travail considéré comme biaisé et qui amène à une certaine culpabilité envers soi et envers les autres. 

Les traits du visage disparaissent progressivement. A l’instar de la bouche derrière les masques de protection et les yeux derrières des lunettes de soleil. Les mains sont protégées dans des gants et ne laissent paraître que trop peu de détails. La tonalité de la voix à l’écoute est abaissée. Une perte d’expressions du faciès altère la communication. C’est dans une large mesure un trouble des sens.  

Tout cela peut nous inciter à regarder l’autre d’une manière binaire : malade ou pas malade (malade, il a toussé, malade sûrement). Nous devons nous en garder et s’efforcer d’avoir une vision des choses multiforme au possible. Où comment de simples directives changent le cours des choses d’une toute autre manière. 

Ils viennent acheter un simple journal, des couches pour bébé, de la cire épilatoire, du fromage à raclette, des kiwis, de l’eau, un téléviseur, un jouet ou que sais-je encore. Que ce ballet incessant de ceux qui viennent et repartent est appréciable. J’aime les gens. Ces rencontres humaines constituent le socle de mon envie de me lever le matin afin de prendre la route de ce travail. Il y a tant d’insoupçonné qui advienne des interactions humaines. Instaurer un temps imparti aurait pour risque d’altérer l’insoupçonnable. Il y a des rencontres qui vous interpellent, vous questionnent, vous forgent, vous attendrissent, vous mettent les nerfs à vif. C’est un flot de sentiments personnels qui se déversent. Bon Dieu que c’est bon.

La nécessité de se protéger l’emporte en amoindrissant la qualité des relations. Mon souhait est, à l’égard de tout ceux rencontrés, que cet élan de pleine et sincère bienveillance ait été saisi. Là est ma récompense. 

> Episode 3 : Dans un profond silence tu marcheras. 

> Episode 1 : Un combat en barricade.

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