Interview – COVID-19: RAPATRIEMENTS À RETARDEMENT

Evie Poirault | La dizaine de milliers de français encore loin des côtes de l’hexagone, souhaitant rentrer au pays, semble être la grande oubliée des égards gouvernementaux. La fermeture des frontières inter-étatiques dès la mi-mars, en a condamné plus d’un à des conditions indécentes, résultantes d’une gestion de crise émaillée d’ombres au tableau. L’État français a-t-il failli dans la gestion du rapatriement de ses ressortissants depuis l’étranger? L’interrogation se trouve être l’objet de la proposition pour la Commission d’enquête parlementaire, déposée le 22 mai 2020, par le député LR Stéphane Viry.

Éléments de réponses.

Stéphane Viry– Depuis le début de l’épidémie j’ai été sollicité par des Vosgiens, qui étaient bloqués un peu partout, surtout en Afrique du Nord et qui n’avaient aucune possibilité de rapatriement en France, et qui étaient dans le silence radio des éventuelles possibilités de faire. On avait donc mis en place avec mon groupe, une sorte de canal d’accès direct au Quai d’Orsay. On avait un correspondant pour faire valoir les situations individuelles, et attirer l’attention du Quai d’Orsay pour qu’ils cherchent des solutions avec le réseau consulaire. Donc le canal a été largement mobilisé, et force est de constater voire de déplorer, qu’on avait quasiment aucun retour. Mais surtout que ça n’a pas fait évoluer la situation pour les ressortissants.

Cela semble accréditer les témoignages qui abondent en ce sens…

J’ai remonté au Quai d’Orsay une vingtaine de situations, et je n’avais quasiment jamais de retour. Tout cela m’a profondément agacé, et j’ai trouvé qu’il y avait une déficience de la France dans le cadre de ses politiques publiques, celle de s’occuper de ses ressortissants nationaux à l’étranger. Les moyens à disposition d’un député, c’est soit de poser des questions au gouvernement ; Jean Yves Le Drian a été à plusieurs reprises interrogé par des collègues sur le sujet, ou alors, dans le cadre du pouvoir du Parlement, d’évaluer les politiques publiques : c’est de demander une Commission d’enquête. C’était le sens de mon action. L’occasion d’officialiser un mécontentement et la volonté de comprendre, et ça a plutôt bien fonctionné. Pour la première fois, j’ai reçu un courrier du Quai d’Orsay, qui fait à mon avis suite à la communication de ma Commission d’enquête. Ils en ont peur.

Donc vous n’avez aucun moyen d’expliquer ce défaut de renseignement ?

Je n’ai aucun moyen ! Le seul moyen serait que la Commission d’enquête fonctionne. Ce qui m’a aussi agacé, c’est ce satisfecit de Jean Yves Le Drian, qui a plusieurs reprises a été interrogé à l’Assemblée sur la question des rapatriements et qui avait pour discours de dire que la France était exemplaire en Europe. Que c’était le pays qui avait le plus rapatrié de ressortissants, que ça se comptait par centaines de milliers et qu’il en restait effectivement quelques dizaines de milliers. Que statistiquement ce n’était pas grave, parce qu’ils avaient fait l’essentiel. J’ai trouvé ça insupportable ! Totalement scandaleux ! Probablement qu’ils ont rapatrié les cas les plus faciles, mais c’est justement sur les cas les plus difficiles que la France n’a pas réussi à faire bouger son réseau consulaire. Donc j’ai trouvé cela totalement décalé des réalités humaines. Parce que dans mes cas j’ai encore des Vosgiens qui sont notamment au Maroc. Dont un couple pas très âgé, mais dont l’épouse était malade. Il fallait qu’elle rentre. J’ai eu l’annonce de son décès cette semaine… J’ai eu un autre couple qui est parti en février et qui est toujours bloqué avec son camping-car à Tanger. Ils n’ont plus de revenus, et ont épuisé leurs économies pour vivre là-bas. Comme ils ne sont pas de retour dans leur entreprise et qu’elle ne bénéficie pas de l’activité partielle, ils sont présumés absents, donc en plus ils vont perdre leur boulot ! On n’est pas dans du virtuel, ce sont des cas concrets ! Alors, j’ai vu que Jean Yves Le Drian avait annoncé qu’on allait doubler de desserte maritime et aérienne. Donc je me dis que mon hypothétique commission d’enquête les a mis sous pression, et qu’ils ont accéléré la diplomatie.

Par ailleurs les transferts que vous évoquiez sont commerciaux. Alors même qu’il pourrait s’agir de rapatriements d’État remboursés, comme le fait l’Espagne. C’est un choix discrétionnaire des États, comment expliquez-vous la décision Française ?

Je ne l’explique pas, la politique de notre pays est de dire que les espaces aériens du Maghreb ont étés fermés, ce qui est une vérité. Il n’en demeure pas moins qu’on aurait peut-être pu, à titre dérogatoire, faire décoller des vols charters dédiés aux ressortissants français. Notre pays a su -et tant mieux- débloquer des milliards pour soutenir l’économie. Elle aurait pu trouver des subsides pour affréter des avions ou bateaux, pour faire monter tous les camping-caristes. Je pense réellement que le dossier n’a pas été traité.

À qui en incombe la responsabilité ? Aux services consulaires ?

Le ministre, est responsable de tout ça. Il a l’autorité hiérarchique sur le réseau consulaire, si il ne donne pas les instructions ou les moyens… Il suffisait me semble-t-il que Le Drian remonte cela au Président et que celui-ci passe un coup de téléphone aux chefs d’États du Maghreb, et qu’ils trouvent un corridor quasiment humanitaire. Je ne peux pas concevoir une absence de volonté politique sur un sujet comme celui-ci. Pour cela l’État a entreprit des négociations avec la société Air France.

Que pensez-vous de la politique tarifaire appliquée ?

La compagnie aérienne nationale dans laquelle l’État a des parts, majore ses tarifs et va se faire de l’argent sur le dos de pauvres gens qui sont abandonnés à eux-mêmes, avec parfois des décès… J’ai honte.

L’état a t-il un moyen coercitif à l’égard de cette entreprise privée ?

Oui, mais pourquoi ne l’a-t-il pas fait… L’État est en carence ! Ce ne sont pas des pays ennemis, alors je ne peux pas comprendre qu’on ait pas affrété des avions de l’armée ou alors réquisitionné des bateaux. Si ce n’est pas par la contrainte, ils payent ! On a bien dépensé de l’argent pour soutenir l’économie et les entreprises. Est-ce que ce n’est pas à l’État français au titre de la solidarité nationale que d’aller chercher les siens ? Ça paraît une évidence absolue !

Eu égard à la fermeture des espaces aériens, est-ce que les accords bilatéraux ne sont pas compliqués à établir ?

C’est compliqué, il faut respecter la souveraineté des États. Mais je présume que l’espace aérien était fermé pour les vols commerciaux. L’État aurait pu dealer avec les territoires concernés. J’ai le voeux d’espérer que nous représentons encore cela.

Plusieurs témoignages concordant font état d’une forme d’opacité dans l’attribution des places sur les vols de rapatriements, qui serait conditionnée à des tarifs plus élevés. Êtes-vous en capacité d’accréditer ces pratiques ?

Oui, alors, j’ai reçu des témoignages, plus ou moins fondés, alors je donne à certains le bénéfice du doute. Mais effectivement les éléments qu’ils ont montré sont édifiants, scandaleux. A qui en incomberait la responsabilité ? A priori c’est le réseau consulaire… C’est terrible à notre époque, ce système de préférences, de bakchichs. Mais bon, ça va dans les deux sens. Il y a des incohérences gestionnaires venant des pays du Maghreb aussi. L’approche est très déshumanisée, très technocratique, difficilement supportable.

Entretien réalisé par Evie Poirault

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